Article paru dans le canard local :
La lutte des Lip en «prime time»
Le téléfilm sur le mythique combat des horlogers bisontins sera (enfin !) diffusé le 5 mai à 20 h 35 sur France3.
Son tournage date de près de deux ans. Une éternité, surtout en horlogerie !
Ainsi vont les mystères de la programmation, au sein du paysage audiovisuel français. Ce n'est pas parce qu'une œuvre est ficelée, fignolée, qu'elle passe dans les six mois. Donc, non. Pas de parano. La diffusion n'était pas reportée sous la pression de mystérieux lobbies.
La preuve par deux. Un : « L'Été des Lip », tel est le titre, passera en «prime time», donc en début de soirée (20h35), le meilleur moment pour « faire » de l'audience. Et donc pour espérer... grignoter des parts de marché à « The Voice », au même instant sur TF1. Nous avons bien écrit « espérer».
Deux : ce sera la veille du second tour de la présidentielle, samedi 5 mai. Eh oui De là à ce que des recours soient engagés dès le lendemain pour influence déloyale... Non, on rigole, allez !
En tout cas, c'est une première. Car si des documentaires ont été tournés sur ce sujet (1), jamais encore celui-d, malgré ses rebondissements et, surtout son épaisseur humaine, n'avait fait l'objet d une œuvre de fiction. Pour le cinéma comme pour le petit écran.
Alors certes, et heureusement, le récit reste fidèle aux faits eux-mêmes. Du moins ceux de la première année de cette saga, qui dura près de ,10 ans. Il fallait bien opérer un choix, ou alors trouver des financements pour une série digne de Dallas (euh, on veut parler du nombre d'épisodes, pas du fond).
Donc l’histoire racontée est celle du début du conflit, en 1973. Mais-elle a été scénarisée (notamment par l'écrivain Jean Vautrin, belle plume), et mise en scène (par Dominique Ladoge, un nom qui compte dans la création télévisuelle). Elle bénéficie aussi d'une interprétation de qualité.
Dans la distribution, figure ainsi Agnès Soral (comédienne très demandée, sur les planches comme derrière les caméras). Idem pour Frédéric van den Driessche, qui joue le personnage de Claude Neuschwander, patron de la prometteuse mais éphémère relance de Lip (1974-1976). Quant au « rôle-titre », celui de l'emblématique porte-voix des insurgés, Charles Piaget, il est assuré par Bernard Blancan, à la riche filmographie (dont la saison 2 de la série «Flics» l'an dernier sur TF1, comme quoi...)
Créatifs, subversifs
Gageure que de vouloir restituer en 110 minutes l'insolente capacité d'innovation sociale dont firent preuve les Lip?
Eux et leur si subversif slogan, « On fabrique, on vend, on se paie » (sous-entendu : ,le patron peut aller se rhabiller). Mot d ordre qu'ils osèrent commencer à concrétiser, suscitant un grand intérêt médiatique international et... l'intervention des CRS, car il y a des limites à ne pas franchie non mais !
Eux et leur «trésor de guerre-» (pour négocier en position de force) : de belles montres fabriquées par leurs soins dans leur usine de Patenté, et de l'argent. Butin détourné et planqué le cas échéant (pas étonnant de la part des cathos de gauche à la tête dû mouvement) chez d'improbables et très ruraux curés complices.
Eux et leur « marche des 100.000 », comme autant de participants venus soutenir leur « lutte », le 29 septembre 1973 à Besançon, plus grosse manif de toute l'histoire sociale comtoise.
Gageure ? Oui. car leurs nombreux amis (on n'ose pas dire fans), par-delà les générations, ont tous en tête, plus ou moins, le roman des Lip. Et le fol espoir suscité en matière d'émancipation au travail. Alors prendre le risque de décevoir c'est... courageux. En tout cas les.« Lip historiques», les autogestionnàires.les libertaires, n'ont pas crié au scandale. Du moins ceux invités à voir l'opus en avant-première, début 2011.
Mais là, ce n'était qu'un début, voyons le 5 mai. Et continuons le débat.
Joêl MAMET
(l) Le dernier documentaire en date fait figure de référence aussi absolue sur l'analyse du conflit, très dure pour le patronat de l'époque, suisse et français, accusé d'avoir « flingué » Lip. Il s'agit de « Les Lip, l'Imagination au pouvoir », de Christian Rouaud, 118 minutes, 2007.
Je recommande particulièrement ce documentaire (il existe en DVD). Avec l'équipe d'AC ! Besançon, nous avions contribué à sa réalisation notamment avec le témoignage de certains d'entre nous. Nous avions un peu plus de vingt ans à cette époque et ce fut bon de se replonger dans son ambiance.
Piaget, son double, l’étemité
Coproducteur de « L'Été des Lip » (avec France Télévisions), Jacques Dercourt le présente comme « n'étant pas un film politique, ni militant, mais humaniste ». Il a défendu l'idée d'inventer de toutes pièces le personnage de l'ouvrière surnommée « Tulipe », qui vit une histoire d'amour sur fond le conflit : « Elle-même n'a pas existé, mais ce mouvement social a généré de telles relations ».
Le producteur une référence du petit écran, reconnaît n'en avoir pas mené large lors de la projection en avant-première, à Besançon début 2011, devant d'anciens Lip. «Quand les lumières se sont rallumées, il s'est écoulé peut-être 45 secondes - une éternité I- de silence absolu. Je n'en pouvais plus ! Neuschwander, le patron de la reprise de 1974, était là. Il a pris la
parole, le premier. J'ai vu beaucoup d'émotion chez Piaget et d'autre de ses amis, Jeanningros, Burgy et je n'ai plus eu peur... »
Justement, comment Piaget a-t-il trouvé son double à l'écran, Bernard Blancan ? « C'est un vrai comédien, il s'en est bien tiré », note le Bisontin. «Il m'a confié avoir beaucoup lu avant le tournage.'.. »
Bon, on ne le sent pas follement enthousiaste sur l'œuvre. Pas convaincu de la pertinence de l'invention du personnage de Tulipe, par exemple. « Mais c'est mieux que ce qu'on craignait... Et notre lutte est bien montrée ». L'essentiel, non ? De toute façon, pour Piaget, il sera difficile de faire mieux que le « docu » de Rouaud sorti en 2007 (lire ci-dessus).
J.M.