Jeudi, Rue89 a publié le témoignage d'un professeur de littérature qui, tout fiérot, raconte dans le détail comment il a piégé ses élèves qui lui rendent des dissertations truffées de passages pompés sur la Toile. Pour leur faire comprendre qu'il faut se méfier d'internet, "penser par soi-même" et "avoir confiance en soi", il a donc "décidé de mener une petite expérience pédagogique" en se donnant bcp de mal pour "pourrir le web" au sujet d'un poème peu connu qu'il leur a ensuite soumis en "travail personnel à faire à la maison" :
http://www.rue89.com/2012/03/22/jai-pie ... ves-230452
Maintenant, je vous invite à lire ce billet qui critique non seulement la démarche de ce professeur, mais l'école en général :
http://damienbabet.com/contrebande/?p=511
L’école soumet les élèves à des injonctions contradictoires : pensez par vous-même, répétez ce qu’on dit. Prenez des risques, ne vous trompez pas. Apprenez par cœur, ne plagiez jamais. Ces contradictions sont structurelles, inscrites dans les fonctions ambivalentes de l’institution. D’un côté, on impose aux élèves une culture dominante de pure autorité. De l’autre, on leur demande d’entretenir la fiction selon laquelle cette culture est librement choisie, aimée, appréciée comme supérieure par tous. La bonne élève, c’est celle qui a le bon goût de sincèrement aimer Flaubert.
On demande ici aux élèves de commenter un poème. Il ne s’agit pas d’un travail créatif, on n’attend pas d’eux qu’ils réinventent la littérature. Il y a de bonnes et de mauvaises réponses. Penser par soi-même n’est pas vraiment l’enjeu ici, il s’agit de penser, certes, mais de penser comme le prof. Apprendre à bien penser, être bien pensant. (...) Chaque prof vend plus ou moins la mèche, assume plus ou moins la transmission autoritaire du savoir, ou accepte plus ou moins le développement imprévisible de la pensée critique.
(...) La démonstration par l’absurde («Il ne faut faire confiance à personne, croyez-moi. La preuve : je vous ai trahi») apparaîtrait pour la démonstration absurde qu’elle est dans tout autre contexte : un président qui financerait des attentats pour se faire réélire, un magazine qui publierait de faux articles pour critiquer la presse, des parents qui frapperaient leurs enfants pour leur apprendre la vie. (...) Lire que cette blague narcissique et pédante poursuivait le but hautement moral de libérer les élèves d’un «manque cruel de confiance en eux»… c’est vraiment une pourriture pédagogique.