Qui veut la peau de Bernard Thibault ?
Menaces, pressions, exactions…
Le quotidien du secrétaire général de la CGT n’est pas une sinécure. Après qu’il a reçu une tête de porc, son chat a été égorgé. Bernard Thibault, décrié comme jamais, tente de résister.
Bernard Thibault n’est pas homme à se plaindre, encore moins à s’épancher sur ses joies et soucis intimes. Une allusion à sa famille ou à son train de vie le met en boule. Quant aux menaces dont il est la cible, pas de commentaire, il ne s’agit que des aléas du quotidien d’un leader syndicaliste. « Voyez Chérèque, lui aussi s’en prend plein le nez », minimise-t-on. Certes le secrétaire général de la CFDT n’est pas à la fête, mais personne encore n’a poussé l’attaque jusqu’à son domicile. Bernard Thibault, lui, a des raisons de s’inquiéter. D’où l’armada de gardes du corps qui ne le lâchent plus et qui sourient (nerveusement) deux fois par an.
Sur le pavé, on les sent limite agressifs. A leur décharge, le boss a des ennuis. Il y a d’abord eu l’épisode de la tête de porc aimablement déposée sur le pas de sa porte. Il y a eu les lettres d’intimidation. Et, plus grave, son chat a été égorgé récemment. La police, saisie de l’affaire, ne pense pas qu’il s’agisse de l’acte isolé de voyous du quartier.
Motus et bouche cousue
Une chape de plomb s’est abattue sur ces incidents. La symbolique est pourtant violente. Le sujet reste tabou, y compris dans la presse. Seul le député européen Jean-Louis Bourlanges (UDF-ADLE) a fait une allusion à la mort du chat, sur France Culture, dimanche 18 novembre : « J’ai été horrifié par l’idée que ce pauvre Thibault avait eu son chat égorgé… Cela prouve un degré de haine de la part de certaines personnes qui est assez préoccupant. » Aucune réaction dans le studio. « Beaucoup de Français ont été horrifiés par ce crime », ajoute le député.
Beaucoup de Français ? Comment être atterré par un geste dont ils n’ont pas eu connaissance ? « L’info n’intéresse personne, rétorque-t-on à la CGT, elle est du domaine privé ! » Comme les menaces de mort, « qui ne sont pas vraiment des menaces de mort ». Quoi alors ? « C’est pour lui faire peur. » Au siège de la CGT, à Montreuil, l’attaché de presse Jacques Delallée relaie la consigne : « On ne collabore pas à un article sur la vie de Bernard Thibault. »
« La trahison engendre la violence »
Une attitude qui attise la curiosité. « Non, il n’a rien à cacher, assure l’un de ses proches, c’est juste un homme discret dévoué à une cause qui, elle seule, mérite l’attention des médias. » Rien à cacher, soit. Et surtout pas cette fameuse paire de chaussures à 500 euros qu’il n’a jamais portées. Depuis des mois, la rumeur lui prête des signes extérieurs d’une richesse puisée dans le trésor de guerre de la CGT. Pas son genre, pour ceux qui le connaissent. Sous couvert d’anonymat, on reconnaît cependant qu’il est au moins « victime d’une campagne insidieuse de dénigrement. Une poignée d’extrémistes veut le pousser vers la sortie avant la fin de son mandat en 2009 ».
Pas sûr qu’il s’agisse d’un simple groupuscule incontrôlé. Une partie de la base ne lui fait plus confiance, « pas seulement à cause de sa position dans le conflit sur les régimes spéciaux, explique un avocat de cégétistes. Le divorce est depuis longtemps consommé ». Il remonterait à 2001 quand les « LU » se débattaient pour conserver leur emploi chez Danone. « A Évry, on prévoyait 420 licenciés. Thibault habitait à côté, il n’avait qu’un pont à traverser pour les encourager. Il n’est pas venu. Pourquoi s’étonner de ce qui lui arrive ? La trahison engendre la violence, voilà tout… »
Combien de temps résistera-t-il aux pressions ? Dans les hautes sphères de la CGT, où la grogne gagne aussi du terrain, certains jugent sa position intenable. Si insupportable qu’il ne fait aucun doute que Bernard Thibault jettera le gant avant 2009. Seuls les plus fidèles, conduits par le secrétaire confédéral Jean-Christophe Le Duigou, jurent que le patron ne démissionnera pas.
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Thibault en quelques dates
Bernard Thibault est né à Paris le 2 janvier 1959, dans une famille originaire du Morvan. Quinze ans plus tard, il entre au centre d’apprentissage de la SNCF de Noisy-le-Sec et décroche un CAP de mécanique générale. Embauché au dépôt de la Villette, il adhère un an plus tard à la CGT, qui lui confie la responsabilité de la commission des jeunes. A 24 ans, il est élu secrétaire des cheminots CGT Paris-Est.
Consigne de vote
Les grèves de 1986 vont asseoir son autorité. En 1987, il entre au PCF et intègre le bureau fédéral des cheminots CGT. Dix ans s’écoulent, le héraut du grand conflit de 1995 est récompensé par son admission au bureau confédéral. En 1999, consécration au 46e congrès : il succède à Louis Viannet à la tête de la puissante confédération. Il prend ses distances avec le PCF.
Le XXIe siècle sera moins clément. Des adhérents lui reprochent de ne pas assez les soutenir. L’enquête sur les comptes du comité d’entreprise d’EDF, qui paierait sa secrétaire, sème le trouble. Survient enfin l’affaire du référendum de 2005 : Thibault se refuse à donner une consigne de vote, il est désavoué par le conseil national qui recommande de voter non à la Constitution européenne.
Palace cannois
En mai 2007, il prête le flanc à de vives critiques lorsqu’il monte les marches du Palais des festivals à Cannes. Invité par le président Gilles Jacob, il fête simplement la 60e édition d’une manifestation que son syndicat a contribué à créer. Robert Hue l’y avait précédé, sans susciter autant de commentaires. Les grincheux affirmeront même que sa nuit dans un palace cannois, payée « un demi-smic », l’a été par le CE d’EDF. Un coup bas : c’est le festival qui l’avait invité, nourri et logé. Depuis, on l’a vu, sa vie ne s’écoule pas comme un fleuve tranquille. Bernard Thibault est l’auteur d’un passionnant ouvrage intitulé Ma voix ouvrière, paru chez Stock en 2004.
Franchement, c'est pas étonnant, vue la façon dont Thibault à liquider la grève des cheminots.