Le 13 heures de Jean-Pierre Pernaut, ce ne sont pas seulement des vaches, le boulanger et Gérard, le retraité du coin. C'est aussi une blanchisserie qui doit licencier à cause de l'armée, de jeunes conducteurs qui passent un nouveau permis de conduire ou encore des usagers lassés du temps d'attente pour obtenir une carte grise malgré un système "modernisé". Point commun de ces trois sujets ? A la lecture de la nouvelle version du livre noir de la RGPP publié par Force Ouvrière, ces trois reportages illustrent en fait les conséquences négatives de la révision générale des politiques publiques décidée par Sarkozy. Mais à aucun moment le téléspectateur ne peut le savoir. Tentative de décryptage d'un travail de camouflage particulièrement efficace.
Pernaut-FO, même combat ? Force Ouvrière vient de publier une nouvelle version de son livre noir de la RGPP. Souvenez-vous : la Révision Générale des Politiques Publiques désigne la politique de réduction des moyens de l'état qui accompagne, notamment, le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Décidée en 2007 par Nicolas Sarkozy, la RGPP produit des effets négatifs insoupçonnés, comme nous l'avions vu dans notre émission de mai dernier intitulée "Avec la RGPP, les préfets sont toujours en slip". Dans sa dernière livraison, Force Ouvrière a insisté sur de nouveaux aspects de la RGPP entrainant un impact sur la vie quotidienne. Certains de ces sujets, dits "concernants" pour les téléspectateurs, ont fait l'objet d'un reportage dans le JT de Jean-Pierre Pernaut sur TF1... sans que le téléspectateur puisse jamais faire le lien avec la RGPP de Sarkozy.
Illustration avec un premier reportage sur le permis de conduire. En janvier 2009, François Fillon annonce une réforme pour "un permis moins long, plus accessible et plus sûr". Près d'un an après cette annonce, les caméras du 13 heures de TF1 assistent aux premières expérimentations de ce nouveau permis de conduire. Et qu'en retient-on ? En 1min36, on apprend que ce permis basé sur un bilan de compétences est... plus écolo, plus économique, plus complet (avec des questions sur la politesse au volant). Seule la dernière candidate joue la rabat-joie pendant 15 secondes.
Mais au fait, pourquoi ce nouveau permis ? TF1 ne le précise pas. Dans le livre noir de la RGPP, Force Ouvrière fournit les sous-titres : en décembre 2007, quand Sarkozy présente pour la première fois la RGPP, il décide de mettre en place "un opérateur privé pour organiser les examens du permis de conduire", au motif que les délais d'attente pour obtenir une date d'examen sont devenus trop longs. En réalité, pour FO, ces délais sont plutôt liés aux "manques criants d’effectifs d’inspecteurs du permis de conduire". Mais pour le gouvernement, bien décidé à faire des économies, il est hors de question d'embaucher 168 inspecteurs supplémentaires (des fonctionnaires de catégorie B) comme le réclament les syndicats.
Si le gouvernement a finalement renoncé à cette privatisation après la mobilisation des inspecteurs, il a trouvé une autre solution pour limiter l'embauche de personnel supplémentaire :
augmenter artificiellement le taux de réussite. Malin ! En facilitant le permis, on diminue automatiquement le nombre de candidats devant le repasser. Un fait, que n'a pas rappelé TF1 dans ce reportage, mais dénoncé dans le livre noir de Force Ouvrière : "En 2009, la réforme du permis de conduire annoncée dans le cadre de la RGPP décrète l'augmentation artificielle du pourcentage de réussites de 53% à 66%. (...) En supprimant de la liste des erreurs éliminatoires certaines infractions graves (comme un stop grillé), le gouvernement est prêt à augmenter l’insécurité routière et les risques de mortalité des jeunes conducteurs uniquement pour faire des économies".
Nous n'avons pas eu confirmation qu'un stop grillé ne faisait plus partie des fautes éliminatoires, mais le nouveau permis est de fait plus laxiste, avec un taux de réussite augmenté artificiellement. D'ailleurs, Pernaut l'a reconnu un an après, en mars 2011, avec un reportage sur ces inspecteurs qui protestent contre une réforme jugée trop laxiste. Certains candidats peuvent en effet récolter la note zéro dans une compétence de sécurité routière tout en décrochant quand même leur permis. Belle machine arrière de TF1 donc, qui vantait ce permis un an plus tôt. Sauf que là encore, Pernaut a "oublié" de préciser que c'était une mesure RGPP ayant pour objectif de limiter l'embauche d'inspecteurs supplémentaires.
Autre exemple de camouflage des effets négatifs de la RGPP : le temps d'attente dans la délivrance des cartes grises. Le 26 avril 2010, le 13 heures de TF1 consacre un reportage de 2 minutes à ce sujet. Pour Pernaut, la cause est entendue : les préfectures sont débordées en raison de l'explosion des ventes de voitures neuves, rien de plus. Dans le reportage, la journaliste est tout de même obligée de reconnaître que "le personnel a diminué" et que la solution de secours (faire immatriculer son véhicule chez un concessionnaire) est plus coûteuse. Mais il fallait être bien attentif pour repérer ces deux informations.
Car avant d'annoncer la diminution des effectifs de la préfecture, la journaliste trouve le moyen de rappeler que "depuis un an, la préfecture a fait des efforts : un système informatique moderne, des guichets plus accueillants". Et quand la journaliste évoque le surcoût de la délivrance des cartes grises par un concessionnaire, c'est pour aussitôt donner la parole au sous-préfet, armé d'un argument imparable : c'est plus économique chez un concessionnaire puisque l'usager n'aura pas besoin de payer le parcmètre près de la préfecture !
Bien évidemment, dans ce reportage, le mot tabou "RGPP" n'est pas prononcé. Pour en savoir plus, il faut se plonger dans le livre noir publié par FO. Et on n'est pas déçu du voyage : "Le système d'immatriculation des véhicules (SIV), mesure RGPP entrée en vigueur en avril 2009, a un impact direct sur l'obtention d'une carte grise. Les acheteurs de véhicules neufs ou d'occasion, doivent désormais choisir entre un opérateur privé (concessionnaires, garagistes...) payant et les services de la préfecture. (...) Les usagers sont donc obligés de choisir entre un allongement de délais ou un coût supplémentaire, qui peut aller jusqu’à 120 euros, en passant par un opérateur privé !"
FO souligne par ailleurs que ce nouveau système, censé faire faire des économies à l'Etat,
favoriserait également la fraude : "De nombreuses sociétés privées ne savent pas (et dans certains cas ne veulent pas) effectuer les contrôles de véracité des pièces comme cela est réalisé en préfecture. Des fraudeurs peuvent donc obtenir des certificats d'immatriculation avec de fausses adresses et de fausses identités à partir de justificatifs falsifiés ou farfelus. Plusieurs fraudeurs réussissent ainsi à échapper à tous les PV, voler l'identité d'une autre personne, remettre en circulation des voitures volées ou au passé douteux ou étant interdit techniquement de rouler... Les responsabilités des professionnels privés sont par contre très limitées. Le centre national des professions de l'automobile s'était targué dès mars 2008 d'être dégagé de toute responsabilité en cas de fraude". Mais comme dirait TF1, tant que les usagers ne payent pas le parcmètre...
Le "chorus-foirus", version blanchisserie. Quand le 13 heures de Pernaut ne noie pas les informations essentielles dans ses reportages, il effleure les conséquences néfastes de la RGPP... sans le dire explicitement. Exemple avec des licenciements au sein d'une blanchisserie. Diffusé le 26 mai 2010, ce reportage raconte la mésaventure d'une blanchisserie qui, faute d'avoir été payée par l'armée, s'apprête à licencier une partie de son personnel. La faute à un logiciel du ministère du budget, Chorus, qui bugge régulièrement et provoque des retards de paiements. Ce ne serait pas un cas isolé, selon TF1.
Ah, les retards de l'administration ! Dommage que TF1 ait oublié de dire que ce fameux logiciel "Chorus" s'inscrit dans le cadre de la RGPP-Sarkozy censée faire des économies. A l'origine, comme le raconte FO, ce système de gestion budgétaire des ministères et des établissements sous tutelle devait être "l'instrument de la mise en musique des mesures de mutualisation de la RGPP". En clair, en "rationalisant" et en "mutualisant" les modes de gestion, Chorus devait permettre de supprimer près de 4.000 postes de fonctionnaires.
Sauf que le système est une véritable usine à gaz rebaptisée "Foirus" dans les services de l'Etat. Le système "n’arrive pas à se déployer et ne devrait pas être opérationnel avant longtemps malgré les engagements du gouvernement pour 2011, sans aucune garantie de fiabilité à terme de la part de Bercy", explique FO. "Pas moins de 12 prestataires privés tentent de jouer les musiciens d’une partition sans pilotage de la part de l’Etat incapable d’orchestrer", poursuit le syndicat. Et c'est un véritable gouffre financier : selon une étude du Parlement, reprise par FO, le coût de Chorus a augmenté de 30% entre 2007 et 2010, "soit 551 millions d’Euros en 2007, contre 711 millions trois ans plus tard". Au total, le coût de la mise en œuvre de ce nouveau système devait être de 1,1 milliard d'euros. Mais selon la Cour des comptes, la facture approche plutôt 1,5 milliard d'euros.
Pire, la situation n'est pas près de s'arranger à en croire un article du
Canard enchaîné publié mercredi 21 septembre. Car le logiciel ne marche toujours pas correctement. Interrogé par
Le Canard, un utilisateur raconte par exemple qu'il est "contraint de tenir une double comptabilité : l'une sur chorus et l'autre à l'ancienne, avec un cahier de résultats". Et de préciser : "J'établis certaines factures et règlements à la main, sinon c'est la catastrophe pour nous comme pour nos fournisseurs". Pernaut le racontera-t-il ?
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