Loi de régression sociale
Publié : 16 mai 2014
Je n'ai pas trouvé d'autre fil auquel rattacher ce texte syndical.
Le malheur des salarié-e-s licencié-e-s fait le bonheur de la DGEFP
La loi de régression sociale dite de « sécurisation de l’emploi » du 14 juin 2013, qui a transposé l’accord du 11 janvier 2013 signé par les asservies CFDT-CFTC-CGC, a considérablement dégradé les droits des salarié-e-s en matière notamment (mais pas que) de licenciement collectif pour motif économique : restriction des délais de consultation des IRP, limitation des possibilités de saisine du juge, et renforcement du rôle du Direccte qui a reçu pour nouvelle fonction d’entériner les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE pour les intimes).
Moins de judiciaire et plus d’administration dans le licenciement, donc, pour le plus grand bonheur des congédieurs. Oubliées en effet les charrettes recalées par des juges tatillon-ne-s, le Direccte sachant se montrer beaucoup plus sensible aux lamentations patronales, directes ou relayées par les élu-e-s. Finis aussi les plans sociaux qui traînent en longueur puisque le Direccte doit contrôler (dans la mesure des moyens humains à sa disposition…), du moins se prononcer (ou pas, le silence valant acceptation) en seulement 15 ou 21 jours, après quoi la machine à licencier peut tourner à plein régime. Le changement (de vitesse pour prendre la porte), c’est maintenant !
Seul espoir des travailleurs/euses pour éviter le renvoi accéléré à la maison : le dépôt auprès du tribunal administratif d’une requête en référé visant à obtenir la suspension provisoire de l’exécution de la décision du Direccte. Espoir déçu le 21 février dernier. Alors qu’il était raisonnable de penser que l’urgence serait retenue de manière automatique par le juge compte tenu des conséquences patrimoniales et professionnelles qui résultent de la notification des licenciements pour les salariés touchés, le Conseil d’État a dit non : pas question de présumer l’urgence, il faut la démontrer, et surtout la mesurer aux autres composantes de l’affaire, en particulier la santé économique et financière de l’entreprise concernée.
Par conséquent, afin d’emporter le morceau, il suffit à un chef d’entreprise de (faire) demander au Direccte qu’il souligne dans la défense de sa décision que la pérennité de l’activité et de l’emploi de l’entreprise visée pourrait être remise en question si l’employeur était empêché de virer immédiatement une partie de son personnel.
Ça ne devrait pas être trop compliqué pour les patrons : ça fait des décennies qu’ils s’entraînent à pleurer sur leur sort, et quelques années qu’ils trouvent une oreille (très) attentive à leurs complaintes !
Au final, voilà une décision très favorable au patronat. Si l’urgence n’est pas démontrée, le référé sera rejeté et les salariés ‘proprement’ et prestement mis à la porte, et ce même s’il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée (il faut cumuler les conditions d’urgence et de légalité pour suspendre une décision administrative). Il ne restera plus aux salariés licenciés qu’à attendre – chez eux – le jugement au fond pour obtenir une éventuelle indemnité1.
Le juge est souverain, on prend acte de sa décision. Contrairement à un certain ministre qui s’assoit sur le vote des parlementaires rejetant son plan éponyme pourri pour ensuite faire passer celui-ci par décret, nous, nous respectons les institutions républicaines ! Ceci dit, on ne désespère pas que la jurisprudence se retourne dans les mois à venir, car nous l’estimons très déséquilibrée, injuste.
La DGEFP, elle, ne fait pas preuve d’autant de retenue. Bien au contraire, dans sa lettre « Flash Info Emploi » du 14 mars dernier, elle se réjouit : « Très largement favorable à l’administration, cette décision du Conseil d’Etat doit être pleinement exploitée en cas de recours contentieux. Le cas échéant, il convient ainsi de systématiquement rappeler la position du Conseil d’Etat sur la condition d’urgence dans les mémoires en défense. » Pensez donc, c’est génial, dorénavant le Direccte va gagner toutes les instances engagées contre lui, ses décisions ne seront pas ou peu suspendues, et... les salarié-e-s vont pouvoir aller pointer dare-dare au chômage. Un service du ministère en charge de l’emploi ravi de la liquidation expresse du petit personnel ?!!! Visiblement, ça n’a choqué ni le rédacteur, ni le directeur de publication de la lettre. Message envoyé à celles et ceux qui doutaient encore que patronat et têtes de pont ministérielles partageaient les mêmes intérêts et les mêmes valeurs.
Pour être certaine que le message passe bien, la DGEFP a prévu d’éditer une « fiche de doctrine » et une « fiche de capitalisation de la jurisprudence » (oui, on parle bien de capitaliser, comme une vulgaire star du CAC40 qui veut tirer profit de quelque chose pour mieux exploiter le monde qui l’entoure), un matériel destiné aux services déconcentrés et, par ricochet, au juge administratif ‘de base’ qui, manifestement, doit « être éclairé ». D’après la DGEFP, celui-ci a en effet « une relative méconnaissance des enjeux de la loi et de la nouvelle procédure de licenciement collectif», grosso modo il n’a pas encore compris qui étaient les patrons dans ce pays, aux sens propre et figuré. Après avoir été traités de « bâtards » par Thierry Herzog, l’avocat de Sarkozy, voilà que les juges sont pris pour des tocards par la DGEFP !
La loi, la haute juridiction administrative et les gouvernants favorables au patronat, que reste-t-il donc aux travailleurs/euses pour se faire entendre et défendre leurs intérêts ? Ah oui tiens, les syndicats (en tout cas, certains). Pensez-y !
SUD TRAVAIL, le 13 mai 2014
(1)Ce qui peut prendre un certain temps. Par exemple, les salarié-e-s de Molex n’ont obtenu que ce 27 mars à Toulouse ce pour quoi ils se battaient depuis cinq ans : la reconnaissance par la justice (prud’homale) que la fermeture de l’usine du géant américain et leur licenciement étaient dépourvus de justification économique.