@ foufouille
C'est dans doute l'égoïsme que m'a poussé à devenir délégué du personnel, dans une de ces boîtes où règnent la terreur des petits chefs, le flicage, la pointeuse, les menaces constantes, les harcèlements moraux et sexuels (personnel à majorité féminine), les humiliations diverses et variées, bref, tout ce qui fait la joie et le bonheur de vivre en entreprise. Et d'espionnage de ma vie privée en sabotage de mon boulot, rien ne m'a été épargné, crois-le bien. Pendant des années, je me suis levé chaque matin en me demandant quelle saloperie on m'avait préparé. Ladite saloperie n'a jamais manqué un rendez-vous…
La manipulation des masses, tu connais ?
Un peu, mon neveu ! Je ne t'ai pas attendu pour étudier la question. Seulement, il faudrait quand même cesser de sacraliser et surtout d'idéaliser le prolo. Je précise tout de suite que j'en suis un : fils de femme de ménage et de manœuvre, éjecté du système scolaire pour cause de " j'aime pas les maths " (tare inexpiable !) et titulaire d'un humble CAP d'ouvrier typographe, je ne pense pas que ma " prolétaritude " puisse être mise en doute. J'étais au boulot à l'âge de seize ans.
Tout de même, ce pays n'est pas peuplé de rentiers émargeant au CAC 40. Foutriquet II à bien été élu, non ? Et par qui, sinon par les prolos ? Je sais : entre le nabot et la cruche socio-collabo… Mais il y un premier tour, non ? Foufouille, va donc traîner un peu dans les bistrots, qui sont, paraît-il, le " parlement du peuple ". Ne dis rien et ouvre l'oreille. Tu en auras, du " chômeur fainéant ", des " du boulot, y'en a ", "te les r'mettrai au taf à coup de pieds au cul ", "fout' dehors les bougnoules ", " takabosser dans le bâtiment ", "c'est not' pognon pour les engraisser "…
Je ne revendique évidemment pas une quelconque exemplarité, mais enfin, si moi, petit
prolo sans le sou, j'ai toujours préféré la bibliothèque à la télé, c'est bien que cela se peut, non ? Dans le couple manipulateur / manipulé (ou bourreau / victime, si tu préfère), il faut tout de même une sorte de
consentement du manipulé. Consentement inconscient, sans doute, mais bien réel. Si le prolétaire était
naturellement détenteur d'un conscience politique qu'il suffirait d'éveiller, cela se saurait, à présent. Pili a écrit, dans une autre file, que " lorsque on est pauvre et cultivé, on est
rejeté par les pauvres parce qu'on est cultivé, et par les riches parce qu'on est pauvre ". On ne saurait mieux dire. Je ne tire aucun orgueil de ma " culture ", au demeurant pleine de trous et de lacunes, mais je ne vais tout de même pas avoir honte de préférer un Miles Davis à toute une caisse de Michel Sardou !
La culture, pour " eux ", c'est du snobisme, point. Combien de fois me l'ont-ils servie, celle-là, mes chers camarades prolétaires ! Si j'en avais le don, je pourrais écrire un – très gros – bouquin là-dessus. Et les " prétentieux ", " tu pètes plus haut que ton cul ", et j'en passe…
" Tu vas quand même pas lire
le Monde, t'es un ouvrier, c'est
le Parisien ! "
(Rigoureusement authentique)
Alors, le prétexte de la " manipulation des masses ", ça commence à bien faire. Essaie seulement d'élever un tout petit peu le débat avec un " prolo ". Je te souhaite bien du courage. Pas tous " comme ça " ? Bien sûr. Mais c'est un cheval – une alouette. Comme l'écrivait à peu près le trop méconnu et très regretté Paul Lafargue,
" les prolétaires sont amoureux de leurs chaînes ".
Sans rancune et bien à toi.