On va les chercher en prison les employés des centres d'appels!
A la centrale de Rennes, douze détenues travaillent pour une société de télémarketing. Une première en France, et l'occasion pour Hélène, Chloé, Lan et les autres de rompre l'isolement
Vous avez une voix superbe. » Hélène sourit. Au bout du fil, l'inconnu sort le grand jeu. «Si vous êtes sur Paris, je vous invite à dîner. Vous êtes libre ce soir ? » Non, Hélène est en prison. A Rennes. En dehors des permissions de sortie, cette quadragénaire passe ses soirées dans 7 mètres carrés. A 19 h 30, elle est bouclée dans sa cellule et lit du Bernard Clavel.Couchée tôt, levée aux aurores, une vie de nonne. Le décor s'y prête, la prison est installée dans un monastère du XIXe siècle. Mais le vieux monument abrite une entreprise high-tech : un centre d'appels. Trente-cinq heures par semaine, Hélène y démarche des clients avec son accent du Midi. Elle fait partie des douze détenues salariées par Webhelp, une société de télémarketing qui sous-traite pour les plus grosses entreprises françaises. Pour les clients, les prisonnières s'appellent Hélène, Laurence, Chloé, Lan, Carla ou Marlène... De faux prénoms, en hommage à une parente, à une vedette de ciné ou choisis au hasard sur un calendrier. Evidemment, toute l'équipe a un casier : trafic de stups, braquages, meurtres... Sur le plateau, on ne sait pas toujours ce qu'a fait la voisine. Elles sont là pour préparer l'avenir. Agées de 20 à 60 ans, elles ont été présélectionnées par la prison, puis recrutées par la DRH de Webhelp. On leur a demandé quels étaient leurs qualités et leurs défauts, leur motivation, leur niveau d'études, leur expérience professionnelle... A part l'adresse du domicile, elles ont répondu aux mêmes questions que les 7 000 autres salariés du groupe. Inauguré en mars 2009, ce centre d'appels est unique en France. Son « open space » est installé au fond d'un couloir de l'aile J. Les filles y travaillent de 8 h 30 à 11 heures et de 13 h 30 à 17 heures. Dans ces plages, elles sont des employées comme les autres. Le matin, elles arrivent coiffées et maquillées. Pourtant, personne ne les voit. Sur un mur, une affiche rappelle la règle d'or : «Le sourire s'entend au téléphonePeut-être aussi que le look se voit. Jupe courte, pull moulant et boucles d'oreilles dorées pour Hélène. «Je pourrais venir avec un vieux pull mais je ne veux pas me laisser aller, dit cette ex-secrétaire de l'armée de terre. Je veux rester connectée à la vie. » Elle a décoré son bureau : un Post-it en forme de coeur, une carte postale «Ciao BellaCe boulot, c'est une porte sur l'extérieur », dit-elle. Par la fenêtre du local, on aperçoit le linge pendu aux fenêtres des cellules du bâtiment d'en face. Et, au loin, les hautes grilles qui encerclent l'établissement.Mais « leplateau », lui, est une copie conforme de ceux du dehors. Les mêmes tables rondes design, découpées en six postes séparés par des vitres ondulées. Au fond de la salle, un tableau énonce les objectifs commerciaux. Ce job, souvent synonyme de précarité, fait peu rêver les gens en liberté. En prison, il est synonyme d'« évasion . . Au fond de la salle, un tableau énonce les objectifs commerciaux. Ce job, souvent synonyme de précarité, fait peu rêver les gens en liberté. En prison, il est synonyme d'« évasion ». C'est le seul travail qui permet de communiquer avec les gens du dehors. Au pis, on vous raccroche au nez. Parfois, on vous donne du « bonjour madame » ou du «je vous en prie ». Pour des détenues habituées au tutoiement ou aux insultes, c'est gratifiant. En prison, même un client grincheux vous change les idées.
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