Le sentiment de dépossession du chômeur
Publié : 17 janv. 2006
Un texte proposé par Pwaab :
C'est un constat de l'ensemble des intervenants sociaux que l'on retrouve énoncé à présent même dans des articles de presse : tous les chômeurs éprouvent un sentiment de dépossession et ce sentiment ne fait qu'augmenter avec les années.
Le plus étonnant n'est pas tant de voir des femmes et des hommes déstructurés par l'intériorisation de l'exclusion qu'ils subissent mais bien de voir des professionnels du social s'étonner face à ce phénomène de dépossession. Essayons donc de préciser en quelques lignes ce qui ce passe dans ce trou, essayons d'éclairer de notre modeste torche l'obscurité d'un gouffre si proche.
Le nouvel arrivant au chômage comprend vite que les organismes censés l'aider sont en fait des machines chargées de mettre la pression de manière à ce qu'il disparaisse au plus vite de la liste des demandeurs d'emplois. Mépris, lourdeurs administratives, négations, mensonges, oublis, attitudes autoritaires ou arrogantes, désinformations font partie du mode relationnel imposé.
Si, pour maintes raisons (âge, formation insuffisante, "excès" de diplômes, spécialisation trop forte…) cet homme ou cette femme ne réussit pas à rapidement rebondir vers un autre métier, le chômeur va devoir subir une culpabilisation croissante. Étrangement, le chômeur est toujours responsable. Vous entendrez rarement une remise en question du système, un allégement de la responsabilité de l'individu. Bien que le problème soit collectif (le système étant incapable d'offrir le plein emploi) la solution, elle, passe par l'individu.
Voilà donc un chômeur de qui l'ANPE exige qu'il définisse un projet professionnel tout en le culpabilisant et en lui laissant de moins en moins la possibilité de refuser les emplois qui lui seraient proposés. Cette schizophrénie est générale, nous évoluons dans un monde où l'on vante la liberté et la démocratie alors que dans le même temps il devient de plus en plus difficile de s'approprier une vie différente de celle qui est imposée "de haut" par des pouvoirs politiques et économiques soucieux d'un contrôle toujours plus intime de chaque citoyen : contrôle des immigrations, vérification de la sincérité des mariages interraciaux, encadrement des démarches médicales, gestion des orientations professionnelles dès l'enfance, pour ne citer que quelques exemples.
Le nouvel arrivant dans l'autre monde, celui du chômage, va rapidement découvrir que dès l'instant où l'on débarque dans cet étrange pays le regard qu'anciennement on portait sur soi et que les autres vous portaient changent radicalement. Aspirations professionnelles, exigences, individuation de son parcours, droit de refus ne font plus partie du fonctionnement normal de l'individu. Celui-ci voit peu à peu fondre son droit à refuser des propositions qui ne correspondent en rien à sa formation, à sa sensibilité ou à son projet de vie. Qu'un ingénieur se retrouve à trier des cailloux, c'est une réalité que les chômeurs allemands connaissent déjà.
Il serait possible de poursuivre la liste des dépossessions
auxquelles sont soumis les chômeurs en soulignant que les abus des institutions sont très difficilement corrigés. Il faut le savoir : le chômeur se bat pour retrouver du travail mais aussi pour ne pas être exclu des institutions dont la mission est pourtant de l'aider. Ajoutons que dans une société où la priorité est donnée à la croissance de l'argent, le RMI permet simplement de survivre. Par conséquent le pouvoir d'action d'une personne sans emploi est considérablement limité. De plus, dans une société où le travail est la valeur suprême, l'homme ou la femme sans emploi passe immédiatement pour un parasite, pour un inutile. On perd beaucoup plus que de l'argent avec le chômage : on perd des amis, son mari ou sa femme, l'amour propre et la dignité sont également gravement atteints.
Nous n'avons pas ici l'espace pour décrire avec soins les contradictions auxquelles aboutissent d'une part les valeurs humaines que nos sociétés revendiquent et, d'autre part, la réalité que ces mêmes sociétés imposent à leurs citoyens. Notre rapide description a tenté de mettre en évidence qu'économiquement, socialement et symboliquement le chômeur est dépossédé de son existence. Et la dévalorisation de l'humain à l'œuvre à travers cette dépossession dépasse le cadre individuel, elle est sociétale et c'est à cette échelle qu'elle devrait être soignée en considérant l'être humain de manière globale et non pas seulement à partir d'une logique économique.
Quand l'argent ne pense plus qu'à l'argent, quand l'autonomie est traquée sous toutes ses formes et de toutes parts par des instances hégémoniques, quand l'individu est réduit à n'être qu'un simple rouage économique, quand les logiques financières écrasent la vie, il est nécessaire de répondre à des questions fondamentales telles que : Qu'est-ce qu'exister en tant qu'être humain ? Qu'est-ce que le ''Progrès'' ? Qu'est-ce qu'une ''Civilisation'' ? Car les réponses données par le monde dans lequel nous sommes contraints de vivre ne satisfont pas ceux pour qui l'existence correspond à une toute autre réalité que celle imposée par la compétition économique présentée comme la seule forme possible du vivre ensemble.
C'est un constat de l'ensemble des intervenants sociaux que l'on retrouve énoncé à présent même dans des articles de presse : tous les chômeurs éprouvent un sentiment de dépossession et ce sentiment ne fait qu'augmenter avec les années.
Le plus étonnant n'est pas tant de voir des femmes et des hommes déstructurés par l'intériorisation de l'exclusion qu'ils subissent mais bien de voir des professionnels du social s'étonner face à ce phénomène de dépossession. Essayons donc de préciser en quelques lignes ce qui ce passe dans ce trou, essayons d'éclairer de notre modeste torche l'obscurité d'un gouffre si proche.
Le nouvel arrivant au chômage comprend vite que les organismes censés l'aider sont en fait des machines chargées de mettre la pression de manière à ce qu'il disparaisse au plus vite de la liste des demandeurs d'emplois. Mépris, lourdeurs administratives, négations, mensonges, oublis, attitudes autoritaires ou arrogantes, désinformations font partie du mode relationnel imposé.
Si, pour maintes raisons (âge, formation insuffisante, "excès" de diplômes, spécialisation trop forte…) cet homme ou cette femme ne réussit pas à rapidement rebondir vers un autre métier, le chômeur va devoir subir une culpabilisation croissante. Étrangement, le chômeur est toujours responsable. Vous entendrez rarement une remise en question du système, un allégement de la responsabilité de l'individu. Bien que le problème soit collectif (le système étant incapable d'offrir le plein emploi) la solution, elle, passe par l'individu.
Voilà donc un chômeur de qui l'ANPE exige qu'il définisse un projet professionnel tout en le culpabilisant et en lui laissant de moins en moins la possibilité de refuser les emplois qui lui seraient proposés. Cette schizophrénie est générale, nous évoluons dans un monde où l'on vante la liberté et la démocratie alors que dans le même temps il devient de plus en plus difficile de s'approprier une vie différente de celle qui est imposée "de haut" par des pouvoirs politiques et économiques soucieux d'un contrôle toujours plus intime de chaque citoyen : contrôle des immigrations, vérification de la sincérité des mariages interraciaux, encadrement des démarches médicales, gestion des orientations professionnelles dès l'enfance, pour ne citer que quelques exemples.
Le nouvel arrivant dans l'autre monde, celui du chômage, va rapidement découvrir que dès l'instant où l'on débarque dans cet étrange pays le regard qu'anciennement on portait sur soi et que les autres vous portaient changent radicalement. Aspirations professionnelles, exigences, individuation de son parcours, droit de refus ne font plus partie du fonctionnement normal de l'individu. Celui-ci voit peu à peu fondre son droit à refuser des propositions qui ne correspondent en rien à sa formation, à sa sensibilité ou à son projet de vie. Qu'un ingénieur se retrouve à trier des cailloux, c'est une réalité que les chômeurs allemands connaissent déjà.
Il serait possible de poursuivre la liste des dépossessions
auxquelles sont soumis les chômeurs en soulignant que les abus des institutions sont très difficilement corrigés. Il faut le savoir : le chômeur se bat pour retrouver du travail mais aussi pour ne pas être exclu des institutions dont la mission est pourtant de l'aider. Ajoutons que dans une société où la priorité est donnée à la croissance de l'argent, le RMI permet simplement de survivre. Par conséquent le pouvoir d'action d'une personne sans emploi est considérablement limité. De plus, dans une société où le travail est la valeur suprême, l'homme ou la femme sans emploi passe immédiatement pour un parasite, pour un inutile. On perd beaucoup plus que de l'argent avec le chômage : on perd des amis, son mari ou sa femme, l'amour propre et la dignité sont également gravement atteints.
Nous n'avons pas ici l'espace pour décrire avec soins les contradictions auxquelles aboutissent d'une part les valeurs humaines que nos sociétés revendiquent et, d'autre part, la réalité que ces mêmes sociétés imposent à leurs citoyens. Notre rapide description a tenté de mettre en évidence qu'économiquement, socialement et symboliquement le chômeur est dépossédé de son existence. Et la dévalorisation de l'humain à l'œuvre à travers cette dépossession dépasse le cadre individuel, elle est sociétale et c'est à cette échelle qu'elle devrait être soignée en considérant l'être humain de manière globale et non pas seulement à partir d'une logique économique.
Quand l'argent ne pense plus qu'à l'argent, quand l'autonomie est traquée sous toutes ses formes et de toutes parts par des instances hégémoniques, quand l'individu est réduit à n'être qu'un simple rouage économique, quand les logiques financières écrasent la vie, il est nécessaire de répondre à des questions fondamentales telles que : Qu'est-ce qu'exister en tant qu'être humain ? Qu'est-ce que le ''Progrès'' ? Qu'est-ce qu'une ''Civilisation'' ? Car les réponses données par le monde dans lequel nous sommes contraints de vivre ne satisfont pas ceux pour qui l'existence correspond à une toute autre réalité que celle imposée par la compétition économique présentée comme la seule forme possible du vivre ensemble.