Le sentiment de dépossession du chômeur

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Modérateurs : superuser, Yves

superuser
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Le sentiment de dépossession du chômeur

Message par superuser »

Un texte proposé par Pwaab :


C'est un constat de l'ensemble des intervenants sociaux que l'on retrouve énoncé à présent même dans des articles de presse : tous les chômeurs éprouvent un sentiment de dépossession et ce sentiment ne fait qu'augmenter avec les années.

Le plus étonnant n'est pas tant de voir des femmes et des hommes déstructurés par l'intériorisation de l'exclusion qu'ils subissent mais bien de voir des professionnels du social s'étonner face à ce phénomène de dépossession. Essayons donc de préciser en quelques lignes ce qui ce passe dans ce trou, essayons d'éclairer de notre modeste torche l'obscurité d'un gouffre si proche.


Le nouvel arrivant au chômage comprend vite que les organismes censés l'aider sont en fait des machines chargées de mettre la pression de manière à ce qu'il disparaisse au plus vite de la liste des demandeurs d'emplois. Mépris, lourdeurs administratives, négations, mensonges, oublis, attitudes autoritaires ou arrogantes, désinformations font partie du mode relationnel imposé.
Si, pour maintes raisons (âge, formation insuffisante, "excès" de diplômes, spécialisation trop forte…) cet homme ou cette femme ne réussit pas à rapidement rebondir vers un autre métier, le chômeur va devoir subir une culpabilisation croissante. Étrangement, le chômeur est toujours responsable. Vous entendrez rarement une remise en question du système, un allégement de la responsabilité de l'individu. Bien que le problème soit collectif (le système étant incapable d'offrir le plein emploi) la solution, elle, passe par l'individu.

Voilà donc un chômeur de qui l'ANPE exige qu'il définisse un projet professionnel tout en le culpabilisant et en lui laissant de moins en moins la possibilité de refuser les emplois qui lui seraient proposés. Cette schizophrénie est générale, nous évoluons dans un monde où l'on vante la liberté et la démocratie alors que dans le même temps il devient de plus en plus difficile de s'approprier une vie différente de celle qui est imposée "de haut" par des pouvoirs politiques et économiques soucieux d'un contrôle toujours plus intime de chaque citoyen : contrôle des immigrations, vérification de la sincérité des mariages interraciaux, encadrement des démarches médicales, gestion des orientations professionnelles dès l'enfance, pour ne citer que quelques exemples.

Le nouvel arrivant dans l'autre monde, celui du chômage, va rapidement découvrir que dès l'instant où l'on débarque dans cet étrange pays le regard qu'anciennement on portait sur soi et que les autres vous portaient changent radicalement. Aspirations professionnelles, exigences, individuation de son parcours, droit de refus ne font plus partie du fonctionnement normal de l'individu. Celui-ci voit peu à peu fondre son droit à refuser des propositions qui ne correspondent en rien à sa formation, à sa sensibilité ou à son projet de vie. Qu'un ingénieur se retrouve à trier des cailloux, c'est une réalité que les chômeurs allemands connaissent déjà.

Il serait possible de poursuivre la liste des dépossessions
auxquelles sont soumis les chômeurs en soulignant que les abus des institutions sont très difficilement corrigés. Il faut le savoir : le chômeur se bat pour retrouver du travail mais aussi pour ne pas être exclu des institutions dont la mission est pourtant de l'aider. Ajoutons que dans une société où la priorité est donnée à la croissance de l'argent, le RMI permet simplement de survivre. Par conséquent le pouvoir d'action d'une personne sans emploi est considérablement limité. De plus, dans une société où le travail est la valeur suprême, l'homme ou la femme sans emploi passe immédiatement pour un parasite, pour un inutile. On perd beaucoup plus que de l'argent avec le chômage : on perd des amis, son mari ou sa femme, l'amour propre et la dignité sont également gravement atteints.

Nous n'avons pas ici l'espace pour décrire avec soins les contradictions auxquelles aboutissent d'une part les valeurs humaines que nos sociétés revendiquent et, d'autre part, la réalité que ces mêmes sociétés imposent à leurs citoyens. Notre rapide description a tenté de mettre en évidence qu'économiquement, socialement et symboliquement le chômeur est dépossédé de son existence. Et la dévalorisation de l'humain à l'œuvre à travers cette dépossession dépasse le cadre individuel, elle est sociétale et c'est à cette échelle qu'elle devrait être soignée en considérant l'être humain de manière globale et non pas seulement à partir d'une logique économique.
Quand l'argent ne pense plus qu'à l'argent, quand l'autonomie est traquée sous toutes ses formes et de toutes parts par des instances hégémoniques, quand l'individu est réduit à n'être qu'un simple rouage économique, quand les logiques financières écrasent la vie, il est nécessaire de répondre à des questions fondamentales telles que : Qu'est-ce qu'exister en tant qu'être humain ? Qu'est-ce que le ''Progrès'' ? Qu'est-ce qu'une ''Civilisation'' ? Car les réponses données par le monde dans lequel nous sommes contraints de vivre ne satisfont pas ceux pour qui l'existence correspond à une toute autre réalité que celle imposée par la compétition économique présentée comme la seule forme possible du vivre ensemble.
Invité

Chapeau !

Message par Invité »

Trés bien écrit, un tantinet politicard mais chapeau !

Invité
tristesir

Message par tristesir »

Le travail nous ecrase encore plus, depuis qu'il y en a plus pour tout le monde. curieux non?
dawn84

Message par dawn84 »

A force d'être dépossédé(e)s de tout, les chômeurs(ses) n'auront bientôt plus rien à perdre...
... alors ils(elles) prendront la rue...
...tous ensemble...
... et c'est sans pitié aucune qu'ils(elles) reprendront leur droits...

Plus dure sera la chute pour la France d'en haut, celle qui ne voit plus celle d'en bas, tout en bas, qui ne voit plus que les Kilo-Euros de leurs comptes en banque...

Et c'est bien... cette idée me plait... je ne jette plus ni mon verre, ni mes chiffons, et vous ???
tranquilledeuz

Message par tranquilledeuz »

J'ai bcp apprécié ce texte. Personnellement, ce sentiment de "dépossession", je le lie plutôt au fait que chaque personne rencontrée (les recruteurs, plus d'autres qui ont leurs certitudes) se pose en justicier, mais qu'en fait ils ne voient rarement que plus loin du bout de leur nez ou de leur propre structure. Chaque aspect de nous-même peut devenir un défaut ou une insuffisance. Ce n'est pas la peine d'essayer de modifier ou même d'expliquer, car c'est tout à fait aléatoire, et souvent injustifié ; pour faire très simple : dans la rue, quand je mets un bonnet, certains vieux ont peurs. Quand je mets une jupe, certains hommes m'ouvrent la porte. Les commentaires des recruteurs sont parfois du même ressort... Et puis, on est nombreux à "candidater"...
gérard
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Chapeau !

Message par gérard »

Invité a écrit :Trés bien écrit, un tantinet politicard mais chapeau !

Invité
Pour ma part, je ne vois rien de "politicard" dans ce (très bon) texte...

Bien évidemment, il a une dimension politique ; comment pourrait-il en être autrement ?

Il ya a là un enjeu de taille ; comment parvenir à "interpeler le politique" sans être taxé de "politicard" ? Il me semble qu'aucune réelle mobilisation ne pourra exister tant qu'une part suffisante des citoyens n'aura pas dépassé les frilosités poujadistes primaires (pléonasme ?).
P.PERRIN

Message par P.PERRIN »

Le sentiment de dépossession du chômeur
C’est un très bon résumé sur les textes fondateurs de la «république» bafoués et piétinés.
Vous remarquerez que les plus virulents «opposants» à cette «république» ne critiquent jamais la non application des ses textes fondateurs. Comme s'ils avaient un poids sur la conscience…. Alors que la République a les moyens matériels de faire respecter le texte crucial ci-dessous.

« - Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »

P.PERRIN
gérard
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Message par gérard »

P.PERRIN a écrit :C’est un très bon résumé sur les textes fondateurs de la «république» bafoués et piétinés.
Oui, on peut peut-être le lire comme ça...

Mais il me semble que ce texte va beaucoup plus loin. C'est peut-être dommage, "P.PERRIN" (pour toi, avant tout) que tu le réduises à la seule dimension sur laquelle chacun peut voir à quel point tu te focalises.

Ne vois surtout rien d'agressif dans mon propos ; je veux seulement te mettre en garde contre le danger de ce que je ressens comme une monomanie. Disons, au minimum, que tu aurais tout à gagner à relever ce qui concerne les scandales que tu dénonce (à juste titre) et aussi d'autres aspects de la problématique du chômage (problématique dans son sens plein, cad situation posant problèmes résultant d'un ensemble de dysfonctionnements).
P.PERRIN

Message par P.PERRIN »

La monomanie, c’est de prendre les exclus pour des cons en leur disant: « vos problèmes sont dus au libéralisme et au patrons vampires ». C’est plus que de la monomanie, c’est un cynisme criminel et intéressé.

Alors que ces même exclus sont censés être dans une république qui doit assurer l’égalité entre les citoyens. Une république qui recouvre des impôts a cet effet et dont les patrons vampires s’acquittent même si certaines baisses d’impôts sont contestables.

Les institutions prévoient de palier à ces « ensemble de dysfonctionnements » et les pouvoirs publics ne font pas fonctionner les institutions dans ce sens.
Mais ces mêmes personnes qui s’occupent des pouvoirs publics savent très bien faire fonctionner les institutions pour eux-mêmes.

P.PERRIN
Monolecte

Message par Monolecte »

C'est également monolythique que de rabacher à longueur de post la même rengaine qui réduit tous les problèmes à la seule responsabilité de l'État, sorte d'entitée mal définie mais dont on comprend que c'est un repère de brigands.

A contrario, on peut en déduire que les ch'tites patrons, c'est des coeurs d'artichauds poussés par les vilains vampires de la République au pires extrémités comme ne pas être généreux avec leur ch'tites n'ouvriers alors que naturellement, ils leur fileraient leur chemise...

Si c'est pas prendre les pauvres pour des cons...

On a tous bien compris que les choses sont malheureusement plus complexes que cela, sinon, la solution serait évidente et toute trouvée.
Tous les élus ne sont pas des gougnafiés, pas plus que tous les patrons ne sont pas des salauds ou que tous les salariés des gens bosseurs et irréprochables.
Il ne sert à rien de jeter l'anathème sur l'une ou l'autre des composantes de notre société puisque, jusqu'à nouvel ordre, on est tous sur le même rafiot et que quelque soit le régime en place, on doit tous vivre ensemble!
gérard
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Message par gérard »

P.PERRIN a écrit :Les institutions prévoient de palier à ces « ensemble de dysfonctionnements » et les pouvoirs publics ne font pas fonctionner les institutions dans ce sens.
Eh ben non, justement !

Si on considère la sous-problématique du chômage des "seniors" (sujet que j'ai la faiblesse de prétendre connaître un peu...), il existe dans l'ensensemble des dysfonctionnements des causes... disons d'ordre psycho-socio que les institutions n'ont jamais prévu de palier.

Je ne nie absolument pas la lourde responsabilité des "pouvoirs publics" dans ce domaine et dans celui du chômage en général (encore que si j'écrivais "sous-emploi" au lieu de "chômage", on pourrait s'interroger sur la responsabilité de l'Etat... autre sujet...).

Je dis seulement "attention ; tout ne vient pas de là !"

La mise en garde me semble d'importance :
- pour "P.PERRIN" (mais s'il ne veut pas l'entendre, ça le regarde) ;
- plus généralement pour tous ceux qui, à sa suite, focaliseraient sur sa thèse - pas fausse au demeurant -, au risque d'oublier qu'il existe bien d'autres "fronts".

J'ajoute que l'intention de mon précédent message était de faire comprendre à P PERRIN (de façon plutôt "soft", me semble-t'il) qu'il a déjà suffisamment développé son point de vue sur d'autres files pour s'abstenir de le renouveler dans celle-ci. A tort ou à raison, il me semble que le message initial tel que reposté par Sophie promettait des échanges fructueux dans un tout autre registre.

Si on essayait le les laisser se développer ? :wink:
chris

le sentiment de depossession du chomeur

Message par chris »

oui , tout a fait d accord , c est tellement comfortable de voir les choses en noir ou blanc et refuser la complexité du gris .
on peut dire , patronsalaud , mais quel est le rapport entre une strategie de multinationale , une pme ou meme une scoop et c est valable a tous les niveaux ;
P.PERRIN

Message par P.PERRIN »

Tous les élus ne sont pas des gougnafiés
On ne sait pas si tous les élus sont des gougnafiers, par contre on sait que pas un seul ne demande à l’état d’intervenir financièrement en direction des chômeurs ou des handicapés. Pas un seul. Ça, c’est une certitude. Qu’il soit élu ou médiatique militant altermachin.

Et si ce n’est pas à l’état d’assurer la stabilité sociale et l’égalité des citoyens, c’est à qui?
sorte d'entitée mal définie
Pourquoi une entité mal définie ? c’est pratique «l’entité mal définie» ou les institutions incontrôlables derrière lesquelles se planquent les responsables de nos problèmes.

On a d’ailleurs actuellement un bel exemple avec la justice. Ou un médiatique juge se planque lâchement derrière l’institution pour fuir ses responsabilités. Et des députés qui font semblant de découvrir les dérives d’une institution comme la justice, alors que des affaires similaires à Outreau encombrent leurs archives !!

Gougnafiers, vous avez dit ? Le mot est faible, pour moi , c’est ordures !

P.PERRIN
Monolecte

Message par Monolecte »

Stricto senso, PERRIN est un troll. C'est à dire qu'il poste toujours la même chose, quel que soit le sujet de début.
Ce faisant, il ferme tout sujet de discussion en le ramenant à toujours la même chose.

A quand l'inscription obligatoire?
Invité

Message par Invité »

La monomanie, c’est de prendre les exclus pour des cons en leur disant: « vos problèmes sont dus au libéralisme et au patrons vampires ». C’est plus que de la monomanie, c’est un cynisme criminel et intéressé.
Quand on arrive à mettre un nom sur sa "maladie" on est deja à moitie gueri :)

la denonciation de gens bien definis, syndicalistes,hommes politiques comme les seuls responsables de la precarite des exclus est une recette bien eprouvee. D'autres preferent designer les immigres comme l'origine de l'exclusion qui frappent <<les francais de souche>>. frappes par la precarité.

Mais ceci dit, je peux comprendre qu'on soit tres en colere,outré, de voir ce qui se passe au sein de l'Etat alors
qu'on a 3 euros pour manger tous les jours, mais si
on se promene dans des quartiers chic de paris et que l'ont voit tout ce luxe tapageur, on a le meme degout en pensant qu'il y'a des gens qui peuvent depenser autant d'argent pour des vetements, une voiture, pour l'additon dans un resto...
tandis que d autres, de plus en plus nombreux, vont tendre ,deux fois par semaine, la main au resto du coeur et que pour la plupart la seule chose qui peuvent attendre c'est un emploi sous-paye, un smic plein temps s'ils ont de la chance.

Tous le monde n'est pas assujetti aux minima sociaux en france, à paris la misere la plus noire (j ai encore vu une tente posee à l angle d une rue du 13eme arrondissemnt à paris aujourdhui) cotoie le luxe le plus extreme. Mais il n'y a rien d'illegal, tout le systeme est construit comme cela, c'est cela qui me choque le plus.

Le fait que certains elus (et fonctionnaires) aient des privileges (memes pas illegaux le plus souvent), n'aient qu un effet secondaire de l'injustice intrinseque de ce systeme,
Le capital recompense les larbins qui font le sale boulot pour lui permettre de se maintenir et de prosperer.

Qu'un homme politique soit paye des milliers d euros et qu'il ait une voiture de fonction (et parfois un appartement de fonction) serait anormal mais qu'un pdg de grande entreprise qui apres avoir fait le sale boulot qu on lui demandait, "restructurer" (licencier en masse) une entreprise, soit debarque et recoivent parfois des millions d'euros en remerciement des services accomplis (alors que par ailleurs on demande aux salaries de se serrer la ceinture) tout ceci devrait etre considere comme normal.

Il ne faut pas se tromper de cibles, les hommes politiques vont et viennent, le systeme lui reste, et ils ne sont que des epiphenomenes interchangeables.
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