Déficit : des milliards pour acheter la paix sociale

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Déficit : des milliards pour acheter la paix sociale

Message par Yves »

PAR MARC DURIN-VALOIS

[Source : Le Figaro du 23 décembre 2005]

L'endettement colossal de la France se mesure en milliers de milliards d'euros. Mais à qui a profité la manne ? Réponse : à toute une génération. La fête étant finie, ce sont ses enfants qui doivent se préparer à l'austérité.

Jean de La Fontaine n'avait pas imaginé un scénario aussi vertigineux pour sa cigale. Un endettement abyssal de 1.100 milliards d'euros, chiffre qui résume la gravité de l'état financier de la maison France. Quant aux engagements latents envers les fonctionnaires, ils font monter la note à 2.000 milliards. A ce stade, pour ne pas perdre son sens commun financier, mieux vaut se poser les questions de base d'un foyer surendetté.

Où est passé l'argent et qui en a profité ? On sait que la situation est différente selon que le chef de famille a mal géré les dépenses quotidiennes, ou au contraire a surinvesti en actions ou en immobilier par exemple. Il y a ainsi de bonnes et de mauvaises dettes. Dans le cas de la France malheureusement, le diagnostic est vite fait : non seulement la gestion en «père de famille» de nos finances publiques a creusé un déficit cumulé gigantesque, mais de surcroît, cette manne a disparu, pour sa très grande partie, en... fumée !

Plutôt que d'investir dans les pôles de croissance futurs, la recherche et le développement par exemple, les différents gouvernements ont bien souvent utilisé le crédit pour les dépenses courantes, qui n'ont jamais cessé de croître (+ 2,8% par an). Et au final, ce sont les bijoux de famille qui se retrouvent gagés : selon le récent rapport Pébereau remis au ministre de l'Economie, le patrimoine net des administrations publiques n'a cessé de s'évaporer, passant de 807 à 289 milliards d'euros entre 1980 et 2002 (soit une baisse de 64%). Pendant ce temps, la dette augmentait de manière exponentielle, passant, en vingt-cinq ans, de 20% à 66% de notre produit intérieur brut (c'est-à-dire les deux tiers de notre revenu annuel). Soit 6 points au-dessus des critères de Maastricht, plaçant la France parmi les cancres de la classe européenne !

Un encombrant héritage

Dès lors, qui a profité du système ? La réponse, c'est tout le monde ! Ou plus exactement toute une génération. «Les baby-boomers, en refusant de faire des sacrifices, ont hypothéqué sans état d'âme le devenir des générations futures. C'est exactement comme dans une famille où des parents prodigues auraient dépensé sans compter pour leur confort, leurs loisirs et leur chaîne hi-fi en refilant les dettes... aux héritiers !», remarque ce haut fonctionnaire du budget. La qualité de vie, l'abaissement du temps de travail à 35 heures, le traitement optimisé du chômage ont été ainsi financés par des emprunts, qui devront être payés rubis sur l'ongle dans l'avenir. De quoi alimenter les inquiétudes de nos trentenaires, qui craignent déjà de passer deux fois à la caisse : pour eux, et pour ces parents prodigues ayant fait bombance. «Mais la dette nous a permis aussi d'échapper à la récession et à la paupérisation des services publics», rappelle de son côté l'économiste Jean-Paul Fitoussi. Histoire de ne pas tout voir en noir.

Gagnants inattendus : les marchés financiers

On oublie trop souvent que face à un emprunteur débridé existe toujours un créditeur. Les marchés financiers ont bénéficié de la manne. «C'est comme un banquier qui, misant sur les agios, aurait toujours plus prêté, chaque année, sans demander de remboursement de capital», dit le sénateur Alain Lambert, ancien ministre du Budget et membre de la commission Pébereau. Et la situation fait froid dans le dos : le remboursement de cette dette constitue aujourd'hui le deuxième poste de dépense de notre budget (entre 40 et 45 milliards d'euros), juste après l'Education nationale ! Encore ne s'agit-il que du remboursement des intérêts. Pour le remboursement du capital, il faut à nouveau emprunter !


Cette dette colossale intéresse les étrangers en quête de créances à risque limité. En octobre dernier, les bons du Trésor et autres obligations de l'Etat étaient détenus par plus de 55,2% de résidents hors de France. La répartition par zones géographiques n'est pas publique, mais on sait que les fonds de pension (européens et américains) financent lourdement nos déficits. Selon quelques indiscrétions, un nouvel intervenant se profilerait depuis peu en force. «La Banque centrale de Chine, souligne ce spécialiste, place ses excédents commerciaux dans les déficits des pays riches, notamment celui de l'Etat français.» Ce qui au passage en dit long sur les nouveaux rapports de force qui s'établissent avec ce pays, devenu l'un des créditeurs de l'Occident.

Difficile pour autant de se plaindre de l'engouement des résidents étrangers. «Dans le cas où il y aurait une baisse de confiance, la hausse d'un seul point des intérêts nous coûterait 10 milliards d'euros», rappelle Alain Lambert. A ce prix-là, on irait vendre la dette française au bout du monde, comme un vulgaire Airbus ! En attendant, Standard & Poors a rétrogradé la France dans sa liste des bons emprunteurs, faute de savoir gérer ses déficits. Frissons garantis dans l'avenir.

Fonctionnaires responsables mais pas coupables

La population ayant, à l'évidence, bénéficié du système, reste la responsabilité des agents de l'Etat et assimilés. Non seulement en termes de rémunérations, d'avantages, de retraites, mais aussi de recrutements. Si le chiffre de 300.000 embauches supplémentaires sur vingt-cinq ans est cité pour l'Etat, il ne tient pas compte des recrutements dans l'administration territoriale (455.000), et celle des hôpitaux (200.000), qui portent le total à 955.000.

Pour autant, les économistes s'accordent à reconnaître que la croissance de cette population - source des coûts budgétaires mais en aucun cas coupable - est d'abord la résultante d'un consensus social. «Il suffit d'observer, dans les hôpitaux, les services de sécurité, l'économie, le dévouement des fonctionnaires pour constater que le problème ne relève pas de l'état d'esprit de cette collectivité», rappelle l'économiste Jean-Paul Fitoussi. Raisonnement similaire du chef économiste du Crédit agricole, qui en tire une autre conséquence : «Réduire cette population de manière comptable aboutirait à une absurdité, dit Jean-Paul Betbeze. Il faut revoir toute l'organisation avec les administrés dans une logique de guichets uniques qui induira automatiquement des économies de personnel et des réaffectations productives.»

Idéologie de la dépense

«Ce qui est frappant, note ce haut fonctionnaire du budget, c'est que l'idéologie de la dépense publique est devenue l'opium du peuple !» Le simple bon sens qui voudrait qu'au départ de chaque ministre on fasse connaître le bilan financier de son ministère comparé à celui du moment de son arrivée n'existe pas. Témoin de cette irresponsabilité, le système des «cagnottes» (ces trop-pleins de recettes fiscales) aussitôt restituées plutôt que d'être consacrées à la diminution de la dette. Sans oublier le saupoudrage à motivation électorale, autre mal français. La prime pour l'emploi distribuée à 9 millions de foyers pour quelque 23 euros par tête de pipe est emblématique : résultat médiocre garanti pour un coût exorbitant !

Les administrations se sont, de leur côté, habituées à vivre à crédit. «Le niveau des dépenses publiques en France est désormais le plus élevé de la zone euro», note le rapport de Michel Pébereau. Le pire est le côté récurrent de la dépense. «Chaque dette finance des dépenses qui deviennent structurelles», note Alain Lambert.


Qui est responsable ? Les socialistes soutiennent que les déficits ont dérivé sous les gouvernements de droite. Celle-ci rétorque que les dépenses publiques sous les gouvernements de gauche ont dérivé de 8% contre une moyenne de 7,2% sur vingt-cinq ans. «Et les dépenses de la gauche se poursuivent des années durant, note Alain Lambert. Par ailleurs, les socialistes au pouvoir ont bénéficié d'embellies conjoncturelles masquant la progression des dépenses.»

«la dette sert à gagner du temps»

Tout d'ailleurs n'est pas noir dans ces engagements depuis vingt-cinq ans. «Des infrastructures de transports remarquables ont été créées, rappelle Jean-Paul Betbeze, notre système de formation n'a pas à rougir de ses résultats, le système de santé a été préservé. Mais la dette sert à éviter les réformes trop sévères, à gagner du temps. Or, nous n'avons plus le temps !» Diagnostic moins sévère de Jean-Paul Fitoussi : «Le niveau d'endettement n'est pas insoutenable. Et nous sauvegardons grâce à lui, et malgré un chômage de masse, la paix sociale», souligne-t-il.

Argument que balaye Alain Lambert avec un sourire : «Cela ne viendrait à l'idée de personne d'acheter la paix avec ses voisins en utilisant le carnet de chèques de ses enfants !»
Invité

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:roll:
tristesir

Message par tristesir »

Cette dette colossale intéresse les étrangers en quête de créances à risque limité. En octobre dernier, les bons du Trésor et autres obligations de l'Etat étaient détenus par plus de 55,2% de résidents hors de France.
Donc 44,8% detenus par des residants en France.
Je me demande si ceux qui preconisent de baisser le nombre de fonctionnaires (et donc de continuer le saccage/demontage des services publics) et autres joyeusetes anti sociale, n ont pas dans
leur bas de laine, un paquet de bons du tresor.

Ainsi, les actionnaires-profiteurs gagnent sur tous les tableaux:
Ils se goinfrent sur le malheur de la france (economie en berne, chomage en hausse) car ils sont aussi les creanciers de leur propre pays et parallelement l'Etat qui est leur debiteur leur fait des cadeaux fiscaux: baisse d impots substantielles, tout cela legalement avec la benediction de tous les gouvernements.
Monolecte

Autre source, autre vision des choses

Message par Monolecte »

Après le point de vue du Figaro, celui de l'Huma
Dette publique :le libéralisme en faillite
Par Jean-Marie Harribey, économiste à l’université de Bordeaux-IV

Un débat chasse l’autre, mais les mêmes errements reviennent pour mêler la question de la dette publique à celle des retraites. Le ministre de l’Économie, Thierry Breton, affirme que la dette des administrations publiques n’est pas de 1 100 milliards d’euros mais de 2 000 milliards, car il faut y ajouter les engagements de l’État à l’égard des fonctionnaires et des agents des entreprises publiques actuellement en activité lorsqu’ils feront valoir leurs droits à la retraite.

Le rapport de Michel Pébereau, même s’il est plus discret sur le bien-fondé de cette addition, fait état du même problème et estime entre 790 et 1 000 milliards ces engagements supplémentaires.

Certains vont encore plus loin : Pascal Gobry, membre de l’Institut des actuaires, affirme que « la France est en faillite », car cette dette est de « 3 000 milliards au bas mot ». Il écrit (le Monde, 16 décembre) : « L’estimation des engagements en matière de retraites doit répondre à la question : et si tout s’arrêtait à la seconde, si on ne recrutait plus, si les gens en activité exigeaient soudain leurs droits à retraite, et si on payait toutes leurs retraites aux déjà retraités, jusqu’à leur décès ? Combien cela coûterait-il ? » On peut répondre tranquillement : zéro. Parce que la question est absurde. Si tout s’arrêtait, si plus aucun travailleur ne travaillait, rien ne serait produit, aucun revenu ne serait engendré et il n’y aurait rien à distribuer, ni en salaires, ni en retraites, ni en profits. Pour montrer l’étendue de la « faillite de l’État », l’auteur poursuit : « Même s’il vendait à des Japonais le château de Versailles au prix fort, la tour Eiffel, le musée du Louvre, tout son patrimoine, l’État français ne pourrait honorer ses engagements sur les retraites et les salaires. » Ainsi se perpétue l’erreur consistant à croire que les revenus sont versés en prélevant sur un stock, alors qu’ils sont un flux engendré par l’activité productive courante. Ainsi refait surface la conception qui a inspiré les réformes Balladur de 1993 et Fillon de 2003 : transformer le système des retraites par répartition fondé sur la mutualisation d’une part de la richesse produite en un système d’épargne individuelle, tout en laissant croire qu’individus et État mettent des sous dans un bas de laine pour les exhumer au moment voulu.

Les engagements envers les salariés du public, comme ceux du privé - ce que le ministre s’est bien gardé de dire -, sont gagés sur le flux de la production future et non pas sur un stock accumulé, ni sur le flux présent, ni a fortiori sur le mirage de fonds de pension stériles. Et le respect de ces engagements dépendra de l’évolution de la production et surtout de sa répartition entre masse salariale et profits.

Cette erreur est à la racine de l’imbroglio théorique et de la mystification politique entourant hier la question des retraites et aujourd’hui celle de la dette que le ministre veut amalgamer. On ne peut ajouter la dette financière de l’État et les engagements de la collectivité à verser des retraites. L’État ne verse aucun intérêt sur les sommes correspondant à ces engagements. Et si, un jour, il devait en payer, ce serait parce qu’il refuserait d’augmenter les cotisations vieillesse pour ne pas contrarier les actionnaires et s’obligerait alors à se tourner vers les marchés financiers sur lesquels des fonds de placement s’empresseraient d’acheter les obligations d’État.

La vraie dette, c’est celle qu’il faudra rembourser, sauf dénonciation, celle qui absorbe aujourd’hui sous forme d’intérêts (40 milliards d’euros annuels) la totalité de l’impôt sur le revenu. Est-elle trop élevée, croît-elle trop vite par rapport au PIB, puisqu’elle atteint l’équivalent de 66% de celui-ci ? Est-elle le « fardeau légué aux générations futures » si souvent dénoncé ? Par définition, une créance de même montant est transmise simultanément à une dette. Si, comme tout le laisse à penser, les classes aisées achètent les obligations d’État, leurs descendants en hériteront. Où est le problème ? Il naît lorsque la structure de la fiscalité est telle que ce sont les classes pauvres qui paient et paieront l’impôt dans une proportion inverse à ce que commanderait la justice, parce que l’impôt indirect non progressif est prédominant par rapport à l’impôt direct progressif. Le « fardeau » de la dette publique n’est pénalisant qu’en raison d’une fiscalité redistributive à l’envers et non pas à cause du montant de la dette. Et cela d’autant plus que les nouveaux emprunts des collectivités publiques ont pour but non de réaliser des investissements d’avenir (éducation, recherche, écologie, etc.), mais de couvrir un service de la dette antérieure de plus en plus lourd, pendant qu’on allège constamment la fiscalité sur les riches. Jacques Marseille a beau affirmer (le Monde, 13 décembre) que « la lutte des classes n’est pas entre les bourgeois et les prolétaires, elle est entre les créanciers et les débiteurs », tout montre que les bourgeois sont les créanciers et qu’échoit aux prolétaires la tâche d’endosser la dette publique, laquelle n’est jamais qu’une créance privée.

L’interdiction faite à la Banque centrale européenne de créer de la monnaie pour financer les dépenses collectives (qui était consacrée par l’article III-181-1 de l’ex-projet de traité constitutionnel) est cohérente avec une politique qui s’obstine à nourrir la rente financière aux dépens des emplois utiles et laisse monter le chômage dont sont victimes ou menacés ceux qui devront prendre en charge la dette grossie au fil des ans à cause de la baisse des impôts et de l’écart positif entre les taux d’intérêt et le taux de croissance économique. Politique cohérente aussi avec la libre circulation des capitaux, qui permet à des résidents de posséder autant d’avoirs extérieurs que les non-résidents en possèdent en France, phénomène interdisant d’invoquer une dépendance vis-à-vis de l’étranger.

La France n’est donc pas en faillite, quoi qu’en disent les Cassandre du déclin ; l’État non plus, car le solde primaire (hors intérêts) de son budget est proche de l’équilibre. En revanche, le libéralisme est en faillite : en tant que doctrine qui n’a aucune portée heuristique, et en tant que projet normatif pour une société dont il programme le délitement. Face à cela, et en réponse à l’augmentation de la dette, il faudra une double révolution : fiscale, pour récupérer les intérêts, et monétaire, pour maîtriser la Banque centrale. Le principe en avait été posé par Keynes il y a soixante-dix ans : l’euthanasie des rentiers.

Par Jean-Marie Harribey, économiste à l’université Bordeaux-IV.
Pour la conclusion, je la trouve un peu... raide!
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