France - Rapport annuel 2005
Création de nouveaux délits de presse, interdiction de la chaîne libanaise Al-Manar, adoption d’une loi répressive sur l’Internet, inquiétudes concernant la protection du secret des sources, des journalistes molestés ou blessés : la liberté d’expression a été au cœur des débats en France en 2004.
Après de multiples circonvolutions juridiques, le Parlement a fini par adopter, le 30 décembre 2004, une loi portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, qui modifie également la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Ce texte définit de nouveaux délits d’opinion en stipulant que désormais la provocation à la haine ou à la violence, la diffamation ou l’injure « à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap » seront sanctionnées par une peine maximale d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Alors que la loi Guigou avait supprimé, en 2000, les peines de prison pour des délits de presse tels que la diffamation, l’injure ou l’offense, cette loi constitue un véritable retour en arrière. Elle va également à contre-courant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dont les décisions se fondent davantage sur le principe de la liberté d’expression que sur les restrictions à ce principe.
Le Conseil d’Etat a sommé, le 13 décembre 2004, l’opérateur de satellite Eutelsat de cesser de diffuser la chaîne de télévision libanaise Al-Manar dans les 48 heures. La plus haute juridiction administrative a constaté la diffusion de programmes qui « s’inscrivent dans une perspective militante, qui comporte des connotations antisémites ». Reporters sans frontières, tout en condamnant fermement certains propos tenus sur la chaîne, a estimé que cette décision n’était pas la bonne et qu’une question aussi importante méritait le « temps de la réflexion et un véritable débat ».
Le 11 février, le projet de loi Perben a été définitivement adopté par l’Assemblée nationale. Le texte est positif pour la liberté de la presse dans la mesure où ont été abrogés, conformément à la jurisprudence de la CEDH, le délit d’offense à chef d’Etat étranger et l’article 2 de la loi du 2 juillet 1931, qui interdisait la publication, avant décision judiciaire, de toute information relative à des constitutions de partie civile.
Une inquiétude demeure cependant quant à l’utilisation qui sera faite des pouvoirs de réquisition supplémentaires accordés aux officiers de police judiciaire, aux procureurs de la République et aux juges d’instruction. Les articles 80 et 116 du texte adopté disposent que lorsque les réquisitions concernent les entreprises de presse, « la remise des documents ne pourra intervenir qu’avec leur accord ». Si elles ne répondent pas à ces réquisitions, elles ne s’exposeront pas à l’amende de 3 750 euros prévue en cas d’absence de réponse « dans les meilleurs délais ». Les journalistes en revanche, considérés comme de simples « personnes », sont tenus de répondre aux réquisitions.
Reporters sans frontières a tenté de faire étendre la procédure prévue à l’article 56-2 du code de procédure pénale - à savoir l’exigence de la présence d’un magistrat en cas de perquisition dans les locaux d’une entreprise de presse - au domicile du journaliste. Mais ni les sénateurs, ni les députés n’ont adopté l’amendement proposé par l’organisation. Ce texte fait donc peser une véritable menace sur le secret des sources des journalistes indépendants et d’investigation qui conservent chez eux bon nombre de leurs informations. Dès lors que ceux-ci seront « susceptibles de détenir des documents intéressant l’enquête », ils seront tenus de les remettre à l’officier de police judiciaire ou au procureur qui en fera la demande dans le cadre d’une enquête préliminaire ou au juge d’instruction. S’ils refusent, ils devront payer une amende de 3 750 euros.
La loi sur la confiance dans l’économie numérique (LEN) a été adoptée par les parlementaires, le 13 mai, puis amendée et validée, le 13 juin, par le Conseil constitutionnel. Ce texte représente une menace pour la liberté d’expression sur le Net. L’article 2 de la LEN, qui touche à la responsabilité des prestataires techniques d’Internet, est particulièrement inquiétant. La loi stipule que les hébergeurs sont responsables des contenus diffusés à partir de leurs serveurs. Cette responsabilité pénale pourra être engagée si le prestataire n’a pas agi avec promptitude pour bloquer des contenus après avoir eu la connaissance effective de leur caractère « manifestement illicite ».
Une fois alerté sur un contenu, l’hébergeur est donc tenu de se prononcer sur son caractère licite et, le cas échéant, de prendre les mesures appropriées pour en interdire l’accès. Les spécialistes d’Internet s’accordent à dire que les hébergeurs, qui dénoncent ce texte de loi, seront poussés à bloquer tout contenu susceptible d’être illicite de peur que leur responsabilité pénale ne soit engagée.
Neufs journalistes agressés
Jérôme Florenville, preneur de son, Jean-Yves Charpin, cameraman, et Hervé Bouchaud, journaliste de l’émission « 90 Minutes », sur la chaîne privée Canal+, ont été agressés le 11 mars par des membres d’une école coranique sur laquelle ils réalisaient un reportage, à Grisy-Suisnes (Seine-et-Marne). Les journalistes enquêtaient depuis six mois sur le mouvement Tabligh (musulman, piétiste et prosélyte). Alors que ses confrères n’ont été que légèrement blessés, Jérôme Florenville, frappé à coups de manche de pioche, a été hospitalisé pour des fractures multiples du nez et de la paroi orbitale. Les journalistes, ainsi que Canal +, ont porté plainte.
Trois journalistes ont été molestés par des CRS (police nationale), le 15 mai, alors qu’ils couvraient une manifestation devant un commissariat de Cannes en soutien à plusieurs de leurs camarades interpellés plus tôt dans la journée, lors de l’occupation d’un cinéma par des intermittents du spectacle et des sympathisants à leur cause. Gwenaël Rihet, cameraman de la chaîne publique France 3, a été jeté à terre et menotté par la police avant d’être conduit dans un poste de police. Il a été libéré quelques heures plus tard et hospitalisé dans la nuit suite à des blessures à la tête. La chaîne a porté plainte. Une journaliste de l’Agence France-Presse (AFP) a été brutalement repoussée par des CRS alors qu’elle tentait d’intervenir en faveur de son confrère et un reporter norvégien a rapporté avoir également été malmené par la police.
Par ailleurs, Georges Bartoli, photographe pigiste pour l’agence de presse Reuters, a été blessé aux jambes par des éclats de grenade, le 25 septembre, alors qu’il couvrait une manifestation de militants anti-OGM dans la Vienne. Selon lui, il était clairement identifiable comme photographe, portant un brassard de presse et deux appareils photo autour du cou, et se tenait à distance des manifestants, quand une grenade assourdissante a été lancée dans sa direction. Le photographe a été superficiellement blessé aux jambes. Alain Darrigrand, journaliste reporter d’images pour France 2, et Christophe Garnier, des chaînes privées LCI et TF1, ont également affirmé avoir été délibérément pris pour cibles par les forces de l’ordre pendant cette manifestation.
site très intéressant de reporters sans frontières :
http://www.rsf.org/article.php3?id_article=13245