Elle m'avait effectivement interviewé il y a un peu plus d'un mois, et je me demandais si elle arriverait à boucler son article (ou si le chef éditorialiste là-dedans ne le censurerait pas).
D'autant qu'elle s'occupait en général des articles liés à l'immobilier, et ça n'a juste rien à voir. Il a fallu que j'explique beaucoup de choses dans le détail.
Mais, heureusement, elle n'a visiblement pas eu son diplôme de journaliste, elle, dans une pochette-surprise.
L'article est superbe, et apporte quelques éléments nouveaux, notamment le nombre de sanctions dans le Nord, département que je lui avais indiqué.
(@mason : vous avez quand même de la chance d'être dans le département d'à côté, et de plus à l'ASS)
Et confirmation, comme je m'en doutais depuis un bon moment, que le taux de succès des recours amiables est proche ou égal à 0 %.
Je crois aussi qu'elle a retenu mes propos peu avenants sur la "gauche de droite" (certains départements PS étant très négativement connus ici : 66, 34, 07, 04, 70, etc.),
ce qui apparaît discrètement dans "avec l’accord de ceux, à gauche,".
Benoît Hamon, il est tout seul ou presque, au PS, il faut bien le réaliser.
Je n'ai pas été cité. Je crois que madame n'a pas aimé que je ne donne pas mon vrai nom : "Zorro, non mais, c'est ridicule, c'est pourtant super ce que vous faites"
(dans le texte, lol ). Pour rappel, je ne suis pas un anonyme derrière un VPN, d'autant que je suis à jour de ma côtisation à Actuchomage
La tonalité de l'article est lugubre, tout comme les faits : âmes sensibles d'abstenir.
Je pense d'ailleurs que l'écrire n'a pas dû être facile pour la journaliste, vu qu'elle a pris tout ça un peu dans la figure en très peu de temps.
Nous, c'est comme une désensibilisation allergique : c'est par petites doses tous les jours Il y a donc moins de risques de déprime.
Mais, bon, je relève aussi le Puy-de-Dôme, un département inconnu jusqu'ici. Comme quoi toute cette "pourritude" de comportements infâmes est répandue. Et silencieuse.
En tout état de cause, sauvegardez SVP l'article. Normalement, là où je l'ai mis, il n'est pas indexé par Google, mais quant aux moteurs Bing et compagnie, leur fonctionnement
est moins prévisible, donc l'article ne restera pas là éternellement, je pense (mais il suffira d'en demander une copie alors SVP).
Autant le lire à l'écran : imprimé, c'est vraiment minuscule, du fait de la densité de l'article, qui fait plutôt penser à une thèse de doctorat.
J'ai été ému de voir enfin un article solide sur la question des exactions administratives dans le cadre du RSA, et qui indique ce que je braille à longueur de forum,
quitte à passer pour un frappadingue, à savoir qu'au RSA, le curseur entre l'aide sociale et le crime contre l'humanité est bien plus proche du plus sinistre des deux.
Notamment du fait du climat de pauvrophobie savamment entretenu en France (comme on le voit encore avec cette histoire de fraises dans le Lot-et-Garonne,
où les pseudo-journalistes ne sont pas fichus d'écrire que si l'agriculteur ne trouve pas d'employé, c'est parce que les pauvres et précaires n'ont souvent pas de voiture).
On est bien au-delà du simple contrôle social (qui est déjà en soi un problème).
Je suis très heureux de voir qu'en peu de temps, depuis l'automne dernier, entre le rapport du Secours catholique et quelques articles de presse, l'étau se resserre enfin
sur les CAF et conseils départementaux. Il faut dire que l'impunité médiatique a été presque totale entre 2009 et 2016 inclus. A l'exception d'articles d'Actuchomage, et
de bien trop rares articles de presse utiles : un article sur Eric Ciotti, et un autre sur le Bas-Rhin, à ma connaisance, durant cette période. Et c'est tout.
L'article est une synthèse de portée (très) limitée.
La traque aux RSAstes s'inscrit dans un contexte global de contrôle social, économique et financier. Il suffit de se rendre à sa banque et de demander 3.000 euros en liquide pour s'en assurer (et même moins).
Même chose en cas de virement. Dernièrement, un copain [qui n'est pas au RSA] a reçu une somme d'argent rondelette de ses parents [une donation dument contractée par notaire]. Il a du justifier ce virement auprès de sa banque, puis justifier les utilisations [dépenses] qu'il en faisait. De plus la banque a mis 3 semaines avant de créditer son compte, sous prétexte de formalités. [Alors qu'un simple coup de fil permettait de vérifier auprès de la banque du donateur que les fonds étaient disponibles].
Toutes ces opérations sont de plus en plus surveillées [sous prétexte de lutte contre l'argent sale et le terrorisme] alors que les nantis, eux, font passer d'un clic de souris des milliards d'une banque à l'autre, d'un continent à l'autre… sans contrôle ou quasiment.
Il est certain que des allocataires RSA se sentent harcelés par ces contrôles de plus en plus tatillons. Mais je dirais, comme la grande majorité des gens en toutes sortes de circonstances : Contrôles [et parfois censures] de leur liberté d'expression, contrôles de police, fiscaux, URSSAF (pour les entrepreneurs], inspection du travail, de l'hygiène, de la répression des fraudes…, contrôles des véhicules, de leurs vitesses sur route… parmi tant d'autres. Et bientôt un passeport vaccinal, donc des contrôles pour se rendre au restaurant, au théâtre, au cinéma…
Tout cela pour relativiser cet article qui s'appuie sur quelques cas poignants (dont un qui se finit sur un suicide). Mais bon, en tous registres on trouvera des martyrs, comme ces agriculteurs et commerçants qui se suicident. Ou même ces policiers.
Le contrôle social va s'intensifier puisque les fonds sociaux ne sont pas extensibles à l'infini et que le nombre d'allocataires va augmentant. On en a déjà discuté ici des milliers de fois.
Plus la France accueillera de personnes en situation de grande précarité, plus l'ensemble de la population sera soumise à des contrôles. Car, ce que ne dit pas l'article, c'est que les fraudes massives aux prestations sociales (RSA, RETRAITES…) sont le fait de mafias organisées ou d'individus ne résidant pas (ou peu) en France. Comme l'évoque cet article (parmi d'autres) sur la question des retraites :
@Yves : il y a un élément vraiment important que tu oublies : l'article du Monde établit enfin que le principe du contradictoire est foulé aux pieds.
C'est, de fait, refuser que la justice soit rendue correctement. C'est même une entrave. Je ne sais pas trop en mesurer la portée juridique, mais ce n'est pas anodin.
Le principe du contradictoire (c'est-à-dire au RSA, le traitement effectif d'un recours amiable, notamment), c'est un élément central du droit, en France.
De plus, ce sont, du fait des lois, les conseils départementaux et les CAF (via les CRA) qui sont garants de ce principe... totalement foulé au pieds.
Nous, on sait que les recours amiables ne sont jamais traités. Mais statistiquement, nos dizaines de dossiers ne sont pas significatifs.
Or, là, cet article de presse change tout.
Même Staline, paraît-il, fournissait un avocat à ses victimes. On ne peut pas en dire autant au RSA : absences trop fréquentes, voire systématiques, des représentants
des bénéficiaires du RSA lors des "commisions RSA" (réunions de l'équipe pluridisciplinaire), plus, et surtout, 0 % de recours amiables traités, ou presque,
que le rsaste ait tort ou raison. C'est de l'exaction absolument délibérée.
Il y a un changement de paradigme : on peut dès aujourd'hui écrire que les rsastes sont délibérément ciblés politiquement. Et que les souffrances infligées sont volontaires.
Je me renseigne quant au crime contre l'humanité, et je vous tiens au courant.
Je n'irais pas jusqu'à dire, TPI, nous voilà, mais on verra.
Le "contradictoire" n'est envisageable que si la personne a les moyens matériels et intellectuels de préparer sa défense. Cette difficulté est valable POUR TOUS (ou quasiment) pour TOUS les litiges administratifs. Avec le fisc, la police, l'URSSAF…
À moins d'être assisté (par un BON conseil, un BON comptable, un BON avocat…) ou être particulièrement érudit/bosseur (pour creuser le sujet), il y a TOUJOURS un déséquilibre entre le rouleau-compresseur administratif et l'administré.
Pour ce qui est du RSA, le "contradictoire" consisterait à accorder à chaque personne contrôlée et possiblement sanctionnée les moyens de se défendre. Ça, ce n'est pas possible, au vu du nombre de contrôles et de la complexité de certains dossiers.
Donc le contradictoire - qu'il faudrait par principe respecter, j'y souscris totalement - est un vœu pieux. D'autant plus qu'on a limité l'accès à l'aide juridictionnelle et qu'un nombre croissant de bénéficiaires des prestations sociales maîtrisent mal les subtilités (juridiques, administratives…) de la langue française. Pour en revenir à ma marotte.
Je le constate sur le terrain. Il m'est arrivé de me rendre dans des CAF. Là, on voit immédiatement le fossé entre des gens qui - parfois - comprennent à peine le français et le langage hermétique des agents administratifs. On ne peut pas parler de préjugés racistes car souvent ce sont des personnes d'origines africaines qui s'engueulent avec du personnel antillais. Et ça chauffe sérieux !
Dernièrement, j'ai déposé un dossier de domiciliation dans un centre d'action sociale à Paris. 99% des présents sont des étrangers récemment débarqués en France. 99% maîtrisent très imparfaitement le français. Ce qui donne lieu à des embrouillaminis incroyables. J'y ai passé trois heures à attendre. J'ai pu constater. Et j'aurais probablement patienter une heure si chaque "bénéficiaire" était plus "opérationnel". J'me comprends…
Je confirme ici que l'accroissement des contrôles (PE, CAF, RSA…) est aussi lié à cet aspect. Les flux migratoires asphyxient notre système social. Même chose quand vous vous rendez à l'hôpital.
J'ai été une dizaine de fois aux Urgences ces 15 dernières années (pour des problèmes perso ou pour y accompagner des ami-e-s), je vois le changement - la dégradation (sur Paris et en région parisienne).
Vous me direz que ça n'a rien à voir avec les contrôles RSA dont il est question ici. Peut-être… mais pas sûr !
le "contradictoire" consisterait à accorder à chaque personne contrôlée et possiblement sanctionnée les moyens de se défendre. Ça, ce n'est pas possible,
Il y a au final deux possibilités, pour le futur du RSA :
- Soit le principe du contradictoire devient possible dans les faits,
- soit les sanctions sont arrêtées sans délai (puisque le contradictoire est impossible).
Il faut rester ferme sur ça SVP (sérieusement).
Quand tu fais un recours amiable auprès du médecin-chef de la CPAM, celui-ci est examiné, et tu obtiens une réponse. C'est normal.
Au RSA, dès le recours amiable, c'est le bug. Ce n'est pas normal.
Et comme tu le sais, pour percevoir le RSA, il y a un certain nombre de conditions à respecter, dont celle de durée de résidence.
Comme avec Macron, c'est "tout le monde au boulot", l'ADA non majorée a été diminuée aux alentours de 200 euros mensuels.
Donc évidemment, le migrant, il est obligé de travailler. Ou quasiment. Qu'il parle français ou pas.
J'en reviens à mon autre marotte qui est de contempler l'ingénuité des néolibéraux à gratter +0,1 % de croissance par ci, et +0,2 % par là,
avec des mesures de ce genre, afin de démontrer que leur idéologie en faillite fonctionne (il n'y toutefois pas de remplacement vraiment crédible, côté idéologie, pour le moment).
Donc ce flux vers le RSA me paraît se tarir (en proportion) - évidemment, le flux de nouveaux arrivants au RSA est important en ce moment, mais je pense que la structure
a un peu changé depuis ces mesures qui ont coupé les vivres aux migrants. Une fois que le migrant a travaillé trois ans dans une boulangerie ou à ramasser des fraises,
il sera moins concerné par le RSA. Je n'aborde pas la question de la compétition du tous contre tous pour les jobs en question, vu que ce n'est pas le sujet.
Cet article ne fait que confirmer que le rsa est une machine à broyer , à détruire , ce n'est rien de plus que de la torture psychologique ...
Merci pour l'article .
Tiens, en ce moment, la cavalerie arrive : un jeune que j'ai aidé dans la rédaction de son recours amiable (RSA) il y a un bon moment
me remonte un livre à paraître le 1er avril 2021, écrit par M. Vincent Dubois, Professeur de sociologie et science politique (qu'on ne connait pas, certes).
Titre : "Contrôler les assistés - Genèses et usages d’un mot d’ordre"
Voir : http://www.vincentdubois-socialscience. ... ions-.html
La table des matières n'est pas en soi révolutionnaire, mais il y aura peut-être moyen d'apprendre deux ou trois trucs là-dedans.
ce n'est rien de plus que de la torture psychologique ...
Tiens, tu sais quoi ? Je me dis tu devrais essayer d'obtenir un certificat médical avec écrit dessus "symptômes de torture psychologique", ou quelque chose du genre,
comme "trouble de stress post-traumatique" https://fr.wikipedia.org/wiki/Trouble_d ... raumatique, dus au chômage de longue durée.
Il suffit désormais d'aller chez le médecin avec l'article du Monde pour être pris au sérieux. Avant, personne ne nous aurait cru
Je ne sais pas si torture psy marcherait chez le médecin, on serait surement pris pour des débiles ...
Par les médecins qui ont Le Figaro, Le Point ou l'Express en salle d'attente, probablement.
Pas forcément par les autres. C'est une piste de réflexion : un tel certificat a un effet protecteur énorme pour l'allocataire.
C'est plutôt du fait de la portée juridique d'un tel certificat médical qu'il ne sera pas simple à obtenir.
Les bénéficiaires du RSA dans l’enfer des contrôles
Au fil des ans, des progrès du big data et des croisements de fichiers, les CAF et les départements intensifient leur chasse aux fraudeurs
ENQUÊTE
Sur fond de consensus politique, et forte du soutien de l’opinion publique, la chasse aux fraudes à la prestation sociale est ouverte. Les Caisses d’allocations familiales (CAF), qui toutes prestations confondues (allocations familiales, aides au logement, allocation aux adultes handicapés...) distribuent quelque 95 milliards d’euros à 13,5 millions d’allocataires sont en première ligne. Au fil des ans, des progrès du big data, et des interconnexions de fichiers, elles intensifient et raffinent les contrôles – parfois jusqu’à l’acharnement, comme le dénoncent des associations telles qu’ATD Quart Monde, le Secours catholique ou encore le Défenseur des droits.
«J’ai eu le malheur de pointer au chômage avec un jour de retard, raconte Pierre (il a requis l’anonymat), un Lyonnais de 40 ans, diplômé en droit sans emploi, à l’époque. J’ai immédiatement été radié de Pôle emploi, mais, après explications, vite rétabli. Malheureusement, la CAF avait (et sans me prévenir) suspendu mon droit au RSA [revenu de solidarité active] et à l’APL [aide personnalisée au loge ment], et là je me suis heurté à un mur pour récupérer mes droits.»
Les fichiers du fisc, de Pôle emploi et de la CAF sont, en effet, connectés entre eux : l’une des conditions de l’octroi du RSA est d’être en recherche active d’un emploi, et toute démarche auprès de l’un a des conséquences sur l’autre – pour ce qui est des CAF, cela se matérialise bien souvent par une interruption des versements.
«L’ENTRETIEN AVEC L’AGENT DE LA CAF A ÉTÉ UNE HUMILIATION, IL ÉPLUCHAIT CHAQUE LIGNE DE MES COMPTES BANCAIRES» - PIERRE allocataire
«L’entretien, au printemps 2019 avec l’agent de la CAF a été une humiliation, poursuit Pierre. Il épluchait chaque ligne de mes comptes bancaires. Avais-je vraiment besoin d’un abonnement Internet ? A quoi avaisje dépensé ces 20 euros tirés en liquide ? Je me suis senti ra baissé. Je suis resté sans ressources pendant dix mois, j’ai frisé l’expulsion de mon logement, fait une dépression ; et ce n’est qu’après avoir consulté un avocat que, en une semaine, tout s’est débloqué.» Depuis, il a retrouvé un emploi.
DOSSIERS «PAS ASSEZ ÉTAYÉS»
L’activité de contrôle prend une dimension industrielle avec, en 2019, des vérifications automatiques (28 millions), des contrôles sur pièces (234.000), sur rendez vous ou au domicile (170.000), menés par près de 2.500 agents dont 700 habilités à se rendre sur place, « des personnes formées, assermentées, agréées par le tribunal et supervisées », précise Matthieu Arzel, responsable du département de lutte contre la fraude à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).
La CAF a, en outre, accès à de multiples fichiers, aux comptes bancaires ou aux données des caisses de retraite. Mais tous ses agents ne sont pas à l’aise avec ces méthodes qu’une ancienne chargée de recouvrement dénonce : «Chaque année, on nous assigne des objectifs de montants et de taux de recouvrement qui, s’ils sont atteints, nous font gagner des points pour une prime d’intéressement en fin d’année et, pour les cadres, des points d’avancement de carrière. Tant pis si les sommes à recouvrer sont prescrites ou si les dossiers ne sont pas assez étayés... On commence le recouvrement avant que les recours soient tranchés et si l’allocataire ne se défend pas et ne prend pas d’avocat, on va jusqu’au bout, jusqu’à l’huissier.»
En 2019, ces redressements ont permis de récupérer 894,6 millions d’euros d’indus dont 323,7 millions considérés comme fraudés. «Ces contrôles n’aboutissent pas tous à des sanctions. Dans un cas sur trois, nous restituons de l’argent à l’allocataire», dit M. Arzel, qui reconnaît : «Nous devons faire des progrès dans la rédaction de nos courriers, qui doivent être plus clairs et explicites, et projetons de puiser le plus possible les informations dans les fichiers source afin de ne pas réclamer sans arrêt des pièces aux allocataires. Un objectif prioritaire, en 2021, est de traquer les fraudes à gros enjeu, montées souvent à base de faux documents par des réseaux constitués.»
Les 1,8 million de bénéficiaires du RSA, allocation jugée «fraudogène», sont les plus ciblés : sur les 44.135 erreurs et fraudes aux allocations repérées en 2019, 46 % concernent le RSA, 19 % la prime d’activité et 18,5 % l’APL.
Deux motifs principaux sont invoqués. D’abord, la triche sur la déclaration de revenus (69% des infractions), le RSA étant attribué sous conditions de ressources de tous les membres du foyer, ces dernières devant être réactualisées chaque trimestre. Des parents se voient par exemple redresser pour n’avoir pas déclaré les revenus que leurs enfants ont gagnés comme livreurs.
Deuxième motif : la fraude sur la situation familiale (l’oubli de déclarer le départ d’un enfant majeur), ou encore ce que les enquêteurs de la CAF appellent la «fraude à l’isolement» (un couple non déclaré). Dans ce dernier cas, ils se rendent, parfois sans prévenir, au domicile, interrogent les voisins et traquent le moindre indice. «Ces “contrôles des brosses à dents”, particulièrement intrusifs, visent avant tout les femmes seules avec enfants et placent la famille dans une insécurité permanente, dénonce Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde. C’est d’ailleurs presque toujours à la femme que l’on réclame le remboursement des indus.»
«JE SUIS À BOUT !»
Le contrôle, certes légitime, peut devenir insupportable lorsqu’il est vécu comme une suspicion obstinée et irréfutable. Sommée de justifier de revenus qu’elle ne percevait pas, Rhita Hardy, 58 ans, écrivait au conseil départemental du Puy-de-Dôme et à la CAF, le 14 décembre 2019 : «Croyez-moi, si j’avais de tels revenus, je me passerais du calvaire, du stress, de l’épuisement moral que me font subir les deux administrations (...). Je suis à bout ! Je n’en peux plus ! Depuis que j’ai mis les pieds dans ce maudit département, je vis un calvaire administratif sans précédent (...), et, à 58 ans, c’est épuisant, déprimant et [cela] pousse au suicide !»
Neuf jours plus tard, «le 23 décembre 2019 au matin, les gendarmes sont arrivés au magasin pour m’annoncer que Rhita s’était pendue dans la forêt, en haut du village», raconte Franck, son ancien compagnon, père de leur fille, aujourd’hui majeure. Bien que séparés, Rhita et lui étaient associés dans l’épicerie qu’ils avaient ouverte en 2018 dans un village du Puy-de-Dôme, à la grande satisfaction des habitants.
En débarrassant l’appartement, Franck a retrouvé l’épais dossier des démêlés de son ex-compagne avec la CAF de Clermont-Ferrand, qui lui avait pendant près d’un an coupé le versement du RSA et de l’APL, la soupçonnant de disposer de ressources cachées, d’être aidée financièrement par son ex-mari ou par Franck lui-même, qui habite le même village, à 800 mètres. «Elle était très rigoureuse et transparente, se souvient Franck. Tous les trois mois, elle attestait, documents comptables certifiés à l’appui, qu’elle ne tirait aucun revenu de l’épicerie (aujourd’hui fermée alors qu’elle commençait à bien fonctionner), et qu’elle aurait, selon notre expert-comptable, permis de dégager deux salaires en 2020. Pôle emploi avait bien compris l’intérêt de ce projet ; pas la CAF, qui a harcelé Rhita, avec des contrôles chez elle, et [d’autres] de ses comptes bancaires...»
Son avocat, David Bapceres, se souvient : «La procédure a duré des mois jusqu’à ce que la CAF et le département reconnaissent, en trois lignes d’un style froid, sans motivation ni détails, leurs torts, en décembre 2018, quelques jours avant l’audience du tribunal administratif, que nous avions saisi. Cela a donc coupé court à tout jugement, mais, quelques semaines plus tard, la CAF est revenue à la charge avec les mêmes demandes et arguments, et le drame est arrivé. J’avais vu combien cette affaire minait Mme Hardy, tout comme [elle me minait] moi, d’ailleurs. Les familles sortent lessivées, épuisées par ces procédés.»
«Nous agissons par délégation du conseil départemental, qui a ses propres règles d’évaluation des travailleurs indépendants», explique Didier Grosjean, directeur de la CAF du Puy-de-Dôme depuis le 1er février 2019, et qui à l’occasion de notre entretien a découvert les circonstances du décès de Mme Hardy. «Je compatis à la détresse de cette famille », assure-t-il, avant de rappeler la règle générale : «Un allocataire sur deux est contrôlé chaque année. Les revenus et la situation familiale pouvant évoluer vite, cela justifie des contrôles fréquents. Avec Mme Hardy, les échanges ont été nombreux.» Et de renvoyer toute autre demande vers le département.
DROIT À L’ERREUR
Me David Bapceres reçoit chaque jour des dizaines de demandes d’allocataires poursuivis. Sur les 1.700 affaires qui ont été judiciarisées, il en a gagné plus des deux tiers. Plutôt habitué à une clientèle aisée, cet avocat fiscaliste a, dans son contentieux avec la CAF pour des clients bien plus précaires, découvert le déséquilibre de leurs droits face à une administration qui pratique peu le contradictoire. Les allocataires n’ont par exemple pas accès aux rapports qui les mettent en cause, les décisions contre eux ne sont pas motivées, les voies de recours ne sont pas précisées... Et les CAF suspendent sans préavis tout versement pendant les recours avant leur examen, ce qui est illégal. «J’essaie de motiver mes confrères sur ce contentieux chronophage et qui rapporte peu, et je suis certain que, si nous nous mobilisons, nous parviendrons, comme dans le domaine fiscal, à faire adopter par les CAF la culture du contradictoire», estime l’avocat. Dans ce but, il a fondé l’Association nationale des avocats et des praticiens en droit des prestations sociales (Anapps).
«Les atteintes aux droits des bénéficiaires causées par le durcissement continu de la politique de lutte contre la fraude aux prestations sociales» ont bien été identifiées, en ces termes, dès septembre 2017, par Jacques Toubon, alors Défenseur des droits. Il demandait, entre autres remèdes, que soit instauré un «droit à l’erreur» permettant de rectifier toute déclaration, lequel a bien été inscrit dans la loi pour un Etat au service d’une société de confiance (loi Es soc, du 10 août 2018). «Mais je ne l’ai jamais vu mis en œuvre », constate Me Bapceres. «Il existe bel et bien, assure Matthieu Arzel, et c’est d’ailleurs la rubrique la plus consultée du site de la CAF.»
«À L’ÉVIDENCE, NOUS NE RECOURONS PAS ASSEZ LARGEMENT AU PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE» - VINCENT MAZAURIC directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales
Le directeur général de la CNAF, Vincent Mazauric, haut fonctionnaire, ancien directeur général adjoint des finances publiques, reconnaissait ainsi, le 23 juin 2020, devant une commission d’enquête de l’Assemblée nationale : «À l’évidence, nous ne recourons pas assez largement au principe du contradictoire. Nous allons l’étendre de manière systématique aux contrôles sur pièces.» En attendant, l’organisme tisse une toile de plus en plus serrée et affine ses listes de profils à risques: auto-entrepreneurs, artistes, intermittents du spectacle...
Depuis 2019, un nouvel outil, dont la CAF est très fière, permet d’identifier toute connexion sur son site depuis l’étranger de la part d’un allocataire mettant à jour ses données – et, de ce fait, de donner l’alerte. Les bénéficiaires du RSA sont en effet censés résider en France et ne pas s’absenter du territoire plus de quatre-vingt douze jours par an (cent vingt jours pour les bénéficiaires de l’APL). Jamila (le prénom a été modifié), 44 ans, qui habite à Roubaix (Nord), l’a appris à ses dépens. Elle avait un petit ami qui vivait en Belgique (et désormais au Royaume-Uni) et qui lui rendait visite les weekends. Elle s’est donc connectée plusieurs fois depuis ces pays, ce que la CAF a immédiatement interprété comme étant une longue absence hors de France.
«Quand j’ai enfin compris ce que l’on me reprochait – car ce n’était écrit nulle part –, j’ai fourni tous les justificatifs : factures d’électricité, témoignages de voisins... L’agent avec qui j’ai eu un entretien s’est montré agressif et suspicieux, se mêlant de ma vie intime», raconte-t-elle. L’intervention du Groupe d’information et de soutien aux allocataires et aux familles a été décisive pour rétablir ses droits : «Les méthodes de la CAF sont hallucinantes, très souvent illégales, et escomptent que les allocataires ne se défendront pas», explique son animateur, Amine Elbahi.
CONTRÔLES DE MASSE
La CAF n’est que l’opérateur du RSA, dont les conseils départementaux sont, depuis 2003, les pilotes et les financiers (l’Etat ne compensant que la moitié de leurs dépenses). Ils assurent donc le volet d’insertion et d’accompagnement vers l’emploi de plus de 2 millions de bénéficiaires, alors que, quand a été créé le revenu minimum d’insertion (RMI), en 1988, ces derniers n’étaient que 350 000. Il était prévu que 20 % du budget RSA soit consacré aux actions d’insertion, mais cette part est aujourd’hui réduite à 6 % ou 7 % en moyenne. Les départements déploient leurs propres contrôles, en plus de ceux de la CAF et de Pôle emploi, grâce à leurs équipes spécialisées chargées de repérer les bénéficiaires qui ne respectent pas le contrat d’engagement réciproque, en principe négocié, qu’ils ont signé.
Refuser une offre d’emploi, ne pas suivre une formation jusqu’au bout, ou, tout simplement, ne pas se présenter à une convocation du référent peut conduire à la réduction temporaire ou définitive de 50%, 80% ou100% du RSA, voire à des amendes. Ces sanctions sont décidées dans des commissions d’équipes pluridisciplinaires, lesquelles réunissent élus, travailleurs sociaux et, en théorie, représentants des allocataires. C’est devant elles que sont convoquées, collectivement ou individuellement, les personnes visées.
«C’est un véritable tribunal, un conseil de discipline, estime Jérôme Bar, cofondateur de l’association Aequitaz, qui milite pour la justice sociale. Le fait que le travailleur social référent devienne un juge ne peut que biaiser le dialogue et briser la confiance. Comparaître devant cette commission est stressant, inefficace car décourageant, et injuste. Toute la famille est pénalisée.» Certains départements procèdent même à des contrôles de masse en convoquant simultanément 500 à 800 personnes, et les absents non excusés sont sanctionnés. En 2019, 115.000 foyers auraient subi ce sort, selon une enquête d’Aequitaz et du Secours catholique parue en octobre 2020.
«MARQUEUR POLITIQUE»
Le département du Nord avait, en 2016, montré l’exemple de la rigueur en radiant d’un coup plus de 15.000 allocataires. «Quand je suis arrivé à la tête du département, en 2015, la collectivité était en difficulté financière, avec une dette de plus de 100 millions d’euros auprès de la CAF au titre du RSA, dit Jean-René Lecerf, président (LR) du conseil départemental. Je me suis aperçu que 45.000 allocataires étaient dans la nature, alors nous avons repris contact avec eux, radié tous ceux qui n’[avaie]nt pas répondu, mais aussi remobilisé les dispositifs d’insertion et de recherche d’emploi. Entre 2016 et 2020, le département a appliqué près de 50.000 sanctions. Quelques voix m’ont, au début, reproché de mener la chasse aux pauvres, mais aujourd’hui, tous les courants politiques, me soutiennent y compris Martine Aubry [maire socialiste de Lille].»
Le département du Nord aurait ainsi économisé entre 2 et 3 millions d’euros par an. Ces résultats intéressent d’autres départements. Le conseil départemental de l’Eure a, depuis 2016, mandaté la CAF pour réaliser, en son nom, une centaine de contrôles par an, au lieu de vingt auparavant. En 2019, celui de Tarn-et-Garonne a radié 360 allocataires sur 6.533 et en a sanctionné 1.110 autres.
Sur les forums de discussion entre fonctionnaires territoriaux, les «bonnes recettes» s’échangent. «Sur le RSA, les premiers contrôles ont porté sur les travailleurs indépendants, avec demande de relevés bancaires [professionnels] et personnels. Ce créneau semble très porteur», se félicite un contrôleur des Hauts-de-Seine. «Si pas de contrat [d’engagement réciproque signé], radiation après trois mois», recommande de son côté un responsable de Tarn-et-Garonne.
«La lutte contre les fraudes au RSA est, bien sûr, motivée par un souci de bonne gestion de l’argent public, analyse Vincent Dubois, sociologue et politologue. Mais elle est devenue un marqueur politique, un argument électoral, avec l’accord de ceux, à gauche, qui ont mis en place le revenu minimum d’insertion – l’ancêtre du RSA – et veulent prouver qu’ils ne sont pas naïfs.»
Isabelle Rey-Lefebvre
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«Les pauvres sont suspectés d’être responsables de leur situation»
Pour le sociologue et politiste Vincent Dubois, le contrôle des bénéficiaires d’aide sociale est aussi ancien que l’assistance
ENTRETIEN
Vincent Dubois, professeur à Sciences-Po Strasbourg, est l’auteur de Contrôler les assistés. Genèses et usages d’un mot d’ordre, à paraître en avril aux éditions Raisons d’Agir.
Quand et pourquoi la nécessité de contrôler ceux que vous appelez les « assistés » est apparue dans le débat public ?
Le contrôle des bénéficiaires d’aide sociale est aussi ancien que l’assistance et ne s’est jamais imposé dans le débat public et l’action gouvernementale plus fortement que depuis le milieu des années 1990. Trois principaux facteurs expliquent cette tendance : le développement de prestations sociales soumises non plus à un statut juridique – travailleur ayant cotisé – mais à des conditions évolutives et des comportements qu’il s’agit de vérifier ; un investissement politique sans précédent qui a promu la « fraude sociale » comme problème majeur ; la montée en puissance de logiques comptables et managériales concrétisées par des contrôles en cascade, de l’Etat et la Cour des comptes sur les finances de la Sécurité sociale, des organismes de protection sociale sur leurs allocataires.
Pourquoi le revenu de solidarité active (RSA) cristallise-t-il tant les débats sur la fraude ?
Le RSA fait certes l’objet de « fraudes de survie », mais rien ne prouve que ses bénéficiaires se rendent davantage coupables d’abus que d’autres catégories de la population, en matière sociale ou fiscale. Le RSA et, avant lui, le RMI [revenu minimum d’insertion] ont réactivé la défiance ancienne à l’égard des «pauvres valides», toujours plus ou moins suspectés d’être responsables de leur propre situation, d’abuser de la «générosité» collective, comme en a témoigné dès 1995 l’expression «culture du RMI» utilisée par Eric Raoult, ministre délégué à la ville et à l’intégration du gouvernement Juppé.
Le discours dénonçant l’assistanat s’est construit sur ces représentations morales qui mobilisent la fraude comme repoussoir absolu de la «valeur travail». S’y est combinée une certaine expertise économique sur les «trappes à inactivité» : par calcul, les individus feraient le choix de l’assis tance au détriment du travail... Le RSA occupe une place centrale dans ce débat qui trouve écho dans la population, y compris au sein des classes populaires. S’ajoutent à cela des facteurs techniques. L’attribution du RSA repose sur un grand nombre de critères, souvent difficiles à établir sans équivoque, d’autant plus sujets à des changements fréquents qu’ils concernent des populations précaires. Cela implique des déclarations de ressources nombreuses, donc plus de risques d’erreurs, ce qui conduit au ciblage des contrôles sur cette prestation. Les bénéficiaires sont, en outre, de plus en plus soumis au contrôle des départements, en plus des Caisses d’allocations familiales qui l’assurent depuis le départ.
Cette crispation se limite-t-elle à la France ?
Pas du tout. On trouve des tendances comparables un peu par tout, selon des chronologies et des modalités variables : par exemple aux Etats-Unis, dès les années 1970, puis après la réforme du welfare [aide sociale], en 1996, avec une forte connotation raciale – les AfroAméricains, et parmi eux les femmes, étaient et sont toujours particulièrement visés – et une sévérité inconnue en France. Partout en Europe, ou encore en Australie, les discours stigmatisants ont progressé, l’usage des technologies de surveillance électronique à grande échelle est de venu massif et des systèmes de sanction plus sévères ont été mis en place. C’est la face coercitive du modèle du workfare, la contre partie en travail à une allocation, devenu une référence mondiale des politiques sociales.
Deux conséquences importantes de ce refus de traitement des recours amiables (RAPO) par les conseils départementaux,
et qui n'apparaissent pas de manière explicite dans l'article du Monde :
- Les départements refusent souvent de transmettre une copie des recours amiables aux CRA - Commission de Recours Amiable - des CAF, alors que c'est plus ou moins obligatoire.
(le Conseil d'Etat a d'ailleurs statué là-dessus en 2019, et il y a eu depuis quelques astuces trouvées par les départements pour parfois contourner ça) https://www.actuchomage.org/phpBB3actu/ ... 3&t=100916
Là, le but des départements est de maintenir l'opacité quant à leurs pratiques, souvent plus politiques qu'autre chose. En plus de l'illégalité.
- Les remises gracieuses d'indu ne sont que rarement examinées. La loi prévoit pourtant qu'un rsaste en situation de précarité verra tout indu non-frauduleux
annulé, du moment qu'une telle demande est formulée au sein du recours amiable (RAPO) dans les délais légaux.
Donc, là, les plus vulnérables des rsastes perdent un droit pourtant essentiel.
Voir par exemple tout récemment le cas de cette restauratrice de Noirmoutier : https://actu.fr/faits-divers/sur-l-ile- ... 73007.html
Il y en a aussi une belle collection dans la jurisprudence. Et les magistrats donnent, à ma connaissance, toujours raison aux rsastes sur ce point.