Pot pourri sur le CNE
Publié : 31 mars 2006
SourceLe contrat nouvelles embauches (CNE), créé en août 2005 et destiné aux entreprises de moins de 20 salariés, est un contrat à durée indéterminée (CDI) assorti d'une période de consolidation de deux ans. Durant cette période, comme pour le contrat première embauche (CPE), l'employeur n'a pas à justifier un licenciement. Paradoxalement, cette absence de motif pourrait amener les salariés licenciés à recourir aux conseils des prud'hommes. Le syndicat des avocats de France (SAF) estime ainsi que "pour que les salariés ne demeurent pas dans l'ignorance des motifs de leur licenciement, ils devront assigner leur employeur en justice." Ce qui, prévient le SAF, montre que "l'employeur n'est donc pas, loin s'en faut, à l'abri d'une procédure judiciaire". Cinq salariés, qui se tournent vers les prud'hommes, racontent leur fin de contrat. "L'employeur a cessé de nous payer." Mickaël, 25 ans, est passé d'un contrat à durée déterminée (CDD) de trois mois à un CNE. Chauffeur-livreur dans le Maine-et-Loire, il livrait des meubles dans des magasins franchisés. Mais, son employeur a cessé de le payer, lui et son beau-frère, Carl, embauché dans les mêmes conditions. "Novembre a été payé en décembre, et décembre n'a jamais été payé", dit-il. "L'employeur n'avait plus les moyens et il nous a demandé de démissionner", raconte Mickaël. Comme ils ont refusé, tous deux ont reçu une lettre de licenciement le 13 février. "Pas d'explication, le patron m'a juste dit qu'il avait autre chose à payer que nos salaires", ajoute-t-il. "J'ai demandé à récupérer mes heures supplémentaires." Brice, technicien frigoriste, 23 ans, a été embauché en CNE par une petite entreprise du Cantal, au mois d'août. " Le patron avait surtout besoin que je le dépanne quelques semaines", raconte le jeune homme qui se rappelle les dizaines de kilomètres quotidiens parcourus. "Au début, on ne fait pas gaffe, explique-t-il. Quand je me suis inquiété, il m'a dit que je pourrai récupérer mes 84 heures supplémentaires à un moment plus calme." Quand Brice demande à les prendre, son patron lui propose de récupérer une semaine, soit 35 heures. "Et quand je lui ai réclamé le reste des heures, il m'a envoyé une lettre recommandée me disant qu'il mettait fin au contrat", ajoute Brice, résolu à se tourner vers les prud'hommes. "J'ai pris un congé parental." A Nice (Alpes-Maritimes), Patrick a réussi à négocier à l'amiable avec son employeur. Ce vendeur de 29 ans, spécialisé dans le textile, a débuté dans une boutique de prêt-à-porter de luxe niçoise par un CDD de trois mois. Le 1er février, son patron lui propose un CNE. Père d'une petite Paloma, Patrick demande un congé paternité (légal) de 14 jours. "Mon patron m'a dit de le prendre en février, parce que la période était plus creuse, ça l'arrangeait", raconte Patrick. La date du congé est fixée au 11 février. Le 22, le salarié reçoit une lettre recommandée de fin de contrat. "Il me payait le préavis et me dispensait de le faire", dit Patrick. Pas d'explication, juste l'"indication" que Patrick coûtait "trop cher". "Le patron nous traitait de feignants." Vanessa, 21 ans, a été recrutée comme vendeuse dans un magasin de décoration de Douarnenez (Finistère). "On a fait beaucoup d'heures, 220 au lieu de 130", se souvient la jeune femme. "Le patron nous traitait d'incompétents, de feignants, c'était vraiment du harcèlement." Vanessa a été licenciée le 5 janvier sans motif. Certaines de ses collègues avaient déjà démissionné. "Le chef pâtissier me disait "sale Arabe"." Après un CDD de trois mois dans une boulangerie marseillaise, Rafik s'est vu proposer un CNE début octobre. "Mon chef pâtissier n'aimait pas les gens d'origine maghrébine, il me traitait de "sale Arabe"", explique-t-il. Les relations se sont dégradées au point que le patron a convoqué le jeune de 25 ans, en mars, pour lui annoncer son licenciement. Rafik lui explique alors le racisme dont il a été victime. "Je préfère te renvoyer toi. L'autre, avec ses cinq ans d'ancienneté, me coûterait trop cher", lui aurait expliqué son employeur. Source : LE Monde 31.03.06
En autorisant le licenciement sans motif pendant deux ans, les contrats première embauche et nouvelle embauche (CPE et CNE) renforcent le lien de subordination des salariés à l'égard de l'employeur et les plongent dans une totale précarité. Le CPE/CNE ressemble en fait à un CDD renouvelable deux fois 365 jours. Témoignages. VANESSA, DELPHINE, CATHY, SANDRINE, HENRI, LAURENCE ET LES AUTRES. Ils ont moins de 25 ans et ont tous été recrutés en CNE par le gérant de l'enseigne Bazarland, sise à Douarnenez dans le Finistère. Ils font des journées à rallonge - "jusqu'à 18 heures de travail d'affilée" - avec un contrat à temps partiel, mais l'employeur ignore les heures supplémentaires. Le bonhomme passe ses colères à longueur de journée sur les employés. "C'est moi le patron et vous êtes là aussi pour supporter mes excès", assène-t-il. Brimades, insultes, injures sexistes, tout y passe. Delphine vomit chaque matin avant de se rendre au travail. Le médecin a fini par l'arrêter. Motif : "dépression pour cause de harcèlement". II lui a conseillé de démissionner pour sauvegarder sa santé. "Ce n'est pas l'envie de démissionner qui me manque, réplique Cathy. Mais je sors déjà d'une période de chômage. J'ai un petit garçon à charge et il faut que je tienne coûte que coûte." Quand Laurence demande l'autorisation de s'absenter pour assister à l'enterrement d'un ami, elle essuie un refus au motif que c'est la période des soldes. Et le patron lui commande de rester tout sourire devant les clients ! Celui ou celle qui tente de se rebiffer se voit aussitôt menacé de prendre la porte. Une vendeuse vient de se faire licencier parce qu'elle a refusé de venir travailler l'un de ses jours de repos. " Ce contrat de travail nous réduit à l'esclavage ", commente Vanessa. "Personne n'est certain de revenir travailler le lendemain, on est dans une situation de précarité totale ", ajoute Sandrine. "D'ailleurs, le Crédit Agricole a refusé de m'accorder un prêt pour l'achat d'une voiture au prétexte que je n'avais pas un emploi stable". En l'espace de trois mois, une vingtaine de salariés, tous embauchés en CNE, sont passés par le magasin. Certains ont démissionné, la plupart ont été licenciés. Le patron a prévenu : "Avec le CNE, je peux licencier qui je veux, quand je veux et je n'ai de compte à rendre à personne. " Vincent est carrossier, peintre et mécanicien. Il a plus de 20 années d'expérience professionnelle derrière lui. À la suite d'un licenciement économique, il décroche un emploi dans un garage Renault à Paris : c'est un CNE ou rien. Il prend, naturellement. Son patron le "jette" deux mois plus tard, sans explication. Interrogé par une journaliste de France 2, le licencieur refusera de donner une explication. Vincent se sent humilié, déconsidéré. Sans travail, il ne peut même plus envisager de faire une demande de logement qui lui permettrait de reconstruire sa vie avec son amie. Il galère" d'hôtel en hôtel, souvent insalubres, pour 200 euros par semaine. "J'irai manifester le 7 mars, pour la première fois de ma vie, contre le CPE/CNE", annonce-t-il. Delphine signe un contrat d'apprentissage avec la gérante du salon JCD Coiffure au Blanc-Mesnil. Puis un contrat de qualification. Au total, trois années d'expérience en qualité de coiffeuse débutante dans le même salon. C'est donc en toute logique que l'employeur lui propose ensuite un CDI. Il s'agit plus précisément d'un CNE, mais peu importe à Delphine qui est trop heureuse de signer son premier "vrai contrat de travail". Entre-temps, la gérante engage une autre salariée en contrat de qualification et Delphine est chargée de la former. Ce qu'elle fait sans se poser de question. Jusqu'au jour où elle reçoit une lettre de licenciement. "J'ai compris qu'on s'était servi de moi pour former une autre jeune qui coûte moins cher à mon employeur", commente-t-elle, avec beaucoup d'amertume. Michel et Daniel sont employés en CDI depuis trois ans dans une entreprise de BTP à Sallanches, en Haute-Savoie. Un jour, l'employeur demande à Michel de rester sagement chez lui en prétextant une baisse de l'activité. Il est licencié quelques jours plus tard pour cause d'" absentéisme " ! Daniel lui apprendra qu'il a été remplacé par un salarié embauché en CNE. Daniel à son tour, bien qu'ayant toujours donné satisfaction dans son travail, vient de recevoir coup sur coup trois lettres d'avertissement et une convocation à un entretien préalable au licenciement. " Il est probable que le patron cherche aussi à me remplacer par un salarié engagé en CNE", analyse-t-il. Franck est embauché en CNE à la SARL du Moulin, une entreprise de travaux forestiers, située à Carcans dans le Médoc. Il effectue en moyenne 5o heures de travail par semaine. Son patron "omet" de lui payer ses heures supplémentaires le premier mois. Idem le second mois. Le troisième mois, Franck se décide à faire remarquer cet oubli à l'employeur. Pire, le chèque accuse un manque à gagner de 800 euros par rapport au " net à payer" inscrit sur la fiche de paie. Mais le patron reste muet. Franck signale l'anomalie au bureau du personnel, mais toujours pas de réponse. Il envoie un courrier, qui ne reçoit pas plus de réponse. Cette fois-ci il proteste en menaçant de saisir le conseil des prud'hommes. L'employeur dépêche alors son fils auprès de Franck, pour lui remettre un chèque de 800 euros. " Ma joie a été de courte durée, puisque j'ai reçu une lettre de licenciement le lendemain ". Franck a l'intention de répondre. Pierre est peintre en bâtiment dans une petite entreprise de quinze personnes en région parisienne. Il est embauché précisément le 5 juillet 2005 en CDI. Chaque fin de mois, c'est la croix et la bannière pour toucher son salaire. L'employeur paie en liquide, toujours en plusieurs fois... Mais pour les mois de novembre et décembre 2005, plus rien. Pierre réclame encore son dû veille de Noël. Son patron lui remet grassement la somme de 800 euros, toujours en liquide, accompagnée d'une lettre de licenciement. Comme il est infoutu de préciser le motif du licenciement, il explique à Pierre qu'il l'a engagé en CNE et n'a donc pas de compte à lui rendre. Pas de chance, le CNE n'existait pas encore le 5 juillet 2005 Pierre va donc assigner son patron devant les prud'hommes. " Mais en attendant, j'ai trois mois de loyer impayés et les huissiers aux fesses. Je fais comment ? ", interroge-t-il. Joseph est barman à Montreuil, en Seine-Saint-Denis. Embauché en CDI depuis sept ans dans le même établissement. Il est licencié en décembre 2005, quand le propriétaire cède l'affaire. Le successeur propose à Joseph de le reprendre en CNE. Il est payé au Smic sur une base de 39 heures de travail par semaine, alors qu'il en effectue plus de 50. Il travaille en fait autant qu'avant, samedi et dimanche compris, mais gagne 500 euros de moins. Tout juste le montant de son loyer, remarque-t-il. Puis son nouvel employeur lui propose carrément de le payer "au noir". "J'ai refusé, car je veux cotiser pour ma retraite", s'indigne Joseph. Il est congédié le jour de son retour de congés. Sans explication, évidemment. Source : NVO (journal CGT) du 03 mars 2006
Le CNE en promo chez Bazarland emploi . Grand frère du CPE, le CNE est déjà expérimenté et les plaintes se multiplient. Ainsi à Douarnenez, six salariés ont décidé de saisir les prud'hommes. Témoignages. Douarnenez (Finistère), envoyée spéciale. « Le CPE marchera », affirme le premier ministre, de plus en plus esseulé, qui en veut pour preuve le « succès » de son grand frère, le contrat nouvelle embauche (CNE), lancé en août dernier. Mais, l'optimisme du gouvernement risque une nouvelle fois d'être entaché par les déboires du CNE. Depuis plusieurs semaines, en effet, les plaintes s'accumulent dans les services juridiques des organisations syndicales et sur le bureau des prud'hommes. À Longjumeau, le 20 février dernier, un employeur a même été condamné pour usage et rupture abusive d'un CNE. En Bretagne, la CGT du Finistère a décidé de saisir les prud'hommes de Quimper après la rupture de 14 contrats nouvelle embauche dans un commerce de discount de Douarnenez au nom prémonitoire de Bazarland. « Sur les 23 salariés embauchés en CNE en quatre mois, 14 ont été licenciés, explique la CGT, 3 sont partis pour non-respect des clauses du contrat et 1 a démissionné. » Licenciée en deux minutes, sans raison Ainsi, Vanessa, licenciée « en deux minutes » : « Le 5 janvier, après une matinée normale, la femme du gérant m'appelle dans son bureau. Elle me donne mon bulletin de salaire et me dit que ce n'est pas la peine de revenir travailler l'après-midi. » Terminé. Sans raison. « Elle m'a, entre autres, reproché de ne pas être venue un jour de repos pour remplir un rayon. » Les témoignages sont accablants : une autre salariée aurait été virée parce que le patron a cru entendre le mot « dégager » dans son annonce au micro pour demander à un client de ranger son véhicule. Un autre aurait pris la porte parce qu'il rechignait à accepter toutes les heures supplémentaires. « De toute façon, le gérant m'a dit : je ne suis pas à un licenciement près ! », affirme Vanessa. « Le 22 novembre, la veille de l'ouverture du magasin, nous avons travaillé plus de 18 heures d'affilée, jusqu'à 3 h 15 du matin... Le lendemain, nous étions là à 8 heures, pour travailler encore pendant 9 heures cinquante minutes. » Les salariés avaient tous signé un contrat de 30 heures hebdomadaires. « Un mois, j'ai travaillé 232 heures », dit une salariée. Une autre parle de 252 heures. « J'avais fait 16 heures supplémentaires, raconte Laurence, secrétaire comptable. J'ai été payée le mois suivant, mais sans majoration. » Tous les matins et tous les soirs, les vendeuses prennent un quart d'heure en plus pour compter leurs caisses. Soit une demi-heure « gratuite » par jour. Vanessa, Laurence, Delphine, Cathy, Henri et Sandrine, les six salariés qui saisissent les prud'hommes, dénoncent tous des conditions de travail déplorables. Cinq d'entre eux ont été, à un moment ou un autre, en arrêt maladie. Beaucoup parlent de « harcèlement moral ». « Je me faisais critiquer, traiter d'incompétent, de pas mûr et sans aucune expérience », dit l'un d'eux. « Le patron et sa femme disaient toujours qu'on était des fainéants », ajoute une autre. Selon Laurence, « ils nous donnaient des surnoms. Moi, c'était Mémère. Une autre, c'était Bébête. » « Tous les matins, explique Vanessa, on se demandait qui allait se faire licencier, qui allait être insulté... Delphine vomissait tous les matins avant de venir travailler. » Elle est convaincue qu'avec un CDI ou un CDD, jamais leur patron n'aurait pu se comporter ainsi. « Il licenciait à tout-va, raconte Laurence. À part la rémunération, j'avais plus l'impression d'être en stage qu'autre chose. Cela a fini par tellement me peser que je lui ai demandé si tout était légal. Il m'a répondu : Le CNE est fait pour cela. » Vanessa renchérit : « Le CNE est un bond en arrière. C'est important pour nous de savoir pourquoi nous sommes licenciés, pour avancer, admettre nos erreurs... Cette histoire me dégoûte un peu du monde du travail. » Sandrine acquiesce et conclut : « C'est bien ce que font aujourd'hui les étudiants contre le CPE. » Le gérant du Bazarland de Douarnenez, Bruno Blanchain, n'a pas souhaité répondre à nos questions. Lénaïg Bredoux Source : L'Humanité - 16.03.06