Dans le Canard Enchaîné du 10 août :
Le Ministre qui rêvait à 5% de chômage
Le mécanisme était réglé comme un coucou suisse : depuis plusieurs mois, Xavier Bertrand apparaissait à la télé, dès la veille de la publication officielle des chiffres du chômage, pour annoncer leur baisse. Mais, le 27 juillet, le ministre du Travail a disparu des écrans, sonné par la nouvelle qu'il n'osait annoncer : une augmentation de 33 600 chômeurs. Morts d'inquiétude, les téléspectateurs ont pu respirer quand ils l'ont retrouvé, le lendemain, gonflé de nouvelles certitudes. Il est vrai que personne au gouvernement n'avait vu venir le coup. Et, fin mai, le ministre peignait même l'avenir en rosé : « On est en train de dessiner une sortie de crise. »
Maudites heures sup
Erreur, mais, au lendemain du 27 juillet, les conseillers de Fillon et de Bertrand ont soudain identifié le coupable de cette hausse inattendue : le ralentissement de la croissance.
Aux yeux des syndicats et de plusieurs experts, cette explication est un peu courte. Faute de solutions miracles, nombre d'entre eux ont choisi de tirer à boulets rouges sur les aides aux heures supplémentaires mises en place dès 2007 par Sarko. A les en croire, non seulement les heures sup volent du boulot aux chômeurs, mais elles représentent un symbole exécrable dans un pays miné par le chômage. Publié début juillet, le rapport conjoint de deux députés, le sarkozyste Jean-Pierre Gorges et le socialiste Jean Mallot, confirme ce constat. Selon eux, les 704 millions d'heures sup effectuées dans le privé (chiffre de 2010) ont contribué à aggraver le chômage et, en plus, elles coûtent bonbon : 4,3 milliards (soit 6 euros de subvention par heure). Le dispositif n'étant pas financé, il contribue à engraisser la dette. Ces deux insolents ont même chiffré à 140 millions l'intérêt annuel que cette mesure coûte aux contribuables.
Au total, cette réforme fondatrice du quinquennat de Sarko qui devait permettre aux salariés de « travailler plus pour gagner plus » (son slogan fétiche) se traduit surtout, à entendre les parlementaires, par un magistral « effet d'aubaine » pour les employeurs. Et même en faveur de l'Etat. Dans la
fonction publique (enseignement et police, par exemple), les heures supplémentaires sont utilisées massivement pour compenser la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Ce qui, finalement, coûte beaucoup plus cher. La note approche le milliard et demi par an, dont la bénéficie aux enseignants du secondaire et du technique. Bilan : selon un rapport de la Cour des comptes (octobre 2010) le gain en PIB (apporté par cette aide aux heures supplémentaires) est inférieur au coût de la mesure ».
Délire ministériel
Mais combien ces heures sup coûtent-elles en nombre d'emplois ? Certains syndicalistes n'hésitent pas à torturer la calculette : le nombre total équivaut, à les entendre, à près de 470 000 postes de travail. L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) juge un peu simpliste cette règle de trois, mais il estime que l'Etat devrait abandonner ces aides inutiles et récupérer ces milliards pour développer l'emploi des jeunes, dont le taux de chômage atteint 17% (9,2% en Allemagne). Or, selon un document du ministère du Travail publié en mai dernier, le nombre de boulots aidés par l'Etat pour les 15-29 ans a baissé de 113 000 depuis l'élection de Sarko.
Ce redéploiement des aides gouvernementales serait d'autant plus apprécié que la réforme des retraites (quatre mois de travail en plus, dès 2011) et l'extinction de plusieurs dispositifs de préretraite auront, aux yeux de plusieurs experts, un effet désastreux sur l'emploi, notamment celui des jeunes. Du coup, face à Xavier Bertrand, qui persiste dans son rêve de faire passer le taux de chômage sous la barre des 9% à la fin de l'année, l'économiste Dominique Barbet (BNP Paribas) annonce 9,2% et Eric Heyer (OFCE) 9,5%. Petit rappel : en juillet 2007, au micro de RTL, Bertrand jugeait «possible » un taux de 5% en 2012. Rideau.
Alain Guédé
Et en encadré :
Du mou dans la gomme
Pour le gouvernement, la perspective d'une baisse du chômage en juin n'était même pas discutable. Du coup, Xavier Bertrand a totalement négligé de surveiller le nettoyage des fichiers de chômeurs par les agents de Pôle emploi. Ces mauvais Français en ont profité pour économiser la gomme, et les radiations pour « défaut d'actualisation » ont ainsi baissé de 11 000 chômeurs en un seul mois.
Une vigilance plus grande du ministre n'aurait certes pas inversé la tendance. Mais la douloureuse aurait été moins sévère.