La privatisation du Gaz de France n'est pas une fatalité !
La décision n°2006-543 DC rendue par le Conseil constitutionnel le 30 novembre dernier est, à bien des égards, une décision importante, juridiquement, politiquement et, serait-on tenté d'écrire, institutionnellement.
Saisi par les députés et sénateurs de l'opposition les 13 et 14 novembre 2006, les «Sages» de la rue Montpensier devaient se prononcer sur la conformité à la Constitution des dispositions du projet de loi relatif au secteur de l'énergie adopté le 8 novembre.
On sait que ce texte, dont la discussion avait été inscrite en urgence à l'ordre du jour de la session extraordinaire du Parlement dès le début du mois de septembre dernier, n'a pour objectif que de permettre la fusion entre ce qui est encore aujourd'hui une société nationale, Gaz de France (GDF), et le conglomérat franco-belge, Suez, au nom d'un «patriotisme économique» érigé par Dominique de Villepin en nouvel horizon de la politique industrielle de la France.
On ne reviendra pas sur l'épisode de la discussion de la loi du 9 août 2004 : ce texte avait déjà pour objectif de privatiser le statut d'EDF et de GDF en les transformant en sociétés commerciales et en rendant possible leur introduction en bourse par la vente de 30% de leur capital par l'Etat, jusqu'alors actionnaire unique. Or le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de l'époque, un certain Nicolas Sarkozy, s'était engagé, au nom du Gouvernement, à ce que la participation de la Nation au capital des deux entreprises publiques ne descendent jamais en dessous de 70%.
Moins de deux ans après, la droite revenait donc sur sa parole, et après un débat parlementaire homérique, le projet de loi était adopté il y a moins d'un mois.
Mais voilà qu'aujourd'hui, au travers d'une réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel rappelle à l'UMP qu'aucune majorité ne peut imposer à la Nation le bradage de ses services publics «à la hussarde», qui plus est, ajoutera-t-on, au nom d'intérêts industriels dont on perçoit mal le caractère réellement «patriotique»...
Ainsi, en premier lieu, la décision du 30 novembre réaffirme avec force que la Constitution, aux termes du neuvième alinéa du Préambule de 1946, rend obligatoire la «collectivisation» des services publics nationaux et des monopoles de fait. Et si le Conseil constate que, du fait de la transposition de la directive du 26 juin 2003 organisant le marché intérieur du gaz naturel qu'opère le projet de loi en cause, GDF perdra son caractère de service public national à compter du 1er juillet 2007, jusqu'à cette date, l'entreprise reste en situation de monopole pour fournir du gaz naturel aux particuliers. Dès lors, son capital doit rester majoritairement la propriété de l'Etat jusqu'à l'extinction de ces missions exclusives de service public.
Autrement dit, le Gouvernement entrerait en contradiction avec la Constitution s'il décidait de permettre la fusion de GDF avec Suez avant le 1er juillet prochain, opération qui entraînera la dilution de la participation de l'Etat au capital du futur groupe et, donc, la privatisation du Gaz de France.
Par cette décision, le Conseil constitutionnel énonce que :
• Juridiquement, la notion de «service public national» a encore une portée réelle, constitutionnellement garantie : aucun gouvernement et aucune majorité ne peuvent donc s'affranchir du respect des principes économiques et sociaux «particulièrement nécessaires à notre temps» affirmés par le Préambule de 1946 pour mettre en œuvre leur action.
• Politiquement, il appartiendra au président de la République élu en mai prochain et à la majorité parlementaire qui sortira des urnes au mois de juin 2007 de juger de la pertinence de la privatisation de GDF, qui plus est dans le cadre de la fusion avec Suez : en effet, alors que la transposition des directives communautaires entraîne bien la perte de la qualité de «service public national» pour les opérateurs historiques d'électricité et de gaz, rien n'empêche l'Etat de conserver une part majoritaire de leur capital au nom de l'intérêt général.
• Institutionnellement, enfin, le contrôle de constitutionnalité joue un rôle essentiel de régulation de l'action des pouvoirs publics, ce en quoi cette décision s'inscrit en parfaite continuité avec celle du 16 janvier 1982, qui encadra étroitement, sans les empêcher, les nationalisations votées par la nouvelle majorité de gauche.
Décidément, au-delà de sa première lecture, cette décision est importante.
Julien Collette