"À lire entre les lignes, le Conseil constitutionnel semble ainsi établir que toute imposition au-delà de 65 ou 70% est considérée comme confiscatoire. Au nom de quels critères ?", s'interrogeait Martine Orange, journaliste de Mediapart, dans un papier dont nous sous sommes fait l’écho jeudi en soulignant la pertinence de la question. Bingo ! Cette question est posée de nouveau par un professeur de droit public à l'Université Panthéon-Assas (Paris-II), Martin Collet.
Dans une tribune du Monde intitulée
Les Sages en font-ils trop ?, Collet affirme que "jamais auparavant le Conseil ne s'était aventuré si loin dans la mise en cause du pouvoir d'appréciation politique du Parlement." Et de rappeler que jusqu’à présent le juge constitutionnel se gardait bien de "détenir un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement". Sauf que. Dans sa décision du 29 décembre, estime le professeur, "le juge conteste aux élus de la nation le monopole de la définition de ce qui est politiquement légitime". Et de s'émouvoir : "Gouvernement des juges, dites-vous ?"
(...) Arrêtons-nous deux minutes sur le mot "confiscatoire". De une, il n’est pas dans le dictionnaire, tout du moins dans le Trésor de la langue française. De deux, pas besoin d'être linguiste pour deviner qu'il est dérivé de "confisquer". Et qu’est-ce que confisquer ? "Enlever, par acte d'autorité ayant un caractère officiel de sanction, un bien à son propriétaire et l'attribuer au fisc ou à des particuliers qui en ont les droits." Vous lisez bien : un caractère de sanction. L’impôt nous sanctionne parce qu’on a été vilains. Nous sommes alors bien loin de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : "Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés."
En adoubant le mot confiscatoire, le Conseil constitutionnel estime que l’impôt est moins un acte citoyen qu’une punition. Cela dit, pour être juste, l'impôt a parfois eu un rôle de sanction. Thomas Piketty me racontait, dans son bureau de l'ENS, qu'à l'après-guerre, histoire de favoriser la natalité, les couples mariés qui n'avaient pas d'enfants au bout de quelques années se voyaient taxer plus fortement.
L'impôt doit-il être une carotte, un coup de bâton, ou les deux à la fois ? En ces temps où les riches annoncent leur envie de déserter le pays (cessons, par pitié, de parler d'exil fiscal), le débat sur la nature de l'impôt est aussi passionnant que fondamental. Tout comme la question de l'origine de la loi.
Qui légifère ? En fixant des limites chiffrées, en changeant insidieusement les termes de la Constitution, en déplaçant le curseur, les juges finissent par peser davantage que les parlementaires. Ce débat-là, Collet souhaiterait que le gouvernement et le Parlement s'en saisissent, et fermement : "Il suffit à la majorité de taper du poing sur la table, de dire que le Conseil est allé trop loin et, pourquoi pas, d'envisager une réforme de cette institution, réforme abordée du bout des lèvres dans le rapport Jospin sur la vie politique." Le rapport suggère en effet de supprimer l'accès automatique du Conseil aux anciens présidents de la République.
Gouvernement, si tu nous lis…