Tchouni, pardonnez l'apparente dureté de mes propos, mais vous irez mieux quand vous cesserez de tout ramener à vous-même.
Je vous cite au fur et à mesure pour développer point par point mes arguments.
je me demande ce que j'ai fait de mal pour que le sort s'acharne sur moi.
(...) J'ai le sentiment que l'on ne veut pas de moi ici alors que je n'ai rien fait de mal.
Le sort ne s'acharne pas que sur vous : il s'acharne sur des millions de personnes, peu importe leur âge, leur niveau d'expérience ou de diplôme, leur zone géographique...
Dans cet article du
Monde, voyez où nous en sommes : en 2012 le chômage a explosé partout,
y compris dans les zones d'emploi jusqu'ici préservées. L'ouest de la France en faisait partie. En Mayenne, le chômage a bondi de 21,6% en un an (moyenne nationale : +10%).
Quant à la précarité, elle est le lot commun de millions d'individus, touchant particulièrement les jeunes et les femmes : ces dix dernières années,
les contrats de moins d'une semaine ont explosé (+120%), et ceux de moins d'un mois ont aussi (+88%).
Vous voyez bien que le phénomène est général.
Je me sens extrêmement coupable
(...) Ce trou me donne envie de vomir car il canalise tout le dégoût que j'ai de ma vie et de moi-même ...
Il faut absolument que vous intégriez le fait que
vous n'êtes aucunement responsable de cette catastrophe. Ainsi, vous retrouverez le goût de vous-même.
Sortez de votre coquille et ouvrez-vous : informez-vous, essayez de comprendre les mécanismes du chômage et de l'économie.
Le chômage, la précarité sont voulus et organisés. Convaincre les chômeurs qu'ils sont responsables de leur situation et que c'est de leur faute s'ils ne trouvent pas d'emploi débarrasse les politiques et les entreprises de leur responsabilité écrasante dans ce gâchis. Je reprends les propos avisés de stm_artin :
Cette situation n'est pas inscrite dans les lois de la nature. Elle est le fruit de choix politiques. Engage toi là ou tu penses trouver les bonnes réponses.
la politique, je n'ai plus aucune confiance en elle !
Pourtant,
tout est politique. Abandonner le champ du politique est une grave erreur : vous laissez à ceux qui continuent de nous gouverner en dépit du bon sens les mains libres pour nous faire basculer toujours plus dans le 19e siècle.
Des alternatives sont à inventer. L'avenir, c'est vous, votre génération.
Mais pour l'instant, Tchouni, vous avez trop la tête dans le guidon pour vous en rendre compte. Ça viendra peut-être.
Et quand est-ce que ça va s'arranger ??
J'ai parlé de la responsabilité des politiques et des entreprises, mais il y a aussi celle de la finance. Vous êtes certainement au courant qu'en 2008, des apprentis sorciers de Wall Street ont provoqué une grave crise financière qui a contaminé le monde. Cette crise, qui n'est pas la première, est comparable au Krach de 1929, lui aussi venu de Wall Street : je vous conseille de chercher sur internet des pages d'Histoire qui vous en feront découvrir les conséquences. La crise de 1929 a duré 15 ans, s'achevant avec la fin de la Seconde guerre mondiale.
Vous avez 28 ans, l'âge de ma fille. Vous êtes né en 1984, en pleine période où le système économique a effectué une mue historique : du capitalisme à papa, on est passé à un capitalisme sauvage qui, trente ans après, a abouti à ce désastre. Sachez que nous sommes entrés dans une ère où "la crise", devenue permanente, est érigée en système : c'est un mode de gestion axé sur la domination par la décomposition.
Inutile de vous dire que ce système est mortifère et qu'il ne pourra pas durer éternellement. Il fait trop de victimes, et ses instigateurs scient la branche sur laquelle ils sont assis. Bien que l'Histoire bégaie et que vous soyez
un sacrifié de l'Histoire parmi tant d'autres (nous, ici, le sommes aussi. En Europe, plus de 26 millions d'actifs sont sans emploi.
Dans le monde, ils sont plus de 200 millions et les jeunes sont en première ligne),
vous avez encore l'avenir devant vous.
Moi, j'ai 50 ans et peu d'espoir de voir les choses s'améliorer : à mon âge, aucun employeur ne veut de moi et je pense qu'à 60 ans, je serai toujours en retraite forcée.

Mais je m'en fous : j'ai désormais appris à vivre sans patron et sans fric. Ce qui compte, c'est que je veuille toujours de moi-même
Mais vous, à 28 ans, vous verrez les choses changer. Peut-être aurez-vous la satisfaction d'y contribuer.
Pour des raisons qui vous échappent (et vous échappent d'autant plus que vous vous focalisez pour l'instant sur vous-même),
votre vie — comme celle de millions d'autres — est mise en parenthèse.
ACCEPTEZ CETTE PARENTHÈSE
1) pour cesser de vous rendre malade;
2) pour prendre du recul est éventuellement passer du statut de spectateur impuissant à celui d'acteur d'un basculement indispensable.
Car ça ne peut pas continuer comme ça !
Battez-vous : pas forcément pour décrocher un boulot qui vous permette enfin d'avoir une vie "normale", mais pour modifier à la source les fondements de cette société en faillite.
Dernière chose...
Je vis chez mes parents mais je rêve d'avoir une vraie vie "normale" comme tous mes amis
ACCEPTEZ CETTE VIE "ANORMALE"
1) d'abord, qu'est-ce que la normalité ? Vouloir être comme tout le monde est-il vraiment source de bonheur et d'épanouissement ?
2) mener une vie considérée comme "anormale" peut être une expérience très enrichissante, qui n'entame en rien la dignité (au contraire : perso, je ne me suis jamais sentie plus digne qu'aujourd'hui bien que je sois au chômage depuis longtemps. Mille fois plus digne que quand je travaillais);
3) dites-vous que vous êtes un garçon tout à fait normal : c'est ce qu'on nous fait supporter qui ne l'est pas;
3) profitez de votre temps libre non seulement pour vous cultiver, mais aussi pour resserrer les liens avec ceux que vous aimez et qui vous respectent. Le reste, au final, a bien peu d'importance.
Vous habitez chez vos parents : vous n'êtes pas la rue et vous avez de quoi bouffer. Si de surcroît vous vous entendez bien avec eux (car tant de jeunes vivent l'enfer en famille et se tirent; beaucoup se clochardisent), alors dites-vous qu'au final vous avez entre les mains des cartes essentielles pour supporter cette "vie en parenthèse" imposée par le système, le temps qu'il agonisera.
Et puis vous êtes un homme. Dites-vous que vous pouvez fonder une famille sans cette limite d'âge de 40-45 ans que la nature impose aux femmes.
Je comprends qu'à 28 ans vous ayez besoin de vivre votre vie. Mais dites-vous bien qu'en la période actuelle, aussi inique soit-elle, il est périlleux de vouloir l'inaccessible, aussi légitime soit-il. Faites le roseau plutôt que le chêne. Je vous dis ça parce que ma fille, qui a le même âge que vous et un boulot payé à peine plus que le Smic, vivait sous mon toit avec sa petite fille qu'elle élève seule. On s'entendait bien, et à nous deux on s'en sortait.
A la recherche d'un logement depuis 8 ans, elle a enfin trouvé un appart’ (loyer à Paris : 700 €/mois

). Je vous dis pas les emmerdes dans lesquelles elle s'est fourrée. Depuis qu'elle est partie, elle n'a que des problèmes de fric qui lui empoisonnent l'existence. Plus que jamais, vouloir voler de ses propres ailes a un coût, ignoblement surélevé. Dans quelque temps, elle va regretter d'avoir quitté sa mère (d'ailleurs, elle me le dit elle-même en plaisantant)… chose, bien évidemment, que je ne souhaite pas mais qui reste, hélas, fort probable. Et d'un autre côté je comprends qu'elle ait saisi cette opportunité d'indépendance, moi qui ai fui de chez mes parents à 18 balais. Sauf qu'il y a 32 ans, on pouvait vivre avec un Smic.
De nos jours, l'indépendance a un prix excessivement élevé. Mais qu'est-ce que la liberté ? Existe-t-elle vraiment ?
La liberté, au final, ne consiste-t-elle pas à choisir sa cage ?
Etant revenue d'une longue dépression où je n'acceptais pas mon chômage, aujourd'hui, je m'aperçois que je suis plus libre que quand je travaillais. Pourtant, le chômage m'a été imposé. J'ai fait, comme on dit, "contre mauvaise fortune bon cœur", je me suis adaptée et j'ai découvert en moi des choses insoupçonnées qui m'ont forgée. Je ne regrette rien.
Alors, tel l'oiseau qui se roule en boule en attendant que cesse le déluge, faites le dos rond rond, profitez-en pour réfléchir et recentrez-vous sur l'essentiel. Après la pluie revient le beau temps. Ayez "le courage des oiseaux" de la chanson de Dominique A et résistez.