Ubuesque
Extrait d'une conversation entre un médecin prescripteur d'un arrêt de travail et le
medcon (médecin contrôleur de la secu)
- Bonjour, merci de me rappeler. Je vous ai contacté à propos du courrier de désaccord avec ma prescription d'arrêt de travail que j'ai reçu de votre part concernant Monsieur XXX. que j'avais vu à ma consultation pour une sciatique...
- Il ne s'agit pas d'un désaccord mais d'un avis défavorable.
- Il me semble que l'objet de votre lettre s'intitule : "désaccord". Je disais donc que le sujet de votre lettre m'a mis mal à l'aise, puisqu'en près de 20 ans d'exercice c'est la première fois que la sécu m'exprime son désaccord sur une de mes décisions médicales. Et que l'on entend tout de suite derrière ce mot de désaccord ou d'avis défavorable d'ordre médical le fait que l'on pourrait être soupçonné de la rédaction d'un arrêt de travail de complaisance.
Sans compter ce que ressent le patient qui reçoit ce courrier.
Je vous précise que ce patient avait un Lasègue bilatéral à 30 et à 40 ° lorsque je l'ai vu, il était absolument en incapacité de travailler d'autant plus qu'il est chauffeur de car.
- Ah oui, il était donc bien malade, s'étonne le medcon.
Je comprends bien ce que ce courrier peut avoir d'inquiétant dans sa formulation mais ce n'est pas cela du tout. j'ai reçu ce patient le 23 avril dernier, soit 6 jours après que vous l'ayez vu, il allait beaucoup mieux, il le reconnaissait lui-même et il se disait prêt à reprendre son travail le 27 avril comme prévu. j'ai donc émis un avis défavorable à ce que son arrêt de travail ne s'arrête pas le 26.
- Donc si je comprends bien, le patient était prêt pour reprendre le travail comme prévu. De mon coté, j'apprends que l'arrêt de travail lui a été bénéfique. Vous, de votre coté, vous constatez qu'il pourra reprendre son travail effectivement le 27, comme prévu. Bref, nous sommes tous d'accord, vous, le patient et moi, et cela s'exprime par un courrier négatif de désaccord de votre part laissant entendre que le patient et son médecin auraient abusé.
Est ce qu'il n'y a pas un problème là ?
- Oui, oui, je comprends bien, mais nous sommes tenus de faire ce courrier.
- Et qu'est ce qui vous empêche de le formuler positivement plutôt que de façon culpabilisante, dans la mesure où tous les acteurs sont d'accord pour faire le même constat, comme vous l'écrivez vous-même : "apte à reprendre une activité professionnelle" à la fin de son arrêt de travail ?
L'Ordinateur Central de la Sécu
- Mais ce sont des lettres types qui sont formatées de cette façon dans notre logiciel et que nous ne pouvons pas modifier. Seules les parties que vous voyez en gras sont modifiables de notre propre initiative.
Je laisse passer le silence consterné qui convient puis j'ose :
- Puis je vous poser la question qui me vient à l'esprit et que je résume sous la forme d'une caricature : cela signifie-t-il que vous auriez des quotas d'avis défavorable et de désaccord à rendre à vos supérieurs ? Comme la police qui doit réaliser un minimum de gardes à vue et de contraventions pour montrer qu'elle lutte contre la délinquance ?
- On ne peut pas dire ça comme ça...
- C'est bien pour cela que je parle de caricature.
- Mais nous avons des consignes pour contrôler les arrêts maladie de courte durée.
- Je l'avais compris.
- Et ces lettres types nous sont fournies directement dans le cadre de ces campagnes.
- Très bien. Et pour répondre à l'inquiétude du patient, qui n'aura lui sûrement pas la possibilité de vous poser ces questions et d'accéder à ces informations, que dois-je lui répondre si, par exemple, sa sciatique récidive, et qu'il doit bénéficier d'un nouvel arrêt pour la même raison. Aura-t-il le droit d'être de nouveau en arrêt pour ce motif ?
- Oui, bien sûr, évidemment.
- Merci pour lui. Vous comprenez que son inquiétude puisse être légitime en recevant de tels courriers et qu'il puisse être amené à s'interroger sur son droit à être de nouveau malade sur ce problème particulier.
- Oui, je comprends. Ca peut-être inquiétant, évidemment.
- Et vous en tant que médecin, vous n'avez pas la possibilité de faire remonter aux responsables rédacteurs de ce type de courrier le risque qu'il y a pour les relations entre prescripteurs, assurés sociaux et sécu d'être dans une communication négative et suspicieuse, alors que tout le monde est en fait d'accord ?
- Non, je ne peux rien faire. Nos logiciels sont programmés ainsi.
- Eh bien moi si vous le permettez je vais faire remonter cette information avec mes faibles moyens.
Vous allez encore me dire que j'exagère, chers lecteurs du carnet de Julien Bezolles, et que c'est peu de choses, mais franchement ça me fait froid dans le dos que les technocrates de la sécu élaborent délibérément, sans possibilité qui plus est d'y sursoir de la part de l'agent exécuteur qu'est le medcon, cette forme de communication permettant de maintenir l'oppression.
J'imagine, pour ma part aisément, la propagande dont saura se saisir la sécu, sa direction et son Miniver (le ministère de la Vérité de George Orwell ) pour expliquer, chiffres à l'appui, que lors de sa campagne de contrôle des arrêts de travail de courte durée, les échelons locaux auront émis 80 % de désaccords et d'avis défavorables. Ce qui démontrera à quels points les assurés et les médecins généralistes creusent le trou de la sécu de façon irresponsable, et permettre à l'industrie pharmaceutique de continuer à le faire vraiment, elle. Et de prévoir la mise en place de nouvelles sanctions ou mesures de responsabilisation : une franchise sur les arrêts de travail, pourquoi pas ?
Notification d'avis défavorable à un assujetti social
Ainsi je témoigne par le petit bout de la lorgnette du terrain de la mise en place des outils totalitaires par les bureaucrates d'une structure qui a été créée autrefois pour le service de la population. Et comme d'habitude, les relais complices et complaisants sont là pour dire : "Ah ben, moi, j'obéis aux ordres, hein, je fais ce qu'on me dit."
article complet et source chez C. Lehman