En cette période de réflexions sur nos prochains modes d'action (mobilisation), lisons ou relisons l'interview que nous avait accordée Claire Villiers il y a quelques années. Extraits :
De tous les combats, Claire VILLIERS est aujourd'hui vice-présidente du Conseil régional d’Île-de-France chargée de la démocratie régionale, élue sur la liste de la Gauche populaire et citoyenne. Co-fondatrice en 1993 d’AC! Agir ensemble contre le chômage et membre de la Fondation Copernic, elle fut secrétaire générale CFDT-Anpe et SNU-Anpe.
Elle a aussi participé à la rédaction de plusieurs ouvrages dont Le Cœur à l’emploi (avec Alain Ottavi & Noël Daucé). Spontanée et diserte, la pertinence et la sincérité de son discours en font une militante attachante.
Actuchomage : Depuis mars dernier, vous êtes vice-présidente du Conseil régional d’Île-de-France. Cette étape dans votre parcours de militante de terrain vous offre-t-elle une «reconnaissance institutionnelle» ?
Claire VILLIERS : Il ne s’agit pas de reconnaissance. Non, ce n’est vraiment pas ce que je recherche ! Quand je me suis engagée dans la campagne électorale aux côtés de Marie-George Buffet pour la Gauche Populaire et Citoyenne, j’ai continué à défendre mes valeurs et à exercer des responsabilités. Aujourd’hui, je poursuis le combat dans les institutions, et j’ai la chance d’être toujours sur le terrain puisque je fais partie d’une nouvelle délégation qui est la Démocratie régionale. Le mandat est différent, mais l’engagement reste le même : la Région est un outil supplémentaire pour exercer la démocratie - la vraie -, celle qui construit des rapports de force et non celle qui s’affiche avec des paillettes. Et la Démocratie régionale est un outil qui permet de résister et de faire surgir les vrais besoins. (…)
Actuchomage : Qu’est-ce qui a changé au Conseil régional depuis mars 2004 ?
C.V. : Avant cette date, Jean-Paul Huchon ne bénéficiait que d’une majorité relative. Il était contraint de composer avec la droite. Pour ma part, je découvre de l’intérieur la gestion de dossiers très lourds, notamment celui des logements sociaux. Et je tiens à dire une chose à tous ceux qui les mettent dans le même sac : je peux vous jurer que la gauche et la droite, ce n’est vraiment pas la même chose !
Le mouvement social va mal. Malgré tous les gens qui sont descendus dans la rue pour défendre la recherche ou les retraites, on n’a rien gagné ! Aujourd’hui, les gens hésitent à se battre. Il faut redonner du souffle au mouvement social en diversifiant nos outils d’intervention et mieux digérer les échecs qu’on s’est pris. La liste de la Gauche Populaire et Citoyenne a insufflé un vrai élan. Mais on ne doit pas s’arrêter là, il faut réussir à créer un réseau, un véritable partenariat avec tous les anti-libéraux sur le champ politique.
Actuchomage : On vous a vue défiler lors de la manifestation parisienne du 4 décembre. Etes-vous toujours partie prenante dans AC! - Agir ensemble contre le chômage - malgré vos nouvelles fonctions ?
C.V. : Je ne suis plus présidente des Amis d’AC!, mais je suis toujours membre du Collectif 92-Nord à Asnières/Gennevilliers. Je continue à participer à des groupes de travail et je reste syndiquée au SNU-Anpe. AC! reste pour moi essentiel et irremplaçable, mais son évolution m’inquiète : je trouve qu’ils ont beaucoup de mal à gérer leurs conflits internes, et ils ont apparemment de grosses difficultés à s’organiser avec les autres associations, ce qui les éloigne de leur vocation d’origine. Car AC! souhaitait réunir les chômeurs et les salariés autour de leurs préoccupations sur le chômage et la précarisation. Aujourd’hui, je constate que les salariés se sont éloignés et qu’AC! est devenue une organisation de camarades au chômage depuis longtemps. Attention, je n’ai rien contre les chômeurs militants qui ne cherchent plus d’emploi ! Leurs raisons sont diverses et complexes : il y a ceux qui veulent échapper à la violence et à l’aliénation du recrutement, ceux qui ont beaucoup souffert dans leur travail et se sentent plus utiles dans le militantisme même si ce n’est pas reconnu, et ceux qui refusent d’enrichir les gros patrons et se placent dans une volonté d’insubordination salariale. Ce qui me dérange, c’est qu’on mette parfois en avant une soi-disant disparition du travail pour revendiquer sans concession un droit au revenu pour tout le monde : je trouve que ça manque d’ambition, c’est même fataliste parce que ça favorise une déconnexion qui va dans le sens de l’exclusion. Il faut justement continuer à défendre sa place dans la société : on a besoin de tout le monde - salarié ou non -, on a tous des compétences et un savoir-faire, nous vivons dans une société où chacun a sa place, et il faut vraiment se battre pour ça. Quant à critiquer les chômeurs qui ne cherchent pas de travail, c’est beaucoup plus compliqué que ça. Commençons d’abord par proposer des emplois à ceux qui en veulent, et on discutera après pour les autres.
Actuchomage : Que retenez-vous de la bataille des Recalculés ?
C.V. : Je pense que c’est une très belle bataille. Ce n’était pourtant pas gagné, mais c’est l’acharnement de certains camarades qui a mené à la victoire. Cette bataille a prouvé qu’il ne faut jamais s’avouer vaincu : en cela, c’est une grande leçon qui devrait inspirer tout le monde, des sans-papiers aux salariés en entreprise. C’est une question de dignité et de fierté. Il y a des tas de batailles qu’on perd parce qu’on ne les mène pas. L’important, c’est d’aller jusqu’au bout. Et partir perdant, c’est aussi nourrir le Front National.
Mais cette bataille a dégagé de vraies contradictions, notamment en basant la procédure judiciaire sur la notion de «rupture abusive de contrat» (ndlr : le PARE). On fait ici abstraction du fait que les allocations chômage ne sont qu’un légitime reversement de cotisations. On laisse ainsi entendre que le chômeur est indemnisé en fonction de ses recherches d’emploi et non en fonction de ses cotisations. On reste dans une logique patronale/Medef.
Actuchomage : Pensez-vous que les batailles juridiques (qui rentrent dans le jeu du système et qui sont «individualisantes» dans leur mode d’action) marquent le déclin de la mobilisation de rue et des rapports de force qu’elle induit ?
C.V. : Non ! Le combat juridique est un outil supplémentaire : je pense d’ailleurs aux Prud’hommes, qui ont toujours existé. Il faut utiliser toutes les armes, et les lois ça se change. Par contre, n’utiliser que la loi est un tort. L’histoire des Recalculés, même si elle a été portée «individuellement» en justice, est l’exemple d’un conflit social fédérateur. Et toute cette articulation entre la mobilisation, le droit et la politique a pesé sur les élections régionales. L’affaire des Recalculés a révélé toute l’hétérogénéité du chômage. Il y a certains sociologues, comme Touraine, qui parlent «d’inclus» et «d’exclus» : c’est une considération fausse qui ne sert qu’à diviser, car le chômage est un cocktail de diversités, pas une maladie. Il est dangereux de considérer que les chômeurs sont une catégorie à part.
Actuchomage : Comment expliquez-vous que les Associations de chômeurs ne soient toujours pas représentées à l’Unedic ?
C.V. : Il y a un premier déni de démocratie dans la construction même de l’Unedic. Le régime d’assurance chômage aurait du être créé en 1945 avec la mise en place de la Sécu. À l’époque y étaient représentés 2/3 de syndicats pour 1/3 d’employeurs, mais comme il n’y avait pas de problème d’emploi, le volet de l’assurance-chômage n’a pas abouti. L’Unedic a été créée en 1958 dans un souci de rééquilibrage des forces en faveur du patronat. Mais le vrai problème, c’est que les syndicats ne se sont jamais intéressés aux chômeurs, ils ne les représentent pas (exceptée la CGT qui essaie). Je pense qu’ils les négligent parce qu’ils sont sous l’emprise de la vieille idéologie judéo-chrétienne qui estime qu’il faut gagner son pain à la sueur de son front, sinon tu n’es qu’un pauvre, tout juste bon pour la charité publique. Dans leur alliance avec le patronat, les syndicats ont tendance (notamment la CFDT où j’ai milité) à baisser les bras face à la précarité et à la flexibilité, concluant qu’on n’y peut rien !
Actuchomage : Que vous inspire la faible mobilisation des chômeurs en France ? Comment expliquer cette apathie en comparaison avec ce qui se passe dans d’autres pays européens comme l’Allemagne ?
C.V. : Effectivement, je me souviens des mouvements de chômeurs de 97, 98 et 99 où la mobilisation était forte dans toute l’Europe... D’abord, Jean-Louis Borloo est un habile bonimenteur, et sa «cohésion sociale» est un véritable écran de fumée. Ensuite, comme on n’a pas fini de digérer toutes les défaites précédentes, les gens hésitent à se battre. De plus, pas un syndicat n’a appelé à se mobiliser contre l’amendement Larcher qui propose de licencier tout salarié refusant de signer un nouveau contrat lui imposant une baisse de salaire, c’est hallucinant ! Là-dessus, le chômage étant tabou, il est la porte ouverte à toutes les expérimentations de la part des politiques : on expérimente aisément sur cette population qui ne se mobilise pas pour étendre les «réformes» à l’ensemble de la population. C’est pour cette raison qu’il faut être particulièrement vigilant sur le sort que l’on réserve aux chômeurs qui sera celui que l’on réservera à l’ensemble de la population un peu plus tard ! Il y a aussi tout cet inconscient collectif qui estime que le chômage n’arrive qu’aux autres et que seul compte le travail : on n’est donc pas sûr que les chômeurs aient des droits.
Enfin, quand on se retrouve chômeur, qui est déjà une étiquette infamante, on a pour préoccupation de ne pas y rester. Beaucoup disent «je suis licencié» mais pas «je suis chômeur». On s’organise en tant que chômeur quand le chômage dure : mais s’organiser, c’est se projeter dans l’avenir, et y a-t-il un avenir dans le chômage ? D’où l’importance des syndicats qui - et c’est dramatique - ne jouent pas leur rôle : suivre les salariés devenus chômeurs serait le seul moyen d’avoir une permanence de l’organisation. (…)