La journée d’Enzo.

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Modérateurs : superuser, Yves

carl

La journée d’Enzo.

Message par carl »

La journée d’Enzo.

3 septembre 2012.

Enzo est assis à sa place, parmi ses 32 camarades de CP. Il porte la vieille blouse de son frère, éculée, tâchée, un peu grande. Celle de Jean-Emilien, au premier rang, est toute neuve et porte le logo d’une grande marque.

La maîtresse parle, mais il a du mal à l’entendre, du fond de la classe. Trop de bruit. La maîtresse est une remplaçante, une dame en retraite qui vient remplacer leur maîtresse en congé maternité. Il ne se souvient pas plus de son nom qu’elle ne se souvient du sien.

Sa maîtresse a fait la rentrée, il y a trois semaines, puis est partie en congés. La vieille dame de 65 ans est là depuis lundi, elle est un peu sourde, mais gentille. Plus gentille quel’intérimaire avant elle. Il sentait le vin et criait fort. Puis il expliquait mal.

Du coup Enzo ne comprend pas bien pourquoi B et A font BA, mais pas dans BANC ni dans BAIE ; ni la soustraction ; ni pourquoi il doit connaître toutes les dates des croisades.

On l’a mis sur la liste des élèves en difficultés, car il a raté sa première évaluation. Il devra rester de 12 à 12h30 pour le soutien. Sans doute aussi aux vacances. Hier, il avait du mal à écouter la vieille dame, pendant le soutien ; son ventre gargouillait. Quand il est arrivé à la
cantine, il ne restait que du pain. Il l’a mangé sous le préau avec ceux dont les parents ne peuvent déjà plus payer la cantine.

Il a commencé l’école l’an dernier, à 5 ans. L’école maternelle n’est plus obligatoire, c’est un choix des mairies, et la mairie de son village ne pouvait pas payer pour maintenir une école. Son cousin Brice a eu plus de chance : il est allé à l’école à 3 ans, mais ses parents
ont dû payer.

La sieste, l’accueil et le goûter n’existent plus, place à la morale, à l’alphabet ; il faut vouvoyer les adultes, obéir, ne pas parler et apprendre à se débrouiller seul pour les habits et les toilettes : pas assez de personnel. Les enseignants, mal payés par la commune, gèrent leurs quarante élèves chacun comme une garderie. L’école privée en
face a une vraie maternelle, mais seuls les riches y ont accès.

Brice a moins de mal, malgré tout, à comprendre les règles de l’école et ses leçons de CP.

En plus, le soir il va à des cours particuliers, car ses parents ne peuvent pas l’aider pour les devoirs, ils font trop d’heures supplémentaires.

Mais Enzo a toujours plus de chance que son voisin Kévin : celui-ci doit se lever plus tôt et livrer les journaux avant de venir à l’école, pour aider son grand-père, qui n’a presque pas de retraite.

Enzo est au fond de la classe. La chaise à côté de lui est vide. Son ami Saïd est parti, son père a été expulsé. Il ne reviendra plus. Enzo n’oubliera jamais son ami pleurant dans le fourgon de la police, à côté de son père menotté. Il parait qu'il n'avait pas de papiers...

Enzo fait très attention : chaque matin il met du papier dans son cartable, dans le sac de sa maman et dans celui de son frère.

Du fond, Enzo ne voit pas bien le tableau. Il est trop loin, et il a besoin de lunettes. Mais les lunettes ne sont plus remboursées. Il faut payer l’assurance, et ses parents n’en ont pas les moyens.

L’an prochain Enzo devra prendre le bus pour aller à l’école. Il devra se lever plus tôt. Et rentrer plus tard. L’EPEP (établissement public d’enseignement primaire) qui gère son école a décidé de regrouper les CP dans le village voisin, pour économiser un poste d’enseignant. Ils seront 36 par classe. Que des garçons. Les filles sont dans une
autre école.

Enzo se demande si après le CM2 il ira au collège ou, comme son grand frère Théo, en centre de préformation professionnelle. Peut-être que les cours en atelier seront moins ennuyeux que toutes ces leçons à apprendre par coeur. Mais sa mère dit qu’il n’y a plus de travail, que ça ne sert à rien.

Le père d’Enzo a dû aller travailler en Roumanie, l’usine est partie là-bas. Il ne l’a pas vu depuis des mois. La délocalisation, ça s’appelle, à cause de la mondialisation. Pourtant la vieille dame disait hier que c’est très bien, la mondialisation, que ça apportait la richesse.

Ils sont fous, ces Roumains !

Il lui tarde la récréation. Il retrouvera Cathy, la jeune soeur de maman. Elle fait sa deuxième année de stage pour être maîtresse dans l’école, dans la classe de monsieur Luc. Il remplace monsieur Jacques, qui a été renvoyé, car il avait fait grève. On dit que c’était un syndicaliste qui faisait de la pédagogie.

Il y avait aussi madame Paulette en CP ; elle apprenait à lire aux enfants avec des vrais livres ; un inspecteur venait régulièrement la gronder ; elle a fini par démissionner... Cathy a les yeux cernés : le soir elle est serveuse dans un café, car sa formation n’est pas payée.

Elle dit : « A 28 ans et un bac +5, servir des bières le soir et faire la classe la journée, c’est épuisant. » Surtout qu’elle dort dans le salon chez Enzo, elle n’a pas assez d’argent pour se payer un loyer.

Après la récréation, il y a le cours de religion et de morale, avec l’abbé Georges. Il faut lui réciter la vie de Jeanne d’Arc, la liste des Saints et les dix commandements par coeur.

C’est lui qui organise le voyage scolaire à Lourdes, à Pâques. Sauf pour ceux qui seront convoqués pour le soutien…

Enzo se demande pourquoi il est là. Pourquoi Saïd a dû partir. Pourquoi Cathy et sa mère pleurent la nuit. Pourquoi et comment les usines s’en vont en emportant le travail.

Pourquoi ils sont si nombreux en classe. Pourquoi il n’a pas une maîtresse toute l’année.

Pourquoi il devra prendre le bus. Pourquoi il passe ses vacances à faire des stages.

Pourquoi on le punit ainsi. Pourquoi il n'a pas de lunettes. Pourquoi il a faim. Pourquoi...

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Cette « fiction » n'en est pas tout à fait une... Si l'ensemble des projets gouvernementaux voit le jour, ce texte aura simplement légèrement anticipé la réalité !

Est-ce l’école que nous voulons ?

A force de recevoir des coups sur la tête, enseignants et parents d'élèves n'ont pas élevé la riposte unitaire au niveau nécessaire pour imposer des reculs ; rien n'est encore perdu !

Ras le bol d'entendre « c'est comme ça... On n'y peut rien... »

De ce point de vue, l'année scolaire 2008/2009 va constituer un véritable tournant : soit « Darcozy/Sarkos » rencontrent les enseignants et l'ensemble des défenseurs d'une école publique de qualité sur leur route, soit la « journée d'Enzo » deviendra réalité...

Il est temps de réaliser la force considérable qu'on aurait...

ENSEMBLE !

Le SNUipp 19,

d'après un texte circulant sur internet,
toit_de_chôme

Message par toit_de_chôme »

Je trouve que ce texte est déjà un état de la réalité.

Combien d'enfant de pauvre n'on déjà pas de lunettes parce que les verres "CMU" sont reconnaissable entre tous et pas forcément esthétique. Les gamins n'osent même pas en porter. Le pire sont les enfants des parents qui n'ont pas les moyens d'avoir une mutuelle qui qui se contentent des mêmes lunettes.

La la cours, on les reconnait les enfants de pauvres, ils ne parlent pas de leur vacance ou disent qu'ils ont fait une "sortie extraordinaire au Mac Do" pour leur anniversaire. Les vetement ne sont pas les mêmes et même inconsciement les enseignant les cataloguent comme plus mauvais que leur niveau moyen, parce que "esthétiquement moins brillant" (A miveau égal, un eleve beau est mieux coté qu'un élève moche, c'est juste un constat).

Et puis, si nous nous retrouvons avec un système scolaire hyper selectif à l'Allemande (à 11 ans, on sait qui va aller directement au bac et qui va aller directement au CAP), nous aurons une classe sociale qui va rester entre elle. et là le seul salut pourrait etre, pour une promotion sociale, de gagner le prix du meilleur ouvrier de France de sa catégorie. Pendant ce temps là, il sera déconseillé à un enfant de pauvre de continuer apres le bac, et peut etre même à un enfant de classe moyenne qui verra que pour continuer, il devra travailler en même temps.
maguy

Message par maguy »

J'avais vu ce texte de science-pas-si-fiction que ça...

Les différences sociales marquées par les signes extérieurs, ne sont pas nouvelles.

Mon jeune frère qui avait beaucoup de mal à apprendre à lire et écrire avait eu cette réflexion de l'instit de l'époque à ma mère "et bien il fera comme son papa, il sera ouvrier".

Mon frère, âgé aujourd'hui de 50 ans, cumulait les handicaps, d'une part pas d'école maternelle et surtout gaucher à 100% au temps où on voulait encore les contrarier. :roll:
toit_de_chôme

Message par toit_de_chôme »

Cela me fait rappeler quelque chose : lorsque j''était plus jeune, un couple de professeurs de collège, avait fait construire une maison sur un terrain d'un quartier "pauvre" d'une petite ville. ils avaient une fille scolarisée au primaire, qu'ils avaient mis à l'école la plus proche pour des raisons pratiques.

Dans cette école, la quasi-totalité des enfants étaient des enfants de "pauvres" (Rmistes des débuts du RMI, chômeurs, ouvriers, au mieux employés des adminstrations peu payés). Par rapport aux autres écoles, il y avait pas mal d'absentéisme et d'enfant qui arrivaiant en retard parce que leur parents ne se levaient pas à l'heure pour les amener (surtout les enfants des parents qui travaillent en tournée, le père le matin, la mère l'apres midi et vice versa la semaine suivante). Les enfants n'étaient guères stimulé par leur environnement familial et étaient souvent suivis par des éducateurs.

La jeune fille ne comprenait pas à l'école pourquoi les instuteurs ou le personnel parlait mal à certains de ses camarades et correctement à elle pour exactement la meme chose (mains pas lavée avant d'aller en classe, tâche d'encre sur le cahier ... des trucs de gosses quoi). Ses camarades ont fini par la rejeter, ne la comprenant pas, en la traitant de "fayotte" ou de "suce-boules" (dixit les préados de sa classe, et oui, certain(e)s avaient déjà deux ou trois ans de retards scolaires).

Ses parents se sont plaint du comportement des autres enfants et de l'école.Eux qui placent l'école de la République au premier rang, surtout la publique, ont scolarisé leur fille dans le privée ou elle s'est mieux épanouie ...

Adopter un langage différent à des personnes de condition modestes renforce l'inégalité sociale, surtout devant des enfants qui n'y sont pour rien dans tout ça. L'école le fait plus ou moins ouvertement, ca arrange bien du monde car par la suite les meilleures places ne s'octroient que sur invitation, voire plus souvent recommandation.
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