La chasse aux chômeurs a-t-elle (re)commencé?
Début janvier, Nicolas Sarkozy réaffirmait sa volonté de pouvoir sanctionner les chômeurs qui refusent "deux offres d'emplois acceptables". Un projet qui fait sourire Pierre Concialdi, économiste et membre du collectif ACDC (les Autres Chiffres du Chômage). Pour lui, cette mesure s'inscrit dans une logique de pression exercée sur le demandeur d'emploi. Il parle même "d'intox".
Il est déjà possible de sanctionner un chômeur qui refuse une offre d'emploi. Alors, à quoi servirait cette nouvelle mesure ?
Pierre Concialdi : Il y a évidemment une part d’intox dans ce discours. Lorsque Nicolas Sarkozy fait comme s’il n’existait aujourd’hui aucune obligation pour les chômeurs, il fait croire à l’opinion publique que c’est la réalité. Ce qui lui permet de légitimer un nouveau tour de vis.
Pourtant, les chômeurs ont des obligations de plus en plus fortes. Ce qui se traduit par une explosion du nombre de radiations depuis le milieu des années 1990. Cette hausse a été continue jusqu’en 2002 puis s’est stabilisée. Les radiations sont ensuite reparties à la hausse avec la mise en place du suivi mensuel personnalisé en 2005. Ce système oblige le chômeur à se rendre à des rendez-vous de plus en plus fréquents avec son conseiller pour l'emploi. Et lorsqu'il ne peut pas s'y rendre, c'est la radiation qui lui pend au nez. Or les chômeurs sont de plus en plus nombreux à avoir un emploi, ce qui les empêche parfois d'être présents à ces entretiens.
Finalement, en augmentant la fréquence des convocations à l'ANPE, on accroît mécaniquement le volume des radiations.
Au total, le nombre des radiations a été multiplié par 7 depuis 15 ans. Et il a bondi de 20% entre 2005 et 2006. C'est considérable. L’objectif du gouvernement précédent était simple : mettre les chômeurs et les chiffres sous pression pour dégonfler les statistiques du chômage. Sur ce plan, il n’y a vraiment aucune rupture depuis l’arrivée au pouvoir de Sarkozy.
Comment définit-t-on pour l’instant l’offre d’emploi qui, si le chômeur la refuse, engendre des sanctions ?
Pierre Concialdi : Il faut tout d'abord dire et redire que jamais les chômeurs n’ont été « libres » de chômer tout en refusant les emplois qu’on leur proposerait ! La question pertinente, c’est de savoir quel emploi un chômeur peut-t-il légitimement refuser.
Avec le décret d’août 2005, deux critères principaux définissent un emploi acceptable. Tout d’abord, il faut que l’emploi soit compatible « avec la spécialité ou la formation antérieure de l’intéressé ». On ne fait pas référence à la formation initiale, ce qui n’est pas forcément une bonne chose. Les chômeurs suivent souvent des stages de perfectionnement sur un aspect de leur métier, qui peut alors être considéré comme une formation. Mais si c’est pour ensuite leur proposer un métier qui se limite à cette formation, c’est un déclassement, ou une déqualification. La référence à la notion de formation sans autre précision introduit donc du flou. Ce dernier permet de faire davantage pression sur le chômeur puisqu’on peut lui proposer une gamme d’emploi plus étendue et qui ne correspond pas spécifiquement à son niveau initial de formation.
L’autre critère est la mobilité. L’offre d’emploi doit être compatible avec les possibilités de mobilité géographique du chômeur « compte tenu de sa situation personnelle et familiale et des aides qui lui sont proposées ». Mais la mobilité, ça peut être l’ensemble de l’Union européenne, et le contenu des aides reste flou. Cela permet, ici encore, de faire davantage pression sur les chômeurs et de les sanctionner plus facilement.
On pourrait croire que ces méthodes fonctionnent : le chômage baisse?
Pierre Concialdi : Il faut voir de quelle façon il baisse depuis 2006. La définition du chômage reste très restrictive : est considérée comme chômeur une personne qui n’a pas travaillé du tout pendant la période de référence, ne serait-ce qu’une heure.
Or, avec le plan Borloo on a vu se multiplier les emplois de service à la personne. Ces derniers correspondent à moins d’un tiers temps ! Ce sont des bouts (ou des miettes) d’emploi avec des salaires tout aussi rétrécis. D’après les nouvelles statistiques trimestrielles de l’INSEE, le taux de sous-emploi a d’ailleurs atteint un sommet au 3ème trimestre 2007, avec 1,44 millions de personnes en sous-emploi contre 1,32 millions, en moyenne, au cours de l’année 2006. Le chômage baisse mais la précarité s’étend.
En globalisant, si on additionne le chômage, le sous-emploi et la précarité (ce que l’on appelle aussi parfois l’emploi inadéquat), cela représente plus de 11 millions de personnes concernées qui galèrent d’une façon ou d’une autre, dans leur emploi ou pour en trouver un.
Nicolas Sarkozy parle de 500 000 emplois disponibles. Est-ce une façon de dire aux chômeurs : "Regardez, il y a du travail"?
Pierre Concialdi : Ce chiffre ne repose sur aucune base sérieuse. Mais de toute façon, il est absurde de viser un objectif de « zéro emploi non pourvu ». Chaque année, des millions d’emplois deviennent temporairement vacants en raison du départ des salariés qui les occupent. C’est le fonctionnement normal du marché du travail. Dans certains secteurs, le taux d’emplois non pourvus est supérieur à la moyenne, car le turnover est plus fort, notamment parce que les conditions de travail sont moins attirantes. Par exemple les call centers, les hôtels cafés restaurants, le bâtiment...
C’est bien sûr très facile de pointer du doigt ces secteurs mais tous les chômeurs ne peuvent pas devenir du jour au lendemain maçons, peintres ou serveurs… D’un point de vue économique comme d’un point de vue social, il est sain qu’il existe une certaine tension sur le marché du travail. Comme le soulignait le père de la sécurité sociale britannique, lord Beveridge, ce sont les emplois qui devraient attendre (pour être occupés), pas les salariés. Car les conséquences du chômage pour le salarié sont dramatiques, tandis que des emplois non pourvus procurent tout au plus quelques inconvénients aux entrepreneurs.
Enfin, même en imaginant que ce « stock » d'emploi serait proposé aux chômeurs, cela ne résoudrait absolument pas le problème du chômage car moins de 7% des chômeurs seulement retrouveraient un emploi (rapport entre le taux de chômage et le taux d'offres non pourvues, 2000, UNEDIC).
Cette "chasse aux chômeurs" est-elle un phénomène nouveau?
Pierre Concialdi : Cette chasse est aussi vieille que le chômage. Périodiquement, la guerre au chômage se transforme en une guerre aux chômeurs. Sarkozy reprend cette antienne, les chômeurs seraient davantage responsables de leur situation qu’ils ne subiraient le chômage. Il s’agit d’un acte politique fort. Alain Juppé avait relancé en 1995 la chasse aux « tricheurs », Michel Charasse estimait à 700 000 le nombre de « faux chômeurs ».
Personne ne nie qu’il existe certaines personnes qui trichent ou qui fraudent. C’est inévitable. Mais ce n’est certainement pas cela qui explique la persistance d’un chômage de masse. De la même façon, personne ne peut nier qu’il existe des patrons voyous. Mais Nicolas Sarkozy n’en parle pas…
Recueillis par Camille Stromboni
source
La chasse au chômeur a-t-elle commencé ?
La chasse aux chômeurs n'a jamais cessé !
Voici le commentaire que j'ai posté ce matin sur le site du contre journal :
Merci, Monsieur Concialdi, de cette salutaire remise de pendules à l'heure.
Un bémol cependant : le poids des radiations est évoqué un peu succintement et... approximativement. Vous dites que le nombre de radiations a "bondi" de 20 % entre 2005 et 2006. D'après les chiffres issus directement de la marmite ANPE (source syndicale), l'augmentation est de "seulement" 10 % : 525 000 radiations administratives en 2005, 579 000 en 2006.
+ 6% entre 2006 et 2007, nous en sommes à 615 000 radiés en 2007 (données brutes, cat. 1+2+3, DOM inclus).
On s'étale beaucoup sur le sujet des refus d'emploi. Le pire n'est pas pointé : en menaçant de sanction un demandeur d'emploi qui refuse 2 emplois, on laisse entendre qu'il y a des emplois à la pelle, qu'il n'y a qu'à se baisser, feignasses de chômeurs...
Or ce n'est pas vrai. Il n'y a pas (d'offres) d'emploi pour tous. Il serait intéressant qu'ACDC obtienne des informations sur le nombre de DE ayant reçu une offre d'emploi, par rapport au nombre d'inscrits... le nombre moyen d'offres d'emploi envoyées à un demandeur d'emploi lambda...
En 2006, 2% des radiations administratives ont sanctionné un "refus d'emploi".
Plus de 9 radiations sur 10 font suite à des absences à convocation. Si l'on s'en tient à la loi, les avis de radiation doivent être envoyés en recommandé. Si l'ANPE respectait les règles (au nom desquelles elle radie à tour de bras), elle serait ruinée !!!
La majeure partie de la procédure de radiation est informatisée, donc déshumanisée.
Il y a une étrange omerta sur les conséquences dramatiques des radiations.
47 % des DE sont indemnisés par l'ASSEDIC. La radiation les prive brutalement de leur revenu. En 2007, 300 000 personnes ont perdu leur assurance chômage pour 2 mois, pour absence à convocation.
Convocations dont on sait qu'elles sont le plus souvent inutiles, contraignantes, humiliantes.
300 000 vies massacrées.
Les chiffres du chômage baissent grâce aux radiations : 615 000 radiations en 2006, et seulement 194 800 chômeurs en moins, cherchez l'erreur.
Des agents du service public de l'emploi s'insurgent contre la chasse aux étrangers (réseau REFI). Je n'ai pas connaissance d'agents qui s'insurgent contre le "traitement" des demandeurs d'emploi, pas ou peu informés de leurs droits, gérés comme des stocks (terme courant dans la prose interne ANPE), profilés et marqués comme du bétail et jeté à la poubelle au moindre prétexte.
Voici le commentaire que j'ai posté ce matin sur le site du contre journal :
Merci, Monsieur Concialdi, de cette salutaire remise de pendules à l'heure.
Un bémol cependant : le poids des radiations est évoqué un peu succintement et... approximativement. Vous dites que le nombre de radiations a "bondi" de 20 % entre 2005 et 2006. D'après les chiffres issus directement de la marmite ANPE (source syndicale), l'augmentation est de "seulement" 10 % : 525 000 radiations administratives en 2005, 579 000 en 2006.
+ 6% entre 2006 et 2007, nous en sommes à 615 000 radiés en 2007 (données brutes, cat. 1+2+3, DOM inclus).
On s'étale beaucoup sur le sujet des refus d'emploi. Le pire n'est pas pointé : en menaçant de sanction un demandeur d'emploi qui refuse 2 emplois, on laisse entendre qu'il y a des emplois à la pelle, qu'il n'y a qu'à se baisser, feignasses de chômeurs...
Or ce n'est pas vrai. Il n'y a pas (d'offres) d'emploi pour tous. Il serait intéressant qu'ACDC obtienne des informations sur le nombre de DE ayant reçu une offre d'emploi, par rapport au nombre d'inscrits... le nombre moyen d'offres d'emploi envoyées à un demandeur d'emploi lambda...
En 2006, 2% des radiations administratives ont sanctionné un "refus d'emploi".
Plus de 9 radiations sur 10 font suite à des absences à convocation. Si l'on s'en tient à la loi, les avis de radiation doivent être envoyés en recommandé. Si l'ANPE respectait les règles (au nom desquelles elle radie à tour de bras), elle serait ruinée !!!
La majeure partie de la procédure de radiation est informatisée, donc déshumanisée.
Il y a une étrange omerta sur les conséquences dramatiques des radiations.
47 % des DE sont indemnisés par l'ASSEDIC. La radiation les prive brutalement de leur revenu. En 2007, 300 000 personnes ont perdu leur assurance chômage pour 2 mois, pour absence à convocation.
Convocations dont on sait qu'elles sont le plus souvent inutiles, contraignantes, humiliantes.
300 000 vies massacrées.
Les chiffres du chômage baissent grâce aux radiations : 615 000 radiations en 2006, et seulement 194 800 chômeurs en moins, cherchez l'erreur.
Des agents du service public de l'emploi s'insurgent contre la chasse aux étrangers (réseau REFI). Je n'ai pas connaissance d'agents qui s'insurgent contre le "traitement" des demandeurs d'emploi, pas ou peu informés de leurs droits, gérés comme des stocks (terme courant dans la prose interne ANPE), profilés et marqués comme du bétail et jeté à la poubelle au moindre prétexte.
La chasse aux défenseurs des précaires ?
Depuis, les RG ont poursuivi leur effort d'adaptation à l'évolution des menaces qui pèsent sur la démocratie. Le développement du terrorisme, d'inspiration extrémiste et indépendantiste aussi bien que religieuse, a conduit la direction à renforcer sensiblement ses moyens de recherche opérationnelle. Dans les années 1990, les policiers des RG ont joué leur rôle d'alerte en se penchant sur les phénomènes de violences et d'incivilités urbaines, les dérives sectaires, le hooliganisme ou les nouvelles formes de contestation sociétale (altermondialisme, défense des « précaires », notamment). A contrario, il a été décidé en 1995 d'abandonner le suivi de la vie interne des partis politiques.
Source: Ministère de l'Intérieur - Historique des Renseignements Généraux
(Publié le : 16/01/2006)
L'affaire du "Radiateur" commence le vendredi 27/01/2006.
J'ai toujours pensé que défendre les précaires signifie aussi défendre la démocratie. Qu'étais-je bête ! En fait ça la menace. J'apprend toujours...
(J'adore le "notemment" et les guillements sur "précaires". Le sac dans lequel est mise la défense des précaires n'est pas mal non plus.)
Source: Ministère de l'Intérieur - Historique des Renseignements Généraux
(Publié le : 16/01/2006)
L'affaire du "Radiateur" commence le vendredi 27/01/2006.
J'ai toujours pensé que défendre les précaires signifie aussi défendre la démocratie. Qu'étais-je bête ! En fait ça la menace. J'apprend toujours...
(J'adore le "notemment" et les guillements sur "précaires". Le sac dans lequel est mise la défense des précaires n'est pas mal non plus.)