Bonjour madame Que penser de la "camisole chimique" ? A-t-elle son efficacité ou est-ce le reflet de l´hypocrisie et de l´aveuglement de la société vis à vis de ses détenus ? Merci de votre réponse et bonne continuation
Réponse : Sur les 188 prisons françaises, seules 26 (et encore) disposent d´équipes psychiatriques à plein temps. Les autres se débrouillent, face à une population très malade du point de vue psychiatrique et psychique, avec les moyens du bord. Des prestations ponctuelles de psy ; ou les prescriptions des médecins généralistes présents ; ou pas grand chose... La situation est catastrophique, la souffrance terrifiante, et dans ces conditions, il est vrai, les médicaments sont souvent la seule réponse possible. C´est l´une des raisons qui expliquent que la prison ne peut être considérée comme un lieu de soins. Ce n´est évidemment pas la seule.
Bonjour Catherine Comment arrive-t-on à s´intéresser aux prisons, à y passer du temps ? Est-ce une démarche morale, ou militante ? Merci
Réponse : C´est une démarche de citoyenne, convaincue qu´on juge de l´état d´une société à la façon dont elle traite ses marges - notamment ses pauvres et ses fous. J´ai voulu témoigner de la façon dont notre société traite ses marges et, partant, de son état. Le constat est malheureusement terrible.
Y a-t-il une différence de fond entre l´asile et la prison ?
Réponse : La prison d´aujourd´hui, telle que je la dépeins dans livre, ressemble davantage à l´hôpital général du 17e siècle qu´à l´asile. A l´hôpital général, on enfermait sur lettres de cachet, les pauvres, les mendiants, les vagabonds, les "insensés", les opposants... L´un des personnages du livre, un surveillant gradé, parle d´ailleurs de la prison comme de la "poubelle de la société", là où elle rejette ceux dont elle ne veut plus - dont les fous.
La criminalisation sarkozyenne à tout-va est inquiétante car elle ne distingue plus les responsabilités et la "perte de facultés" de certains criminels et délinquants Comment l´équipe de Fresnes et vous mêmes jugez vous cette évolution ?
Réponse : Le mouvement qui consiste à pénaliser la maladie mentale n´a pas, hélas, démarré avec Sarkozy et je l´explique dans le livre. Mais il est évident que le tout sécuritaire, renforcé par les politiques en cours, et qui entend même criminaliser les enfants, est une évolution extrêmement inquiétante. D´où, entre autres, ce travail, qui se veut un cri d´alarme pour réveiller nos consciences. Je dis bien "nos", et pas seulement celles des hommes politiques.
Est-ce que cela vous a été difficile d´obtenir les autorisations pour faire votre enquête? Pour avoir un peu travaillé en prison, je sais à quel point on est contrôlé, à chaque changement ce couloir, avant chaque rencontre, etc Avez vous eu toute liberté? Vous a-t-on parfois interdit l´accès à certaines choses?
Réponse : L´administration pénitentiaire m´a accordé l´autorisation d´enquêter pendant quatre mois à Fresnes. Et je dois dire que j´ai été assez libre de mes mouvements à l´intérieur de la prison, que je n´ai pas été contrôlée, à quelques exceptions près, dans mes déplacements. Il faut comprendre que la pénitentiaire affronte une situation catastrophique : sa mission est l´application de la peine et, en principe, en principe seulement, la réinsertion. Or elle fait face à un afflux massif de malades mentaux, de grands délirants, qui échappent à son champ de compétences. Les surveillants sont désarmés face aux malades mentaux qui représentent, à des degrés divers, un tiers des détenus ; ils ne sont pas formés, ils ne connaissent pas les pathologies, ils ne savent pas comment y répondre.
Qui est responsable du placement en prison de malades mentaux? Comment se passe l´orientation? Pourquoi les experts psychiatriques ne préconisent-ils pas plus souvent le placement en hôpital?
Réponse : Votre question est fondamentale. A la fin de mon livre, construit comme un récit aux multiples personnages et qui donne à voir et à entendre, concrètement, ce que ça signifie d´être fou en prison, je donne des pistes d´explications.
C´est la première fois, depuis l´Antiquité, qu´on pénalise des malades mentaux. Les psychiatres, notamment les experts, ont leur part de responsabilité dans ce fait. Mais ils ne sont pas les seuls. Quand le lien social se construit sur la peur, la peur de l´Autre, c´est toute la société qui se trouve mise en cause. Les psy, les juges, les politiques, "l´opinion publique" - notion hautement imaginaire -, le poids des victimes... et, bien sûr, l´appauvrissement terrible des structures psychiatriques.
Le désengagement par l´Etat des questions sanitaires et sociales qui répond à un libéralisme sauvage conduit à expulser les plus vulnérables de la société. Les fous en font partie. Les pauvres aussi. En prison, ce sont souvent les mêmes.
Bonjour, A partir de quand, un trouble mental devient-il incompatible avec une détention? Qui prend la décision?
Réponse : Il y a un article du code de procédure pénal qui permet d´hospitaliser d´office les détenus dont l´état mental n´est plus compatible avec la détention. Ce sont les médecins qui le demandent, et les préfets qui agréent au non à la demande. Au début des années 90, on comptait une centaine d´hospitalisations d´office de détenus par an. En 2005, environ 1800... Mais je raconte dans le livre comment ces détenus hospitalisés sont souvent renvoyés en prison au bout de quelques jours parce que les hôpitaux psychiatriques sont si carencés qu´ils n´ont plus les moyens de les accueillir...
…
Les prisonniers ont-ils accès à tous les médicaments dont ils ont besoin?
Réponse : Je ne peux répondre que de ce que j´ai vu à Fresnes où l´accès aux médicaments n´est pas un problème. C´est le reste, tout le reste, qui pose problème...
En prison, les grands malades arrêtent souvent leur traitement en cellule et sont harcelés par des voix, des bêtes, des choses, des esprits, le diable... et ont si peur qu´il leur arrive de se terrer, de ne plus parler, de ne plus sortir en promenade, de ne plus manger...
Quels sont les psychiatres intervenant en prison? Quel est leur statut? Sont-ils là par choix, par conviction?
Réponse : Pendant ces quatre mois passés en prison aux côtés de l´équipe psychiatrique, j´ai eu le sentiment d´un voyage en enfer et je le raconte. Je suppose que pour y rester il faut avoir de solides convictions !
La situation à Fresne est-elle particulièrement dégradée? Quelle est la situation dans les autres prisons?
Réponse : A Fresnes, il y a un service psychiatrique à part entière. Comme dans 25 autres maisons d´arrêt - quoique 5 ne fonctionnent plus ou presque. La situation est donc plutôt "meilleure" à Fresnes. C´est tout dire...
quelles solutions sont envisageables pour les prisonniers atteints de troubles mentaux?
Réponse :
Personnellement, et heureusement je ne suis pas la seule..., je reste convaincue que les personnes atteintes de troubles mentaux n´ont pas leur place en prison, mais dans un lieu de soins. Sauf à admettre qu´on puisse criminaliser la maladie mentale, ce qui est d´ailleurs en cours. Depuis l´Antiquité, il faut le dire et le redire, le principe était resté inaliénable : les fous ne sont pas punissables. Notre société rompt avec un principe antique.
Tout le monde semble être d´accord pour dire que nos prisons sont une honte pour notre République, même notre ministre de la Justice (tout du moins, c´est ce qu´il affirme). Alors pourquoi aucun des gouvernements successifs n´a réussi à améliorer la situation, ni même à ralentir sa dégradation? Qu´est-ce qui fait que la politique pénitentiaire est si dure à réformer malgré l´unanimité du constat?
Réponse : Question fondamentale ! Il faut interpeller les politiques là-dessus. Mais aussi l´ensemble de la société. Si l´on considère que l´autre est définitivement autre, qu´il n´est définitivement plus mon semblable, alors il devient possible de tout lui faire subir. On l´a vu dans l´histoire, il n´y a pas si longtemps encore...
J´aimerais revenir à ma question sur Pierre Bodein. Non pas que je pense que ce fait-divers soit représentatif, mais c´est typiquement le type d´affaire qui, par son horreur, touche à juste titre l´opinion publique et donc influe sur les décision politique. Quelque soit le travail d´information des associations, tant qu´il y aura des fait-divers tels que celui-ci, l´opinion publique ne sera pas prête à soutenir un réforme plus "humaine". Concrètement, pensez vous donc qu´il aurait été possible d´empêcher Pierre Bodein de récidiver? Si oui comment et quelles erreurs ont été comises?
Réponse : Je ne peux répondre sur un dossier que je n´ai pas étudié dans le détail. Je témoigne de ce que je connais, la vie terrifiante des fous en prison.
Cependant, je vous répondrai que lorsque les lois d´une société, les actions politiques, se calquent sur une "opinion publique" dont on ne sait au juste ce qu´elle représente, alors on quitte la sphère de la loi et de la politique pour entrer dans le sphère du populisme. Denis Salas, magistrat et théoricien du droit, dit fort justement ceci : que la victime réclame vengeance est normal, c´est ce qui lui permet de tenir debout. Mais la loi est obligée de la contredire, la loi est là pour stopper la vendetta... Sinon, tout est possible, et surtout le pire.
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