Convocation des chômeurs au forum emploi d’Albi : la véritable histoire
Le 8ème «Forum pour l’emploi et la formation d’Albi» était programmé pour le mercredi 11 mai. Ce devait être un de ces traditionnels rendez-vous pour l’emploi, comme il s’en organise un peu partout depuis que crise égale chômage massif permanent. Un moment de rencontre pour trouver du travail, à saisir par les demandeurs d’emploi comme un «on ne sait jamais», occasion de rencontrer l’un ou l’autre employeur, d’avoir un échange direct, de laisser son CV. Dispositif habituel : espace information et orientation, atelier rédaction de CV ou de lettre de motivation, stands d’entreprises, des organismes de formation, de l’armée, des associations locales d’insertion, des agences d’intérim. Des tables rondes aussi : «Apprentissage, pourquoi pas ?», «S’imaginer créateur d’entreprise ?», «Accéder à la formation professionnelle». Crise dure qui dure oblige, cette année, la Mairie d’Albi (son service insertion des jeunes du Centre communal d’action sociale) et Pôle emploi ont fait les choses en plus grand que les années précédentes : le forum aura lieu au Parc des Expositions pour la première fois, la présence d’une centaine d’employeurs est annoncée avec à la clé un grand nombre d’offres d’emploi, bref le forum habituellement plutôt axé «Jobs de l’été» est cette année devenu «Les portes de l’emploi».
Et puis, patrata. Et si ce forum était moins les «Portes de l’emploi» que la promesse «des oubliettes de la radiation» ? Vendredi 6 mai, en effet, deux médias de la presse traditionnelle ont «sorti l’information». Sous la plume de François Astorg,
Le Tarn Libre fait état d’un communiqué de l’intersyndicale de Pôle emploi (SUD, SNU, CGT, CFTC, FO) co-signé également par la CGT-Chômeurs qui «s’étonne de la convocation et non de l’invitation de 1.700 demandeurs d’emploi à assister au forum sous peine de risque de radiation en cas d’absence».
La Dépêche du Midi titre sur «Un forum pour l’emploi sous l’ombre des radiations» et sa journaliste Martine Lecodet, faisant état elle aussi de la prise de position syndicale, livre le témoignage d’une demandeuse d’emploi destinataire du courrier de convocation et rend compte des explications du Directeur de Pôle Emploi à Albi, François Rogister. Celui ci parle d’une convocation qui correspond à «des courriers nationaux sur lesquels nous n’avons pas la main» et assure que «dès le lancement de l’opération, on a pris la décision de ne pas sanctionner».
La Dépêche évoque aussi le contexte orageux dans lequel elle a dû traiter l’information : elle relate un échange téléphonique musclé avec la direction Tarn-Aveyron de Pôle emploi qui accuse le journal de vouloir «inventer une polémique pour cracher sur Pôle Emploi et prêter le flanc sans discernement à des manipulations syndicales». C’est finalement la Direction régionale de Pôle emploi qui tente d’éteindre le feu en livrant une version officielle sous la forme d’un «pardon, excusez nous, on s’est trompé de formulaire» : «Suite à une erreur technique de la part de Pôle emploi, les demandeurs d’emploi ont reçu à la place de ce qui devait être un simple invitation, une convocation. Pôle emploi tient à préciser qu’il s’agit bien d’une invitation à un forum et non une convocation. Aucune radiation ne sera prononcée pour les demandeurs destinataires de cette convocation qui ne se rendraient pas au forum».
Cette version officielle destinée à clore la polémique est pourtant plutôt éloignée de la réalité des faits. Afin d’éclairer complètement nos lecteurs, non seulement nous sommes en mesure de publier un spécimen daté du 12 avril (il y a un mois) de la convocation reçue par les demandeurs d’emploi mais aussi de relater, à partir de plusieurs sources (recoupées) proches de Pôle emploi dont nous préservons l’anonymat, la véritable histoire, depuis un mois, de cette convocation au sein du dit Pôle emploi Albi. Récit.
Tout d’abord, il est nécessaire de revenir sur ce qui est un des nœuds du problème posé dans cette polémique à propos du dispositif mis en place par le Pôle emploi Albi à l’occasion de ces «Portes de l’emploi» du 11 mai : le suivi mensuel personnalisé (en langage Pôle emploi : le SMP) de la majorité des demandeurs d’emploi. Ce suivi fait obligation au demandeur d’emploi de se rendre à un rendez vous individuel mensuel avec son conseiller emploi, sous peine de radiation. Cependant, pour les agents de Pôle emploi, tenir le rythme de ces rendez vous mensuels est une tâche intenable : comme le souligne l’intersyndicale dans le communiqué qu’elle a publié pour pointer les conditions d’organisation des «Portes de l’emploi» déjà évoquées, «le nombre de personnes en suivi par chaque conseiller explose pour atteindre parfois jusqu’à 5 fois les 60 personnes préconisées, rendant impossible un service à la fois humain, efficace et conforme aux engagements de Pôle emploi». Osons une hypothèse : imaginative, c’est sans doute pour contourner en mai ses difficultés à remplir cette mission de SMP que la direction de Pôle Emploi a «inventé» en quelque sorte le «suivi mensuel personnalisé de masse» et de le mettre en œuvre à l’occasion des «Portes de l’emploi». Ce faisant, la Direction pouvait réussir à «tenir» en mai un chiffre impressionnant de 1.400 suivis individualisés le même jour. Chapeau bas.
Un dispositif mis au point depuis fin mars
La direction albigeoise avait-elle l’espoir d’être bien vue par sa direction régionale (voire nationale) pour son efficacité statistique ? Elle a en tout cas posé les premiers jalons pour la mise en œuvre de son idée dès la fin mars. Dans les réunions de briefing des conseillers emploi, les Responsables d’équipe informent à ce moment là les conseillers qu’ils auront en mai obligation de convoquer les demandeurs d’emploi pour leur rendez vous SMP de mai… au forum emploi du 11 mai. La demande est orale – aucun compte rendu écrit de ces réunions n’existe – mais fermement confirmée aux quelques conseillers qui l’estiment inacceptable et le disent dans les jours suivants. La plupart des conseillers n’expriment cependant pas ouvertement leurs réticences : ils sont abasourdis, évidemment, mais se réfugient dans un système de défense du type «laissons la direction pousser le système jusqu’à l’absurde» qu’ils considèrent comme plus protecteur pour eux, individuellement. Ceux qui expriment ouvertement leur désaccord se comptent sur quelques doigts d’une main, mais ils demandent une confirmation écrite. La seule qu’ils recevront consiste en un mail d’une ligne non signé qui leur est envoyé peu après la réunion de briefing évoquée, en accompagnement du modèle de lettre de convocation des demandeurs d’emploi (notre lettre spécimen).
Entre début avril et mi-avril, de nouvelles réunions ont lieu entre les conseillers emplois et leur responsable d’équipe au cours desquelles l’organisation du forum emploi du 11 mai est évoquée de nouveau (réunions dont il n’existe pas non plus de compte rendus écrits). A leur issue, le dispositif prévu par la direction de Pôle Emploi s’affine. Les conseillers de service le 11 mai doivent tous être présents au moins une demi-journée au Forum emploi… Mais ce jour là, beaucoup sont traditionnellement absents pour cause de jour de congés (le 11 mai est un mercredi, jour de repos de beaucoup de conseiller-e-s). Finalement… trois conseillers sont prévus à l’accueil pour contrôler les convocations des demandeurs d’emploi qui se présentent au Forum et cocher leur nom sur la liste de référence (afin de permettre la radiation de ceux qui ne se seraient pas présentés). Une poignée d’autres conseillers sont prévus au stand de Pôle emploi pour recevoir les demandeurs d’emploi et, faute de pouvoir matériellement mener des entretiens… prendre des rendez-vous pour les entretiens de SMP ! De façon concomitante, la Direction se rend compte qu’à l’accueil, ses agents risquent d’être rapidement débordés et ne pourront pas «contrôler» effectivement la présence où non des demandeurs d’emploi au Forum. C’est le traditionnel écart entre travail prescrit et travail réel. Loin de se rendre compte de l’absurdité du dispositif qu’elle a imaginé, la direction persiste : des élèves de 1ère année de BTS d’un établissement privé participant dans le cadre d’un projet pédagogique au forum, seront chargés de l’accueil et du «pointage» des demandeurs d’emploi. Cette initiative jugée surement trop polémique, la direction évolue vers l’accueil-réception des courriers de convocation (exemplaire ci-joint) avec des conseillers de Pôle emploi. Il faut bien que chaque conseiller, prévu sur le Planning en saisie d’entretien le lendemain, puisse valider la présence des personnes, sinon la lettre de menace de radiation (dite GL2) part automatiquement dans les jours qui suivent.
Une direction soucieuse d’être «efficace», des syndicats inquiets
La Direction peut être fière de son savoir faire : malgré les difficultés de mise en œuvre rencontrées, elle a mis en place en peu de semaines une mécanique bien huilée. A aucun moment dans cette préparation il n’a été question «d’erreur de formulaire». Dans la deuxième quinzaine d’avril, ce dispositif de «SMP de masse» avec procédures de radiation «expéditive» à la clé, vient en débat dans les réunions de l’intersyndicale de Pôle Emploi. Aux alentours du 1er mai, la Direction commence à prendre conscience que son «idée géniale» risque de faire des vagues si elle est connue publiquement. Dès lors, des cadres intermédiaires font courir le bruit que «tout ça, c’est juste pour faire venir les chômeurs à ce forum qui est quand même pour eux, mais il n’y aura pas de radiation des absents». Bien sûr, à nouveau aucune trace écrite de ce «bruit qui court» début mai en interne à Pôle emploi.
Début mai, élus albigeois et Direction de Pôle emploi présentent à la Presse locale les «Portes de l’emploi» du 11 mai. Comme si de rien n’était.
Le 4 mai, l’intersyndicale adresse à la presse le communiqué qu’elle a finalement mis au point : «1.400 demandeurs d’emploi ont été convoqués pour assister à ce forum avec menaces de radiation en cas d’absence. L’ampleur de ce forum et le nombre d’offres d’emploi qui seront proposées (à ce jour 14 !!) justifient-ils cette avalanche de convocations ou s’agit-il d’une opération de radiation massive déguisée ? (…) Quel est le sens de ce service ? Permettre aux personnes d’accéder à un emploi ou une formation ou bien les sortir des chiffres du chômage coûte que coûte ? (…) Alors que ces 1.400 personnes auraient du être reçues en entretien individuel, la direction de Pôle emploi consciente, de l’impossibilité de le réaliser (hausse du chômage et baisse des effectifs), met en place cette mascarade. La présence à ce forum tiendra lieu de Suivi Mensuel Personnalisé pour chaque demandeur d’emploi. Cela met en évidence l’incapacité de Pôle emploi à assurer le SMP en s’éloignant de plus en plus de nos usagers. (…) Qui dit convocation, dit présence obligatoire et saisie systématique d’un entretien sur le dossier du demandeur, faute de quoi la procédure de radiation s’enclenche. Il sera donc indispensable, ce 11 mai, de contrôler la présence ou non des convoqués. Pour cela, Pôle emploi fait appel à des élèves de BTS, sans doute dans le cadre d’un projet pédagogique, pour collaborer à l’accueil, l’orientation, le contrôle du public. Quelle légalité, quelle légitimité, que de demander à des étudiants de jouer le rôle de contrôleur pour Pôle emploi. Et quel manque de décence !… »
Deux jours après, le 6 mai, la presse locale fait simplement son travail : elle relaie la parole syndicale. Et commence à enquêter. C’est insupportable aux yeux de Pôle Emploi Albi. Et il faut que la direction régionale invente l’explication de «l’erreur de formulaire» pour tenter de calmer la polémique.
Pôle Emploi Albi : un univers de souffrance et de déni
Au terme de ce décryptage de ce qui est bien plus qu’une «grosse boulette de Pôle Emploi Albi», la réalité de ce que devient peu à peu ce «Service unifié», créé il y a trois ans pour être plus efficace (que les anciennes ANPE et Assédic) dans l’indemnisation et l’accompagnement des demandeurs d’emploi en vue de leur retour vers le travail, est mise en évidence : c’est un univers de souffrance et de déni.
La souffrance est d’abord celle des usagers qui sont plongés dans un milieu où la dimension humaine est de plus en plus ténue. Lors de la présentation de son rapport d’activité 2010 dans le Tarn, le Médiateur de la République a récemment remarqué que les litiges qu’il a à régler sont de plus en plus sociaux, et une des ses déléguées citait l’exemple de Pôle Emploi Albi comme symbolique d’une déshumanisation qui se généralise : un demandeur d’emploi ne comprenait pas les changements du montant du versement mensuel qu’il percevait et «quand il téléphonait c’était le dédale des tapez 1 puis 5» sans jamais pouvoir parler à un être humain, et quand l’information lui parvenait par mail dans un langage codé très peu compréhensible par le commun des mortels. Je ne comprenais pas moi même», dit la déléguée qui a interpellé directement les services qualité Pôle Emploi… obtenant du coup pour le demandeur d’emploi un rendez vous personnalisé presque immédiat. Et la déléguée de conclure : «La dimension humaine est primordiale. Quand quelqu’un est en difficulté sociale et qu’il a l’impression d’être devant un mur, il peut très vite perdre pied» (
Le Tarn Libre, 6 mai 2011). Nous avons recueilli le témoignages de demandeurs d’emploi qui ressentent comme une blessure de recevoir du Directeur de Pôle emploi d’Albi des lettres qui sont pour le coup des formulaires automatiques impersonnels que le Directeur n’a pas signé de sa main.
Cette disparition du "B-A BA" des relations humaines est aussi vécue dans la souffrance par les conseillers de Pôle emploi eux mêmes. Chaque salarié de Pôle emploi prend conscience qu’il est devenu un des rouages de cette déshumanisation, qu’il ne peut plus donner du sens à son travail, mais il vit aussi dans la solitude, la peur (de perdre lui-même son travail, beaucoup de salariés de Pôle emploi sont sous contrat précaire) et la désolation de ne «rien pouvoir faire» face à la mécanique dans laquelle il est pris. Il est alors tenté, pour moins souffrir, de s’en tenir à la position de l’agent discret de la banalisation de l’injustice sociale qu’on lui demande d’être alors qu’il est censé avoir officiellement comme mission de contribuer à réparer cette injustice. Devant ces réalités de souffrance, la direction est dans le déni : elle banalise et minimise le mal. Courroucée de voir Pôle Emploi, qui est le BIEN, être mis en cause dans sa façon de mettre en place le forum du 11 mai à Albi, elle répond «manipulation syndicale» et «erreur de formulaire».
Décidément, cette affaire de la «convocation pour SMP de masse» des demandeurs d’emploi de l’Albigeois à l’occasion des «Portes de l’emploi» du 11 mai est tout sauf anecdotique.
http://www.danstontarn.fr/2011/05/10/co ... -histoire/
Post-scriptum : la conseillère Pôle Emploi qui m'a adressé ce lien nous signale qu'au départ, la CGT-Chômeurs était co-signataire du tract, mais que lorsque le syndicat FO s'y est associé, il s'est catégoriquement opposé à ce que les chômeurs signent !!! Et l'intersyndicale s'est inclinée... Le tract est paru dans la presse sans mentionner la CGT-Chômeurs. Du coup, cette conseillère a rendu sa carte de syndiquée.