Alors que le gouvernement s'enlise sur la question du pouvoir d'achat, une étude universitaire fait le point sur 30 ans d'évolution des salaires. Pour 90% des salariés, la progression du pouvoir d'achat est à peine visible, quand le haut du panier s'est accordé de royales augmentations. Résultat : une hausse des inégalités, le rapport entre les salaires moyens de ces deux populations étant passé de 1 à 23 en 1980 à 1 à 81 en 2007.
(...) Une récente étude réalisée par Olivier Godechot, chercheur à l’EHESS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris, confirme cette atonie de la feuille de salaire des salariés du privé. Certes, cela ne date pas d’hier. La dynamique inégalitaire qui a vu les 0,01% plus riches capter l’essentiel des augmentations de salaires, à l’œuvre depuis près de 30 ans, s’est cependant amplifiée.
Quand, en 1980, ce gros millier de super salariés gagnaient 23 fois ce que 90% des salariés touchaient (413 035 euros de 2007 par an contre 17 716 euros). 27 ans plus tard, en 2007, ce ratio est multiplié par presque 4 : il monte à 81. En réalité, cette explosion des inégalités résulte d’une course entre les lièvres du top management, sphère où se côtoient les stars du sport, des PDG, mais surtout les beaux gosses du monde de la finance et les cohortes de tortues où se mêlent ouvriers, employés et cadres.
Entre 1980 et 2007, le salaire moyen de l’immense majorité des salariés (les 90% les moins bien payés) progresse de 0,82% par an net de l’inflation. Résultat, sur la période, le travail n’a rapporté que 26% de pouvoir d’achat supplémentaire. 40% pour les cadres sup’ qui, avec 65 000 euros annuels bruts, occupent la place entre les 1% très riches et le gros de la troupe. Tout en haut, le salaire moyen des 0,01% les mieux rémunérés est multiplié par 3,4, soit une progression annuelle de 5,7%. En 2007, ces 1.692 bienheureux carburaient chacun à 1,8 millions d’euros en moyenne.
Les travaux d’économistes comme Thomas Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez avaient déjà donné à voir une telle évolution. Leurs études tirées des déclarations fiscales permettaient de mesurer l’évolution des revenus pris dans leur totalité, y compris les revenus du capital, et ceux pour l’ensemble des salariés. En se focalisant sur les seuls revenus du travail des salariés du privé, Olivier Godechot dresse un tableau encore plus noir de l’évolution de la politique de rémunération au sein des entreprises.
Evidemment, on ne distribue que ce que l’on peut produire, ou que l’on prévoit de produire. Sur la période 1980-2007, la valeur ajoutée créée en France a progressé de 72%, soit 794 milliards d’euros en plus. Les salariés du privé eux n’auront reçu que 280 milliards d’euros en plus. Compte tenu de la progression du nombre de travailleurs, presque 6 millions, ce n’est pas 280 milliards d’euros qu’il convient de retenir comme supplément de salaire individuel mais un peu moins de la moitié, soit 134 milliards d’euros.
Aussi, la vitesse entre les lièvres et les tortues se révèle-t-elle violemment quand on compare comment, à l’arrivée, se sont partagés ces 134 milliards d’euros de pouvoir d’achat supplémentaire du travail.
Selon les travaux d’Olivier Godechot, les 0,01% ont plus que triplé leur part du gâteau. En 27 ans, celle-ci est passée de 0,19% à 0,65%. Ensemble avec leurs suivants immédiats, ces 0,1% les plus riches - 16.922 personnes - ont presque doublé la leur, passant de 1,08% à 2,01%. Traduction : un gain de 4,5 milliards d’euros.
Voilà donc comment, en moins de 30 ans, au sein du monde du travail, cette poignée de salariés (0,1% du total) a détourné à son profit une part importante des hausses de salaires consentie par les entreprises. Autrement dit, pour chaque euro d’augmentation consenti à un salarié lambda, un de ces seigneurs en recevait, lui, 35.
Derrière cette déformation du partage des revenus entre salariés apparaît également l’évolution de la société vers un capitalisme financiarisé. Il n’est pas anodin, et c’est là l’objet du travail du chercheur, que l’essentiel (57%) de la progression des très hauts salaires est le fait des
traders. En France, en 2007, on en comptait 626 parmi les 1.692 bienheureux très riches du haut du panier. Ensemble, cette petite poignée de salariés de luxe s’est accaparée 0,25% du total des salaires versés dans le privé en 2007, soit 1,2 milliards d’euros. La crème de la crème, les 100 salariés de la finance les mieux payés gagnaient en moyenne 4,65 millions d’euros chacun… 10 fois plus qu’en 1997. En une année, de tels
traders gagnaient donc 284 années de Smic, presque 7 vies de Smicard, à raison de 42 années de travail.
Merci pour eux.
http://www.marianne2.fr/Pouvoir-d-achat ... 05259.html