Le monde amer de Starbucks

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Modérateurs : superuser, Yves

conundrum

Le monde amer de Starbucks

Message par conundrum »

Etre salarié chez le cafetier, c'est être un «partenaire», mais surtout être sous pression de la direction.

Franchir la porte de la boutique. Se faire intercepter du regard par un vendeur moins de dix secondes après. Choisir un café sur une carte longue comme celle d'un restaurant. Le payer cher. Finir par le boire affalé dans un fauteuil confortable. Bienvenue chez Starbucks Coffee, la chaîne commerciale qui a réussi le tour de force de transformer le petit café au zinc en or noir.

J'avais toujours regardé cette marque d'un œil neutre, pas malheureux de poser mes fesses dans les fameux fauteuils pour squatter le wifi gratos. Puis l'année dernière, j'ai lu un recueil d'articles de Gunther Wallraff –journaliste allemand spécialiste de l'infiltration– au titre sans équivoque Parmi les perdants du meilleur des mondes. Au milieu de plusieurs papiers décrivant comment il s'était successivement fait passer pour un SDF, un noir ou un travailleur dans une boulangerie industrielle, se nichait une petite perle d'une vingtaine de pages intitulé «Un monde beau et sain, le monde du café. Les Starbucks sans filtre».

Violemment à charge, le texte dépeint une réalité désastreuse et des employés traités comme des esclaves à la merci de leurs manageurs. Discours «corporate» oppressant, paupérisation des travailleurs et course à la productivité, Wallraff dresse un portrait sans pitié d’une chaîne américaine pas loin d'être aujourd'hui aussi symbolique que McDonald ou Coca-Cola. L'Allemagne étant après tout notre voisin, je me suis demandé si les conditions décrites par le journaliste avaient cours en France.

«On est les meilleurs. On fait du bon café»

Mon enquête a débuté dans un café parisien. Pas un de la firme au logo vert, juste un de ces lieux exempts de toute identité du côté de la rue de Rivoli. Charlotte, 25 ans, vient de rendre son tablier après environ huit mois à concocter des hectolitres pour des clients pressés, des étudiants flâneurs ou des touristes à la recherche d'un repère mondialisé du côté d'Odéon.

Comme des centaines de jeunes employés de chez Starbucks, c'est la recherche d'un petit boulot d’étudiant qui l’avait incitée à postuler. Charlotte sera rapidement engagée comme barista –le soldat de base de l'armada Starbucks– comme 80% des 170.000 employés dans le monde.

Comme tous les nouveaux employés chez Starbucks, elle hérite d'un CDI. Les deux premiers jours, elle les passe au siège de la boîte à siroter du café et intégrer le discours maison et lyrique sur «l'art du café» et les bienfaits prétendus de Starbucks pour la société et les petits producteurs du monde entier:

«Ils t'embobinent avec leurs phrases à deux balles. A ce stade, on te sort un discours qu'on pourrait résumer de la sorte: "On est les meilleurs. On fait du bon café. On aide la planète entière avec ce café. On achète des vaches aux paysans." En gros, ils te montent vraiment la tête pour te montrer qu'ils sont les meilleurs.»

Après deux jours à écouter une rhétorique pleine de bons sentiments, les baristas sont affectés à une boutique particulière qu'ils ne quitteront plus.

L'approche managériale est assez logique. L'idée consiste à renforcer les liens entre les travailleurs d'une boutique. Chez Starbucks, les employés ne sont pas de simples collègues mais des «partenaires», une terminologie propre à toutes les boutiques du monde, inventée par Howard Schultz, l'un des fondateurs de la marque.

Le barista de chez Starbucks est presque à chaque fois un ex-client de la maison, venu travailler précisément pour cette image du café coolos à l’américaine que la série Friends et son Central Perk a durablement gravé dans nos rétines. Passé le stade de l’émerveillement, c'est souvent un goût de café trop bouilli qui leur reste en bouche. Floriane, une jeune fille qui a travaillé de septembre 2008 à mai 2009 dans la première boutique de province ouverte à Lyon, en a fait l'amère expérience:

«J'ai fait plein de jobs étudiants. Physiquement, ce n'était pas le plus dur, mais psychologiquement c'est l'expérience de taf la plus terrible de ma vie. J'ai bossé à la chaîne, dans des boucheries industrielles, donc des trucs pas franchement glamour. A côté, Starbucks ne pouvait que paraître plus agréable. Et c'est là où tu te rends compte que dans un travail, ce n'est pas l'effort physique qui compte. J'avais beau dormir, je n'étais pas reposée. J'étais très en colère parce que c'est un job étudiant qui n'était pas censé m'accaparer à ce point. Vu comment on était traité, quand je les entendais parler des producteurs de café en Colombie dans leurs séminaires, je peux te dire que j'avais peur pour eux. Nous encore, on est un peu protégé par le code du travail français.»

Mais chez Starbucks, pas de collègues ou de superviseurs: «On est des partenaires. Ils te le répètent à longueur de journée.» Si cette notion part d'un bon sentiment, elle a une dimension retorse. Comme me l'a expliqué Floriane, elle crée un flou dans le rapport au collègue et au superviseur direct, celui que la firme appelle le «shift superviseur»:

«Le premier mois, j'étais à fond. Quand ils sont dans leurs bonnes journées, les manageurs ont tendance à te dire: "On est un équipe de travail. On est des partenaires! Le café c'est génial!" Mais quand on te hurle dessus parce qu'il n'y a plus de sucre dans le distributeur, que ta salle est bondée et que tu n'as pas le temps d'en remettre... Tu vois les choses différemment. Il m'est arrivé de pleurer en cuisine après m'être fait hurler dessus. Et là tu ne te sens pas partenaire et tu ne comprends pas l'art du café.»

Le petit monde des partenaires met une pression permanente sur les baristas. Les services – comme changer un tour de travail – ne sont jamais demandés de barista à manager, mais d'ami à ami, jouant sur un ressort psychologique confus. Tomber malade revient à abandonner l'équipe et vaut souvent à l'intéressé quelques textos ou coups de fil bien sentis, à base de «Tu nous fous dans la merde, merci».
Suite : http://www.slate.fr/story/33915/starbucks
bebert

Re: Le monde amer de Starbucks

Message par bebert »

Je ne connaissais même pas l'existence de cette chaîne... Je ne bois que du thé, chez moi, c'est moins cher ! Mais je pense que l'ambiance ne doit pas être bien différente de celle des fast-food ou de bien des caféterias... Voire de certains restaurants. Le milieu de la restauration est très dur, peu de gens vieillissent dans ce monde, entre la pression, le travail le Dimanche et les jours fériés, les horaires plutôt difficiles à supporter. Je suppose que ces chaînes sont en recrutement permanent, avec un turn-over de ouf...
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