Une petite interview-vérité imaginaire...
Dugenou, journaleux indépendant, a réussi à poser une question au PDG de France Pognon, filiale de USD Bizz.
Par chance, il sortait d'un dîner assez arrosé pour dire la vérité...
Question :
Monsieur Grippeminaud, vous dirigez une société filiale d'une transnationale. Comment considérez-vous la question du chômage en France?
Réponse:
Qui peut encore croire aujourd’hui que le chômage soit un problème dans un monde libéral ?
Le chômage de grande envergure engendre une pauvreté grandissante fort utile.
Comment voulez-vous baisser les salaires, précariser à tour de bras et augmenter les profits sans disposer d’une main d’œuvre réduite à mendier le peu de travail qui reste ?
L’élargissement de l’Europe avance bien et les premiers effets de la libre circulation des travailleurs des anciens pays de l’Est sont positifs.
Ces gens acceptent des salaires inférieurs à ceux des nationaux d’Europe de l’Ouest, leurs gouvernements sont très satisfaits parce qu’ils peuvent s’enorgueillir d’une baisse fictive de leur chômage national.
Avec deux nouveaux entrants encore plus pauvres en janvier 2007 (la Roumanie et la Bulgarie) le mouvement va s’accélérer.
La pénurie d’emplois en France nous permettra d’améliorer notre productivité et nos résultats.
Les politiques de traitement du chômage mises en œuvre sont coûteuses pour l'Etat et inefficaces.
Le durcissement des conditions d’accès (et de maintien)aux indemnisations combinée avec la diminution des montants versés est une tendance de fond qui va s’amplifier.
Les subventions et exonérations sociales et fiscales dont nous bénéficions nous permettrons de diminuer le coût global du travail.
L’évolution de la législation est positive : nombre de dispositions qui limitent notre marge de manœuvre seront supprimées à moyen terme. En attendant, l’inertie des instances juridictionnelles et/ou de contrôle favorise notre anticipation sur les lois à venir. En clair, nous pratiquons dès maintenant avec la souplesse que nous espérons voir advenir légalement.
Alors que le chômage d’envergure est un avantage pour les entreprises, il pose effectivement de sérieux problèmes aux politiques de tous bords.
Les entreprises n’envisagent pas de créer assez d’emploi pour absorber la totalité des chômeurs actuels. Il est même probable que le taux de chômage augmente encore, malgré les artifices de comptage pour faire croire le contraire.
La peur gagne du terrain dans les populations.
Une partie des travailleurs a peur de perdre son emploi et se sent impuissante, dépourvue de tout moyen de peser sur les décisions des entreprises.
Une autre partie se croit (veut se croire) meilleure ou plus capable que les autres, ayant acheté le modèle de réussite vendu par nos cultures d’entreprises à grand renfort d’esprit d’équipe, de culte de la performance et de pseudo-valorisation.
Ces peurs se cristallisent en une « diabolisation du chômeur » facile à exploiter et amplifier (récit de profiteurs, invention d’avantages sur l’état de chômeur, procès d’intention sur le manque de motivation à reprendre une activité,…).
Car personne ne veut faire face à ses peurs.
Les chômeurs marginalisés, culpabilisés et stigmatisés développent les mêmes réflexes psychologiques que les pauvres : la gêne, la honte, l’effondrement de l’estime de soi.
Si en plus de leurs difficultés financières, le chômeur est en butte à l’hostilité des autres citoyens, alors il finira par accepter de travailler selon les conditions dictées par nos grandes compagnies.
Les politiques essaient de faire croire que cette évolution permettra de résorber le chômage. Mais nous, dans les grandes entreprises, nous savons qu’il n’en sera rien. Le meilleur contexte de développement du modèle dominant d’entreprise aujourd’hui est et reste la jungle sociale.
Voilà, mon brave. Et maintenant, je rentre chez moi. Demain j'ai réunion à 8 heures avec une agence d'intérim roumaine...