Le jour où je suis devenue incompétente

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Modérateurs : superuser, Yves

conundrum

Le jour où je suis devenue incompétente

Message par conundrum »

Le jour où je suis tombée enceinte, je suis devenue incompétente. Troublante coïncidence, n'est-ce pas ? Surtout après avoir satisfait (du moins j'imagine, vu que je restais) mes chefs pendant un temps certain. Si j'additionne tout, j'ai cumulé, dans mon entreprise, plus de deux ans de statuts et contrats précaires (au mieux, des CDD).

Mais le test de grossesse a donc visiblement révélé, outre la présence de ce petit être que je couve avec amour, une incapacité à travailler. La coïncidence pourrait faire rire. Moi, elle me fait plutôt pleurer. Car elle me coûte les quelques mois de contrat(s) de travail que j'aurais pu espérer en attendant mon congé maternité, en février 2011.

Alors que mon chef avait bien réagi à l'annonce de ma grossesse (bien que cela ne présage jamais de la suite, ça donne un indice), d'autres ont plus mal réagi. Il faut dire que travailler avec une femme enceinte dont la grossesse est déclarée à l'employeur impose de respecter les règles du code du travail qui protègent les femmes enceintes. Et certains, ça les dérange, car le code du travail est plutôt très protecteur, si l'on compare aux conditions de travail "de base" dans ma branche.
Suite : http://bebe-032011.blogspot.com/2010/09 ... tente.html
superuser
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(g)Rêves de femmes

Message par superuser »

Les invisibles, les sans-grade, les figurants, les clandés... ceux que l'on ne voit pas, qui comptent pour rien, sont généralement ceux qui tiennent toute la structure sociale sur leurs épaules. Les Mexicains, méprisés aux États-Unis et pourtant présents partout, ont déjà fait la démonstration de leur puissance rien qu'en menaçant de disparaître une journée entière. Les dominants font toujours semblant d'ignorer à quel point ils dépendent de la piétaille, à quel point leur propre règne est fragile. Que les petites mains disparaissent du paysage subitement et voilà le roi qui parade nu, au milieu des boulevards déserts. On mesure la puissance et la richesse des nations à leur PIB, on résume le corps social à sa capacité de produire de l'argent, de la valeur ajoutée, et on fait semblant de ne pas voir que ce que l'on appelle l'économie n'est que la partie émergée de l'iceberg de notre civilisation, que l'on pourrait faire disparaître sans peine les patrons, les contremaîtres, les chefs, les boursiers, les banquiers, les décideurs, que notre monde, étrangement, resterait encore sur ses pieds. Mais que les éboueurs se croisent les bras et voilà le hideux visage de la pourriture, de la saleté, des courses de rats le long des façades, des odeurs putrides et des miasmes délétères, qui contemple la cité perdue en ricanant.

Parce que l'essentiel est ce que l'on ne voit pas, parce que la vraie richesse est ce dont on ne peut imaginer se passer.

« Ce n'est pas que nous ne partageons pas les tâches ménagères, mais j'ai découvert un jour que pour mon mari, le frigo était un instrument magique. Quand les gosses amenaient des copains à la maison, il disait : ne vous en faites pas, je m'occupe de tout ! Et il ouvrait le frigo. Et voilà, il faisait à manger pour tout le monde. Mais il ne s'était jamais posé la question de savoir comment le frigo se remplissait. Il l'ouvrait et il se débrouillait toujours. Jusqu'au jour où je n'ai pas fait les courses en rentrant du boulot. Ce jour-là, il a compris que le frigo, il ne se remplissait pas tout seul. »
D'accord, elle est militante féministe, mais comme la plupart d'entre nous, elle se démerde pour que la PME familiale tourne sans accrocs. Que la maison soit toujours accueillante, le linge propre et la bouffe dans le frigo. Comme un réflexe conditionné. L'homme fait la vaisselle. Il mijote ses grands classiques, les jours où il y a du monde. Des fois, même, il a découvert comment appuyer sur le bouton de la machine à laver. Si c'est un oiseau rare, il sait repasser ses chemises et classer ses chaussettes deux par deux.
C'est un homme moderne, quoi !
Proféministe en diable.
Il sait changer les couches du nain.
Et de son stage au MacDo quand il était étudiant, il a ramené l'art de passer la serpillière en huit.
Alors, du coup, elle se dit que c'est cool, la nouvelle génération d'hommes !
Et qu'elle peut mettre la pédale douce sur ses revendications féministes, au moins à la maison.

Mais en fait, elle ne fera jamais aussi bien la démonstration de son importance de femme qu'en cessant d'être là, de faire à longueur de temps toutes ces petites choses sans importance qui font que toute la structure ne tient que par son travail continu et discret.
Les hommes ne prennent toute la mesure de la place réelle que prenait leur femme dans leur vie que le jour où elle les plaque.
En plus du désert affectif.
Quand la vaisselle ne disparaît plus toute seule dans le placard, lequel devient trop petit. Le frigo ne se remplit plus. Les gosses ne rentrent plus miraculeusement de l'école, ils ne trouvent pas tout seuls le chemin du cabinet médical et de la pharmacie, leur emploi du temps de ministre rentre subitement en conflit ouvert avec celui de leur père. Et qui s'occupe du gâteau d'anniversaire, des étrennes des pompiers, du flux subtil des factures, de la visite aux grands-parents, des relations diplomatiques avec les voisins, et des innombrables sollicitations de la vie scolaire ? Organisation des loisirs, des emplois du temps, réactions aux imprévus, baby-sitting au débotté, appeler le véto pour le chat et ne pas oublier le bon Carrefour pour la promo sur le pack de bière.

"Et qu'est-ce qu'on mange ce soir" (dans les limites des préconisations sanitaires contre les maladies liées à la malbouffe !) ?

Toutes ces choses, toutes ces taches, tous ces moments, ces renoncements, ce jonglage permanent et épuisant entre de multiples contraintes, écrasées dans les emplois du temps compressés et contradictoires, tout ce temps, ce travail cette énergie qui ne sont mesurés par personne, comptabilisés en rien mais qui sont le ciment de notre société.

Parfois, elles ont juste un rêve. Celui de ne plus se préoccuper de toutes ces petites choses insignifiantes et permanentes. Toutes ces choses qui sont la moindre des choses...

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