"Toutes les régions socialistes ont augmenté les impôts. Pas pour investir, mais pour augmenter le train de vie des régions". A trois jours du second tour des régionales, le secrétaire général de l'UMP, Xavier Bertrand, ne fait plus dans la demi-mesure. Il a repris son thème de campagne favori : il faut stopper la "folie fiscale" de ces socialistes qui "aiment l’impôt".
Sa démonstration serait recevable si les chiffres qu'il avance ne posaient pas problème. Or, non seulement la hausse d'impôts ne serait pas aussi forte, mais elle serait liée en partie à un transfert de charges de l'Etat. C'est ce que
Libération a démontré dans un article intitulé «le bobard qui valait 7 milliards». Sur Canal +, Bertrand a répliqué en estimant que "ce que dit
Libération est faux" et qu'il suffisait de comparer une fiche d'impôt de 2004 avec celle de 2009 pour constater la hausse, censée être de "101 euros par Français".
Libération l'a pris au mot dès le lendemain. Retour sur cette bataille de chiffres.
"Chaque année, c’est 7 milliards d’euros d’impôts de plus"
Le 11 mars dernier, lors du face-à-face organisé par TF1 avec Martine Aubry, Xavier Bertrand a frappé un grand coup : "Le Parti Socialiste aime les impôts. Aujourd'hui, dans les régions, vous avez une pression fiscale qui a considérablement augmenté en six ans. En moyenne, c'est 35% d'augmentation d'impôts locaux régionaux". Emporté par son élan, Bertrand va même plus loin : "Chaque année, c’est 7 milliards d’euros d’impôts de plus que les régions gérées par le parti socialiste ont décidé d’augmenter", a-t-il affirmé.
Une semaine plus tard, le 17 mars,
Libération réplique dans sa rubrique "Desintox" pour dénoncer le mensonge de Bertrand. D'où vient ce chiffre de 7 milliards d'euros ? C'est la différence entre les recettes fiscales des régions en 2004 (4,7 milliards d’euros) et leur montant en 2009 (un peu plus de 11,3 milliards). Comme l'a relevé
Libération, il ne s'agit donc pas d'une augmentation de 7 milliards "chaque année" mais
sur six années.
Par ailleurs, en additionnant la totalité des hausses d'impôts décidées par les régions (taxe professionnelle, taxe foncière, taxe sur les cartes grises, part modulable de la taxe intérieure sur les produits pétroliers), on obtient le chiffre de 3,1 milliards d’euros depuis 2004.
Où est passé le reste de l'augmentation signalée par Bertrand ? "Pour arriver à son chiffre, Bertrand triche en ajoutant dans son calcul les recettes fiscales que l’Etat a affecté aux régions depuis 2004. La loi du 13 août 2004 sur les libertés et responsabilités des collectivités locales a transféré de nouvelles compétences aux régions (formation, inventaire régional, et surtout les dizaines de milliers de TOS - personnels techniciens, ouvriers et de services des lycées). Comme la loi l’y oblige, l’Etat a compensé le surcoût en faisant le choix de verser aux régions une partie du produit de la TIPP qu’il perçoit. […] Comme l’explique François Bouchard, directeur général des services de la région Alsace (UMP) : "Cette TIPP, dite «garantie», n’a rien à voir avec de la fiscalité locale. L’Etat doit de l’argent aux régions et décide de les payer avec la TIPP. Les régions n’ont pas la moindre marge de manœuvre sur cette opération». En 2009, cette TIPP garantie représentait 3 milliards d’euros. Un montant qui apparaît dans les comptes des régions comme des recettes fiscales, mais qui en réalité s’apparente à "une dotation de l’Etat", explique François Bouchard. Ce qui n’empêche pas Bertrand de les comptabiliser comme des "impôts supplémentaires décidés [par les régions]".
Autrement dit, sur les 6,5 milliards de recettes supplémentaires entre 2004 et 2009, les régions ne sont responsables que de la moitié de cette augmentation.
"Si on veut savoir qui dit vrai, il suffit de prendre sa feuille d’impôts locaux de 2004"
Le jour de la publication de l'article de
Libération, Xavier Bertrand est invité au grand journal de Canal +. Michel Denisot revient sur cette bataille de chiffres en faisant référence à l'article du journal. Piqué au vif, Bertrand affirme que "ce que dit
Libération est faux". Bertrand prend à témoin l'assistance en suggérant à chacun de comparer sa feuille d'impôt 2009 avec celle de 2004.
Libération a relevé le défi pour démontrer que le chiffre de 7 milliards de hausse, soit 101 euros par habitants, n'est pas le bon :
« Avant d’éplucher quelques feuilles d’impôts, précisons d’abord qu’en matière de fiscalité locale directe, le seul impôt prélevé par les régions sur les particuliers est la taxe foncière (sur le bâti et le non-bâti).
Commençons avec l’exemple d’un propriétaire d’une maison à Oullins, dans la banlieue de Lyon. En 2004, il payait 16 euros de taxe foncière à la région. En 2009, la région lui en demandait 22. Bilan : une hausse de 6 euros de ses impôts régionaux. Prenons un autre cas, en Ile-de-France, où les taux de la taxe foncière sur le bâti ont augmenté plus fortement que la moyenne nationale lors des cinq dernières années (46,5% contre 33,3%) : il s’agit d’un trentenaire, très bien logé dans son grand appartement du centre de Paris. Il payait 50 euros de taxe foncière à la région en 2004. Cinq ans après, l’addition a grimpé de 34 euros, et se porte à 84 euros.
Et qu’en est-il pour l’ensemble des contribuables français ? En fait, le produit annuel de la taxe foncière perçue par les régions a progressé de moins de 600 millions d’euros en cinq ans. De 1,15 milliard d’euros en 2004, il est passé à 1,7 milliard en 2009. En moyenne, et par Français, la taxe foncière versée aux régions a donc grimpé de 10 euros en 2009 par rapport à 2004. Voilà ce que les Français trouveront dans leur feuille d’impôts locaux. On est très loin des 6,5 milliards, correspondant à 101 euros annuels par habitant. La démonstration "par la feuille d’impôts" de Bertrand est donc foireuse. Ce qu’il n’ignorait sans doute pas. Mais dans le feu d’une interview, elle lui permet d’éluder les questions gênantes. »
La "folie fiscale" n'épargne pas les régions dirigées par l'UMP
Les régions socialistes ont donc bien augmenté les impôts mais pas dans les proportions avancées par Bertrand.
Et qu'en est-il des deux régions dirigées par l'UMP ? Elles n'ont rien à envier aux régions socialistes, selon
L'Expansion. Si la Corse a peu augmenté sa fiscalité directe (+ 4,8% entre 2008 et 2009 par exemple), c'est en raison de son statut particulier : «Comme les régions d'Outre-mer, elle dispose de recettes fiscales indirectes spécifiques, en plus de la Taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP) et la carte grise. La fiscalité locale indirecte de la Corse a d'ailleurs augmenté de 22,2% cette année. La Corse bénéficie en outre d'un plus haut niveau de dotations de l'Etat que les autres régions».
Quant à l'Alsace,
L'Expansion précise que «c'est la région de France qui a le plus augmenté ses impôts entre 2008 et 2009 : la fiscalité locale directe s'est en effet envolée de 8,4% cette année». Et depuis 2004, sa fiscalité directe a augmenté de 36%, soit la moyenne de la hausse de la fiscalité des régions socialistes donnée par un certain Xavier Bertrand sur TF1.
(Source :
Arrêt sur images)