Vive l’assistanat pour limiter l’exclusion !
Les chômeurs non-indemnisés (fin de droits et jeunes de moins de 25 ans) sont les principales victimes de la crise. Ils sont abandonnés par ce gouvernement alors qu’ils devraient constituer la principale cible de la politique sociale.
Le gouvernement a certes multiplié les mesures ponctuelles de soutien : prime de solidarité active de 200 euros pour les ménages modestes ; prime de 150 euros pour les bénéficiaires de l’allocation de rentrée scolaire ; prime de 500 euros pour les travailleurs très précaires qui perdent leur emploi ; réduction de l’impôt sur le revenu pour les ménages assujettis à la première tranche. Mais ces mesures sont de faible ampleur : pour un ménage bénéficiant des primes de 200 euros et 150 euros, l’amélioration du pouvoir d’achat atteint 30 euros par mois. Et elles se caractérisent par leur saupoudrage : plus de 4 millions de ménages sont éligibles à la prime de solidarité active.
Dans son rapport «Quelles solidarités face à la crise ?», Terra Nova propose dix mesures ciblées.
Parmi elles, il y a la prolongation de six mois de la durée d’indemnisation des chômeurs arrivant en fin de droits. Ceux qui basculent de l’indemnité chômage aux minima sociaux subissent une perte de revenus très importante. Le montant moyen de la première est de 900 euros, celui de l’ASS et du RSA de 400 euros. Il s’agit d’une mesure coûteuse (2,9 milliards d’euros), mais exceptionnelle (mise en place pour la durée de la crise) et efficace.
Le rapport propose aussi une forte revalorisation des minima sociaux. Cette mesure garantirait un soutien ciblé sur le pouvoir d’achat des principales victimes de la crise. Elle est d’autant plus nécessaire que, contrairement à un mythe, notre système social n’est pas généreux avec les plus modestes. C’est l’inverse : à 454 euros par mois pour une personne seule sans emploi, nos minima sociaux sont très bas. Cumulés avec les aides au logement, ils ne représentent que 40% du revenu médian, contre 50% il y a dix ans. C’est très en dessous des standards européens : le Danemark est à 75%, le Royaume-Uni et les Pays-Bas à 70%, la moyenne de l’Union à Quinze à 60%. Travaillée par l’idéologie anti-assistanat, la France cultive son exception européenne : celle d’un pays où les pauvres deviennent de plus en plus pauvres. Il est grand temps de contre-attaquer et de briser ce totem : non, les chômeurs ne sont pas, dans leur immense majorité, des fainéants qui ne veulent pas travailler ; non, les aider n’est pas une prime à la paresse et ne créera pas une désincitation au travail. Nous proposons d’indexer le niveau de base du RSA à 50% du Smic, ce qui revient à le porter à 525 euros (+15%).
Autre mesure phare : l’extension du RSA aux moins de 25 ans. Aujourd’hui, les jeunes qui entrent sur le marché du travail n’ont droit à rien : ni RSA (le «RSA-jeunes» en passe d’être créé à la demande de Martin Hirsch prévoit des conditions très restrictives, au point que très peu de jeunes sans emploi pourront le toucher), ni indemnité chômage (puisqu’ils n’ont jamais travaillé). 22% des actifs de moins de 25 ans vivent en dessous du seuil de pauvreté. Là encore, la France se singularise par son conservatisme : les pays européens, dans leur quasi-totalité, attribuent les minima sociaux dès 18 ans, voire même 16 ans. L’octroi d’un revenu pour les jeunes est rejeté, une fois encore, par idéologie : un tel revenu les transformerait en assistés et gênerait leur insertion professionnelle. C’est faux. Le taux d’inscription des jeunes à Pôle Emploi est aujourd’hui très faible : ils n’y trouvent aucun intérêt immédiat. L’attribution du RSA pourrait au contraire servir de levier pour un accompagnement renforcé de la recherche d’emploi.
Le soutien au pouvoir d’achat des plus démunis nous semble aujourd’hui la priorité politique dans la lutte contre la crise sociale. Mais il s’agit aussi de les réinsérer. La clé de tout, c’est la qualification. Pour les chômeurs, la relance de la qualification doit s’appuyer sur la formation continue. On connaît la gabegie française : 30 milliards d’euros dépensés, largement, en pure perte. La refonte totale de la formation professionnelle est une nécessité. Rééquilibrage au profit des demandeurs d’emploi et non des seuls salariés. Concentration des moyens sur les moins qualifiés et non sur les plus diplômés. Substitution des séances «occupationnelles» encore trop nombreuses par des formations qualifiantes reconnues par les entreprises. Clarification des rôles aujourd’hui confus et entremêlés entre l’Etat, les régions et les syndicats. Là encore, le gouvernement se paie de mots : le «fonds d’investissement social», théoriquement créé en 2009 pour payer des formations aux travailleurs en chômage partiel ou total, ne se concrétise guère sur le terrain.
L’accompagnement des chômeurs dans leur recherche d’emploi est également de mauvaise qualité en France, comparé aux pays les plus avancés dans la «sécurité sociale professionnelle», comme les pays nordiques. Le taux d’encadrement y est élevé : un conseiller pour 30 demandeurs d’emploi. La France est à un pour 150, et la désorganisation liée à la création non maîtrisée de Pôle Emploi n’arrange rien. Cet encadrement baisse puisque seulement 1.800 conseillers ont été recrutés pour faire face à un afflux de 500.000 chômeurs supplémentaires - soit un conseiller pour 280 nouveaux demandeurs d’emploi. On peut d’ailleurs s’étonner de la négligence avec laquelle le gouvernement laisse s’enfoncer Pôle emploi, le service public en première ligne face à la crise, dans ses difficultés. Que dirait-on après une catastrophe naturelle si les services de secours connaissaient de tels dysfonctionnements ? C’est pourquoi, à court terme, l’urgence est de lancer un programme de recrutement à Pôle Emploi qui garantisse le maintien du taux d’encadrement malgré l’augmentation du chômage.
Nicolas Sarkozy a été élu sur le rejet de l’assistanat par «la France qui travaille». Aujourd’hui, «la France qui travaille» est en passe de perdre son emploi et a besoin d’assistance. Et si la crise ressuscitait la solidarité comme valeur cardinale de notre société ?
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