PAUVRETÉ
La moyenne d'âge des sans-abri est en hausse. Et ils sont plus exposés que les autres à la détresse de la rue.
UN SANS-ABRI de 45 ans a été retrouvé mort hier matin à Paris. L'homme, dont l'identité n'a pas été révélée, a été découvert sans vie rue Cauchy (XVe). Le froid n'est que l'une des hypothèses de la cause du décès, les températures ayant remonté dans la capitale dans la nuit de dimanche à lundi. Il s'agit en tout cas du sixième SDF retrouvé mort en France, en moins d'une semaine.
On vieillit mal ou peu dans la rue. «Quel âge me donnez-vous ?» demandait dimanche soir un SDF devant Dominique de Villepin en visite à la cité d'hébergement André-Jacomet à Paris. Il avait 63 ans, mais en paraissait bien davantage. L'errance l'avait cassé.
Age moyen : 49 ans
L'association Morts de la rue a recensé, de février à octobre 2005, 112 décès parmi les SDF. L'âge moyen des personnes décédées est de 49 ans, alors que l'espérance de vie en France est de 76,7 ans pour un homme et de 83,8 pour une femme. Le froid n'est pas – et de loin – la seule cause : on meurt dans la rue autant en été qu'en hiver.
Le Secours catholique observe que l'âge moyen des personnes demandant son aide croît : «Les personnes de 50 à 59 ans sont de plus en plus fréquentes (12,9% en 1999, 15,5% en 2004). L'augmentation du nombre de personnes de 60 ans et plus est aussi significative (4,7% en 1999, 5,5% en 2004).»
Le refuge de la Mie de Pain, dans le XIIIe à Paris, a fait le choix de réserver les deux tiers de ses 442 lits à des hommes de plus de 45 ans. Sitôt ouvert à la fin d'octobre, il affiche complet. «A partir de 45 ans, c'est plus dur d'être dans la rue, affirme Jacques Bresson, directeur de cette association. Le corps marche moins bien, il est plus sensible à l'humidité.» Ces hommes ou ces femmes en errance ont tellement marché, bu, bagarré, affronté tous les temps...
Cet été, 10% des personnes qui se sont rendues aux soupes de nuit distribuées par l'Armée du Salut étaient âgées de plus de 70 ans. Elles ne vivent pas forcément à la rue ; mais leurs maigres ressources et l'isolement ne permettent pas toujours de faire face aux dépenses. L'hiver 2004, à Paris, une soixantaine de personnes âgées étaient là chaque soir. Le même constat a été fait à Lyon.
Précarité des seniors
Médecins du Monde indique que le nombre des patients SDF de plus de 60 ans augmente. Au Samu social de Paris, 2 420 des 11 801 personnes qui ont bénéficié d'un hébergement d'urgence en 2004 avaient cinquante ans ou plus. Si les statistiques n'indiquent pas ici une augmentation, c'est que les SDF «âgés» sont placés en maison de retraite dès que possible, y étant admis plus tôt que les personnes avec un domicile. Emmaüs, la Mie de Pain, les Petits Frères des Pauvres multiplient ces lieux d'accueil.
La précarité des seniors, qui s'est manifestée lors de la canicule de 2003, reste difficile à cerner. Soit, plus fragiles, ils meurent plus tôt ; soit, plus isolés, ils cessent d'exister socialement.
Source : www.lefigaro.fr
Les associations reçoivent davantage de SDF âgés
Dans la rue l'espérance ne dépasse pas la cinquantaine
Un collectif a étudié les décès des sans-abri. Le rapport prouve que toutes les saisons sont mortelles, l'accès aux soins catastrophique et la sous-nutrition généralisée.
par Tonino Serafini pour Libération
L'hiver est une saison convenue pour des reportages sur les personnes sans domicile fixe retrouvées mortes de froid dans leurs abris de fortune. La question de l'extrême précarité et de l'exclusion faute de logement est souvent envisagée à travers le prisme climatique, comme si la météo glaciale était le seul défi ou l'unique danger qu'affrontent les hommes et les femmes qui se retrouvent à la rue.
Depuis plusieurs années, un collectif des «Morts de la rue», constitué d'une quarantaine d'associations d'aide aux SDF, s'est créé pour accompagner dignement les personnes décédées vers leur dernière demeure. Ce collectif a également entrepris de recenser, dans la limite de ses moyens, toutes ces morts anonymes. «Nos données ne sont pas exhaustives : elles proviennent des associations de terrain, de signalements des gens de la rue qui s'inquiètent de ne plus avoir de nouvelles d'un des leurs et par différentes recherches auprès des pouvoirs publics ou d'articles de journaux relatant ces décès», affirme Cécile Rocca, la coordinatrice du collectif, qui a recensé 112 morts de février à octobre 2005.
Toute l'année. Premier constat : le nombre de décès répertoriés n'est pas plus important pendant les mois d'hiver qu'au printemps ou à l'automne. Pendant la période étudiée, le froid est à l'origine de la mort de cinq personnes sur les 112. Autrement dit, les SDF meurent toute l'année, de causes diverses et variées et surtout à un âge très jeune. La durée de vie de ces 112 personnes décédées est ainsi de 49 ans, alors que l'espérance de vie de l'ensemble de la population est de 77 années pour les hommes et de 84 ans pour les femmes.
Moins de 50 ans en moyenne, mais parfois avant. Parmi les décès recensés figurent «David, 31 ans», «Pompon, 38 ans», «Marco, 45 ans», «Cow-Boy, 47 ans». Avec quelques exceptions : «Papi, 63 ans» ou «Momo le Vieux, 65 ans», deux surnoms qui sous-entendent qu'à la rue, au-delà de 60 ans, on est considéré comme très vieux. La moitié des personnes décédées pendant la période de référence ont entre 30 et 55 ans, dans un pays réputé pourtant pour son système de soins et la qualité de ses hôpitaux.
Leur jeune âge montre que la rue tue lentement en usant les gens jour après jour. «Leurs conditions de vie engendrent un état d'épuisement physique et psychologique permanent. Les sans-abri sont soumis à un stress constant : ils risquent de se faire agresser pendant leur sommeil, de se faire voler leurs affaires, leurs chaussures. Ils sont tout le temps sur le qui-vive», constate le docteur Etienne Grosdidier, médecin au Samu social.
Nourriture. Ce mode de vie très précaire se caractérise aussi par des déficits nutritionnels. Selon un sondage réalisé récemment par BVA auprès des SDF fréquentant les centres d'accueil ou d'hébergement d'Emmaüs, 44% des personnes interrogées affirment qu'il leur est déjà arrivé «souvent» ou «de temps en temps» de «ne pas trouver de quoi manger pendant toute une journée» (1). Des situations rencontrées notamment en été, lorsque les dispositifs d'aide fonctionnent au ralenti, lorsque certaines associations baissent le rideau, lorsque les commerçants ou les riverains d'un quartier qui leur donnent habituellement un coup de pouce sont en vacances.
«Les pathologies liées à leurs conditions de vie commencent à se déclarer vers 40-50 ans. On constate une usure du corps liée notamment à la malnutrition», remarque Etienne Grosdidier. Dans ses consultations, il observe des carences vitaminiques multiples très profondes, y compris en vitamine C, qui n'existe plus dans la population en général. Ce qui engendre divers troubles : anémies, hémorragies, troubles neurologiques ou cardio-vasculaires. Et aussi des carences en calcium, faute de laitages. «Les fractures, les cassures de membres sont très fréquentes chez les sans-abri», racontent les médecins. «La première question que je pose à des personnes que j'examine c'est : "Comment mangez-vous ?"», affirme pour sa part Claire Schwartz, médecin chez Emmaüs. «Parfois on me répond : "Je ne mange pas le midi."»
Suivi médical. Malnutrition mais aussi dégradation du corps provoquées par l'errance, ce qui empêche toute médecine préventive ou traitements au long cours, en particulier pour les pathologies chroniques comme le diabète, l'hypertension artérielle... Alors, pour tenir le coup et lutter contre l'angoisse, les SDF surconsomment alcool et tabac... Les pathologies cardio-vasculaires, les cirrhoses précoces, les cancers ORL sont nombreux. «A 40-50 ans, ils présentent des polypathologies très évoluées et difficiles à prendre en charge du fait de leur manque de stabilité d'habitat», indique le docteur Etienne Grosdidier.
Facteur aggravant : face aux nombreuses difficultés pour survivre au quotidien, les sans-abri finissent par considérer «les soins comme quelque chose de secondaire», se désole Claire Schwartz. Ce que confirme le sondage BVA-Emmaüs. En dehors de se nourrir et de trouver un abri, les SDF répondent que le problème le plus important pour eux est de «rester propre» et «se déplacer gratuitement». La réponse «se soigner» n'arrive qu'au troisième rang.
Mis à part les maladies, les SDF meurent souvent de mort violente : parmi les décès enregistrés par le Collectif des morts de la rue, on recense notamment huit assassinats, sept personnes brûlées vives (dans des squats, des cabanes en carton), six chutes mortelles. L'impact du froid n'est donc que très marginal dans ces décès.
(1) Sondage BVA réalisé du 17 novembre au 5 décembre auprès de 401 sans-abri hébergés par l'association Emmaüs.
par Tonino Serafini pour Libération
L'hiver est une saison convenue pour des reportages sur les personnes sans domicile fixe retrouvées mortes de froid dans leurs abris de fortune. La question de l'extrême précarité et de l'exclusion faute de logement est souvent envisagée à travers le prisme climatique, comme si la météo glaciale était le seul défi ou l'unique danger qu'affrontent les hommes et les femmes qui se retrouvent à la rue.
Depuis plusieurs années, un collectif des «Morts de la rue», constitué d'une quarantaine d'associations d'aide aux SDF, s'est créé pour accompagner dignement les personnes décédées vers leur dernière demeure. Ce collectif a également entrepris de recenser, dans la limite de ses moyens, toutes ces morts anonymes. «Nos données ne sont pas exhaustives : elles proviennent des associations de terrain, de signalements des gens de la rue qui s'inquiètent de ne plus avoir de nouvelles d'un des leurs et par différentes recherches auprès des pouvoirs publics ou d'articles de journaux relatant ces décès», affirme Cécile Rocca, la coordinatrice du collectif, qui a recensé 112 morts de février à octobre 2005.
Toute l'année. Premier constat : le nombre de décès répertoriés n'est pas plus important pendant les mois d'hiver qu'au printemps ou à l'automne. Pendant la période étudiée, le froid est à l'origine de la mort de cinq personnes sur les 112. Autrement dit, les SDF meurent toute l'année, de causes diverses et variées et surtout à un âge très jeune. La durée de vie de ces 112 personnes décédées est ainsi de 49 ans, alors que l'espérance de vie de l'ensemble de la population est de 77 années pour les hommes et de 84 ans pour les femmes.
Moins de 50 ans en moyenne, mais parfois avant. Parmi les décès recensés figurent «David, 31 ans», «Pompon, 38 ans», «Marco, 45 ans», «Cow-Boy, 47 ans». Avec quelques exceptions : «Papi, 63 ans» ou «Momo le Vieux, 65 ans», deux surnoms qui sous-entendent qu'à la rue, au-delà de 60 ans, on est considéré comme très vieux. La moitié des personnes décédées pendant la période de référence ont entre 30 et 55 ans, dans un pays réputé pourtant pour son système de soins et la qualité de ses hôpitaux.
Leur jeune âge montre que la rue tue lentement en usant les gens jour après jour. «Leurs conditions de vie engendrent un état d'épuisement physique et psychologique permanent. Les sans-abri sont soumis à un stress constant : ils risquent de se faire agresser pendant leur sommeil, de se faire voler leurs affaires, leurs chaussures. Ils sont tout le temps sur le qui-vive», constate le docteur Etienne Grosdidier, médecin au Samu social.
Nourriture. Ce mode de vie très précaire se caractérise aussi par des déficits nutritionnels. Selon un sondage réalisé récemment par BVA auprès des SDF fréquentant les centres d'accueil ou d'hébergement d'Emmaüs, 44% des personnes interrogées affirment qu'il leur est déjà arrivé «souvent» ou «de temps en temps» de «ne pas trouver de quoi manger pendant toute une journée» (1). Des situations rencontrées notamment en été, lorsque les dispositifs d'aide fonctionnent au ralenti, lorsque certaines associations baissent le rideau, lorsque les commerçants ou les riverains d'un quartier qui leur donnent habituellement un coup de pouce sont en vacances.
«Les pathologies liées à leurs conditions de vie commencent à se déclarer vers 40-50 ans. On constate une usure du corps liée notamment à la malnutrition», remarque Etienne Grosdidier. Dans ses consultations, il observe des carences vitaminiques multiples très profondes, y compris en vitamine C, qui n'existe plus dans la population en général. Ce qui engendre divers troubles : anémies, hémorragies, troubles neurologiques ou cardio-vasculaires. Et aussi des carences en calcium, faute de laitages. «Les fractures, les cassures de membres sont très fréquentes chez les sans-abri», racontent les médecins. «La première question que je pose à des personnes que j'examine c'est : "Comment mangez-vous ?"», affirme pour sa part Claire Schwartz, médecin chez Emmaüs. «Parfois on me répond : "Je ne mange pas le midi."»
Suivi médical. Malnutrition mais aussi dégradation du corps provoquées par l'errance, ce qui empêche toute médecine préventive ou traitements au long cours, en particulier pour les pathologies chroniques comme le diabète, l'hypertension artérielle... Alors, pour tenir le coup et lutter contre l'angoisse, les SDF surconsomment alcool et tabac... Les pathologies cardio-vasculaires, les cirrhoses précoces, les cancers ORL sont nombreux. «A 40-50 ans, ils présentent des polypathologies très évoluées et difficiles à prendre en charge du fait de leur manque de stabilité d'habitat», indique le docteur Etienne Grosdidier.
Facteur aggravant : face aux nombreuses difficultés pour survivre au quotidien, les sans-abri finissent par considérer «les soins comme quelque chose de secondaire», se désole Claire Schwartz. Ce que confirme le sondage BVA-Emmaüs. En dehors de se nourrir et de trouver un abri, les SDF répondent que le problème le plus important pour eux est de «rester propre» et «se déplacer gratuitement». La réponse «se soigner» n'arrive qu'au troisième rang.
Mis à part les maladies, les SDF meurent souvent de mort violente : parmi les décès enregistrés par le Collectif des morts de la rue, on recense notamment huit assassinats, sept personnes brûlées vives (dans des squats, des cabanes en carton), six chutes mortelles. L'impact du froid n'est donc que très marginal dans ces décès.
(1) Sondage BVA réalisé du 17 novembre au 5 décembre auprès de 401 sans-abri hébergés par l'association Emmaüs.