Enchaînés
Publié : 09 juil. 2009
Dans la série, ce que vous ne verrez pas aux grandes messes du 20 h : Pays de Franche Comté
le 08/07/2009 à 03:55
Montbéliard. Ils s’enchaînent devant la porte de leur patron
Ils sont en grève de la faim depuis hier matin sur un bout de trottoir au cœur de Montbéliard. Les pieds entravés par une chaîne métallique, les Audincourtois Anthony Guillot, 20 ans et Philippe Paris, 44 ans dénoncent « les méthodes abusives » de leur patron, une entreprise locale du bâtiment.
« Il embauche puis il jette ses salariés à tour de bras pour des motifs non valables. Rien n’est fait dans les règles. Nous ne disposons même d’un document justifiant d’un licenciement pour prétendre au chômage ».
Dans un cliquetis de chaînes qu’ils traînent aux pieds « tels des forçats de l’esclavage moderne », les deux pères de famille « au bout du rouleau » ont décidé de crier publiquement leur colère hier matin en s’enchaînant à la gouttière d’une maison qui abrite, rue Clemenceau à Montbéliard, les bureaux de l’entreprise du bâtiment pour laquelle ils étaient employés. Une société spécialisée dans la construction et la rénovation.
Au bout du rouleau
Plombier chauffagiste, Philippe Paris y a travaillé neuf mois. Anthony Guillot, tout juste un mois. Les deux ont été licenciés en mai. « C’est la grande valse des salariés dans cette boîte qui embauche en CDI et licencie pour n’importe quel motif, tonne Anthony Guillot On nous accuse de voler du matériel, de boire, d’utiliser trop longtemps nos téléphones portables sur les chantiers, de monter des murs qui ne sont pas droits. Nous sommes huit ou neuf à avoir ainsi été jetés. Et nous avons tous saisi les prud’hommes ».
Plus rien à perdre
Le dossier d’Anthony Guillot devait être abordé lundi par l’instance prud’homale. L’affaire a été repoussée au 12 octobre . « La goutte d’eau qui fait déborder le vase. J’ai un petit garçon de quatre ans. On ne vit plus. On survit avec les 600 € de salaire de mon épouse et avec l’argent de la vente de ma voiture. Nous aussi on aimerait bien manger cinq fruits et légumes par jour plutôt que des patates midi et soir ».
Déterminés « parce qu’on n’a plus à rien à perdre », les deux hommes affirment à qui veut bien les écouter qu’ils ne rompront leurs chaînes et leur grève de la faim que lorsque leur ex-patron leur aura délivré les documents leur permettant d’émarger aux Assedic et les salaires dus.
« J’ai quatre enfants de 4 à 13 ans et on n’a même plus l’eau chaude pour se laver, seulement 400 euros d’allocations familiales pour s’en sortir », avoue Philippe Paris.
« Il devait se faire opérer en août d’une tumeur osseuse à Strasbourg. Même se soigner devient impossible », ajoute son épouse alors que les passants étonnés par les banderoles qui flottent au vent où crie en lettres rouges la colère des deux hommes s’arrêtent pour en savoir plus.
Au même moment, le patron quitte son bureau sous les huées des enchaînés. « On se reverra au tribunal », leur lance-t-il. La police surveille de loin.
Roger Ceglinski, l’adjoint au développement et à l’économie de la ville de Montbéliard, vient au contact. Ça fait désordre, deux hommes enchaînés dans l’honorable cité des Wurtemberg. Un homme en costume cravate et lunettes noires s’approche d’eux. Cette boîte de construction, il la connaît. Son père Jean, un électricien de 56 ans, y a travaillé. « Il n’a jamais été payé. L’entreprise lui doit 6 000 euros ».
L’inspection du travail, la sous-préfecture, les renseignements généraux, le tribunal… Tout le monde ou presque est alerté.
Françoise Jeanparis