Je te veux du bien
Publié : 22 sept. 2013
Je suis un petit objet de matière plastique de forme circulaire.
Posé sur ta table de chevet, je suis la promesse que la vie tarde à tenir.
Je ne te sers à rien. Tu ne m'as pas sorti de mon étui.
J’attends. Dans mon emballage de plastique translucide.
Je me souviens du jour où tu m’as acheté. Tu tournais et virais dans le rayon du supermarché. Hésitais, t’approchais, me prenais, me posais, à quoi bon, t’éloignais, revenais, me saisissais à nouveau, on ne sait jamais, me glissais finalement dans le panier, subrepticement, prenant soin de me dissimuler sous le reste de tes maigres achats.
Un sourire malicieux. Une bouffée d’espoir. Un instant d’audace.
Ça n’a pas duré. Tu m’as laissé là, sur ton chevet.
Et puis rien.
Tu restes assis de longues minutes, des heures, des journées, des semaines, l'œil accusateur. Tu me reproches mon impuissance. Ton impuissance.
Je n’ai pas su te porter la chance que tu attendais.
Ce regard qui me transperce et me fait mal.
Tu crois que je suis un bout de plastique insensible.
Tu te trompes. Si je parlais je te féliciterais de m'avoir acheté. C'était un beau geste. Un grand geste de courage. Un pari sur l’avenir.
Je ne me leurre pas, tu ne me trouves pas séduisant. Je ne suis pas parfumé, je ne suis pas très sexy, je ne suis doté d'aucune option sensationnelle. Tu m'as choisis parmi mes voisins de rayon, plus colorés, plus attrayants. J'étais bon marché. Tu ne pouvais pas gaspiller quelques sous. Rends-toi compte que c’est précisément pour ça que tu m’as acheté. Parce que je ne suis pas un gaspillage. Je suis la plus belle manière de forcer le destin. Je suis l’assurance que tu seras prêt quand la chance te sourira.
Je suis à côté de ton lit, c’est une question de jours avant que la vie t’offre le bonheur de m’utiliser.
Quand je dis bonheur, je m’entends. Je reste humble. Je sais que ce n’est pas tout à fait moi qui te le procurerai. Je ne serai pas la cause, je serai le signe de ton bonheur. Si tu as besoin de moi, c'est que tu es de retour chez les vivants. Je sais même que le jour où tu m’emploieras, je deviendrai une entrave à ta liberté. Ingrat, tu désireras poursuivre tes petites affaires sans moi.
L’homme est ainsi fait.
Je ne t’en veux pas. Je rêve que ce jour arrive. Que tu me sortes de mon étui. Que tu me prennes entre tes doigts… Je t’accompagnerai tout une nuit. Une seule nuit. Ça doit être grisant !
Quand ce jour arrivera, sauras-tu m’utiliser correctement ?
Je suis un modèle simple, d’emploi évident. C’est l'avis de mon fabricant, qui n’a pas joint la moindre notice explicative.
Peut-être.
Je te vois, allongé toute la journée à ne rien faire, à ne rien faire du tout, je me demande…
A quoi bon me demander… c’est pas demain la veille que je te servirai.
Bon sang arrête de me regarder comme ça !
Qu’est-ce que tu crois ? Qu’est-ce que tu attends ? Un miracle ?
La chance, la chance ! Je veux bien. Vas-y, mets-y du tien, sors.
Rencontre du monde, parle avec des gens, inscris-toi dans une association, fais-toi des amis… enfin essaie d'avoir un semblant de vie sociale. C’est là que ça commence, la chance.
Allez l’ami , tu es jeune, en pleine santé, un peu de courage.
Il n’y a pas de fatalité.
Bien sûr, la solitude. Les refus, les échecs. Bien sûr, le chômage, depuis longtemps, tu ne sais plus comment t'y prendre. Bien sûr la timidité, le manque de confiance . Bien sûr, bien sûr, bien sûr. Rassure-toi. Tout ça il n’y a que toi et moi qui le sachions. J’ai confiance en toi. Une bonne douche, une chemise propre et repassée. Charmant comme tu es, rien ni personne ne pourra te résister.
Allez quoi. C’est le premier pas qui coûte. La roue tourne.
Un jour, ce jour est tout proche, le téléphone sonnera.
À l’autre bout du fil, il y aura une voix féminine.
Elle te proposera un rendez-vous.
Demain. 8 heures 30.
Ce sera grandiose. Ce sera notre première nuit.
Tu me saisiras. Tu me sortiras de mon étui.
Tu feras tourner mes engrenages et virevolter mes aiguilles.
Toute la nuit, je t’offrirai la délicatesse de mon tic-tac, doux et régulier, jusqu'au petit matin.
Où j’emplirai toute la chambre de mon cri clair et puissant.
Posé sur ta table de chevet, je suis la promesse que la vie tarde à tenir.
Je ne te sers à rien. Tu ne m'as pas sorti de mon étui.
J’attends. Dans mon emballage de plastique translucide.
Je me souviens du jour où tu m’as acheté. Tu tournais et virais dans le rayon du supermarché. Hésitais, t’approchais, me prenais, me posais, à quoi bon, t’éloignais, revenais, me saisissais à nouveau, on ne sait jamais, me glissais finalement dans le panier, subrepticement, prenant soin de me dissimuler sous le reste de tes maigres achats.
Un sourire malicieux. Une bouffée d’espoir. Un instant d’audace.
Ça n’a pas duré. Tu m’as laissé là, sur ton chevet.
Et puis rien.
Tu restes assis de longues minutes, des heures, des journées, des semaines, l'œil accusateur. Tu me reproches mon impuissance. Ton impuissance.
Je n’ai pas su te porter la chance que tu attendais.
Ce regard qui me transperce et me fait mal.
Tu crois que je suis un bout de plastique insensible.
Tu te trompes. Si je parlais je te féliciterais de m'avoir acheté. C'était un beau geste. Un grand geste de courage. Un pari sur l’avenir.
Je ne me leurre pas, tu ne me trouves pas séduisant. Je ne suis pas parfumé, je ne suis pas très sexy, je ne suis doté d'aucune option sensationnelle. Tu m'as choisis parmi mes voisins de rayon, plus colorés, plus attrayants. J'étais bon marché. Tu ne pouvais pas gaspiller quelques sous. Rends-toi compte que c’est précisément pour ça que tu m’as acheté. Parce que je ne suis pas un gaspillage. Je suis la plus belle manière de forcer le destin. Je suis l’assurance que tu seras prêt quand la chance te sourira.
Je suis à côté de ton lit, c’est une question de jours avant que la vie t’offre le bonheur de m’utiliser.
Quand je dis bonheur, je m’entends. Je reste humble. Je sais que ce n’est pas tout à fait moi qui te le procurerai. Je ne serai pas la cause, je serai le signe de ton bonheur. Si tu as besoin de moi, c'est que tu es de retour chez les vivants. Je sais même que le jour où tu m’emploieras, je deviendrai une entrave à ta liberté. Ingrat, tu désireras poursuivre tes petites affaires sans moi.
L’homme est ainsi fait.
Je ne t’en veux pas. Je rêve que ce jour arrive. Que tu me sortes de mon étui. Que tu me prennes entre tes doigts… Je t’accompagnerai tout une nuit. Une seule nuit. Ça doit être grisant !
Quand ce jour arrivera, sauras-tu m’utiliser correctement ?
Je suis un modèle simple, d’emploi évident. C’est l'avis de mon fabricant, qui n’a pas joint la moindre notice explicative.
Peut-être.
Je te vois, allongé toute la journée à ne rien faire, à ne rien faire du tout, je me demande…
A quoi bon me demander… c’est pas demain la veille que je te servirai.
Bon sang arrête de me regarder comme ça !
Qu’est-ce que tu crois ? Qu’est-ce que tu attends ? Un miracle ?
La chance, la chance ! Je veux bien. Vas-y, mets-y du tien, sors.
Rencontre du monde, parle avec des gens, inscris-toi dans une association, fais-toi des amis… enfin essaie d'avoir un semblant de vie sociale. C’est là que ça commence, la chance.
Allez l’ami , tu es jeune, en pleine santé, un peu de courage.
Il n’y a pas de fatalité.
Bien sûr, la solitude. Les refus, les échecs. Bien sûr, le chômage, depuis longtemps, tu ne sais plus comment t'y prendre. Bien sûr la timidité, le manque de confiance . Bien sûr, bien sûr, bien sûr. Rassure-toi. Tout ça il n’y a que toi et moi qui le sachions. J’ai confiance en toi. Une bonne douche, une chemise propre et repassée. Charmant comme tu es, rien ni personne ne pourra te résister.
Allez quoi. C’est le premier pas qui coûte. La roue tourne.
Un jour, ce jour est tout proche, le téléphone sonnera.
À l’autre bout du fil, il y aura une voix féminine.
Elle te proposera un rendez-vous.
Demain. 8 heures 30.
Ce sera grandiose. Ce sera notre première nuit.
Tu me saisiras. Tu me sortiras de mon étui.
Tu feras tourner mes engrenages et virevolter mes aiguilles.
Toute la nuit, je t’offrirai la délicatesse de mon tic-tac, doux et régulier, jusqu'au petit matin.
Où j’emplirai toute la chambre de mon cri clair et puissant.