Témoignage précaire
Publié : 16 juin 2013
Précarité/Pauvritude : même combats !
La précarité est inhérente à la vie : celle de la terre dans l'univers, celle de l'humanité sur terre, celle de l'individu qui naît, croît et meurt, comme ça, comme si de rien n'était. Ceci pourrait être une base solide à la plus grande solidarité entre les êtres vivants : mais il n'en est rien ! Il faut croire que l'illusion qu'écraser son prochain rend invincible et surtout immortel fait les choux gras de notre jungle sociale.
La pauvritude, petite sœur de la précarité, on tombe souvent dans sa marmite quand on était petit. C'est de plus en plus vrai, puisqu'elle se répand, mais c'est aussi de moins en moins vrai parce que le processus vital se fait pratiquement sans parachute aujourd'hui, même quand on a échappé à la marmite au début de l'histoire. La pauvritude, une attitude ? Celle de ne plus trouver le courage de se lever le matin pour participer à la farce, pour être le dindon, celle de se terrer dans le silence et la honte, celle de sentir la colère qui monte mais de trop savoir que sa révolte ne saura être entendue, alors de se mettre en colère contre soi, se dire : je suis un incapable ! La pauvritude, une habitude ? ça oui ! Ca le devient, il n'y a plus d'issues d'abondance, seulement la résignation, la rage, l'amertume...Tout ça parce qu'en noyant les gens dans la précarité, dans une pauvreté matérielle indécente et cruelle, on fait l'apologie de réussites tout aussi indécentes, d'hommes et de femmes incarnant à eux seuls toutes les potentialités idéales de l'être humain : la jeunesse, la beauté, l'argent, le pouvoir, le fait d'exercer une profession passionnante et d'être reconnu pour ça...C'est bien, ça, parce que ça tient les gens en haleine, ça alimente leur culpabilité de ne pas être à la hauteur de ces idéaux, mais aussi des rêves stériles de bonheur parfait (surfait) immuable, éternel.
Malheureusement pour nous, pauvres gens, la vie est la vie, et, on l'a dit : elle est précaire, c'est même une partie de sa définition. Elle est précaire mais elle est aussi dynamique, et c'est bien là que précarité et pauvritude deviennent causes de combats. Nous avons tous connu d'une manière ou d'une autre la précarité : affective, familiale, matérielle, professionnelle, psychologique, physique...Il y a des situations où toutes les précarités apparaissent (je pense surtout aux femmes qui assument le quotidien d'une famille monoparentale : pour y être passée, je sens précisément encore aujourd'hui dans mon corps les stigmates de tous les stresses que cette précarité engendre). Mais, dans le cas même d'une unique précarité, comment accepter, se relever, se construire avec cette faille, comment et où trouver de l'aide ? Les amis, la famille, les professionnels de la santé...sont là pour ça ! Ce n'est pas toujours le cas...alors, comment faire ?
J'aurais beaucoup d'anecdotes croustillantes à raconter mais celle-ci me semble assez parlante. Je suis mère de 3 enfants, dont une petite fille de 10 mois. J'ai décidé de prendre un congé parental pour l'élever (3 ans avec 380€/mois : fabuleux !). Mon mari était travailleur indépendant jusqu'en juillet dernier, mais a du arrêter sont activité car il ne pouvait plus payer le loyer de son local. Dès juin, nous sommes devenus RSAstes. Nous ne pouvions plus assumer matériellement les charges de notre logement : une vraie bonne galère comme on les aime, un beau cas de pauvritude avancé qu'on a bien cherché parce que, tout de même, c'est bien agréable, la pauvritude : c'est la seule chose sur terre dont on est sûr qu'elle ne nous quittera pas si on le souhaite, même faiblement ! Nous voilà donc hébergés par notre famille pendant deux bons mois, le temps de « rebondir ». Pendant cette période de « rebondissement », nous avons découvert le doux paradis de la charité au travers entre autre d'une épicerie sociale. C-R-O-U-S-T-I-L-L-A-N-T
Une épicerie sociale : voilà un beau concentré de précaires et de pauvres, une joie pour le cœur vaillant qui ose regarder la société en face. Mais qui était dans la salle « d'attente » de l'épicerie ? Des étrangers, des pas étrangers du tout, des mères seules avec leurs gamins, des pères seuls avec leurs gamins, des blancs, des noirs, des autres, de la tristesse dans les yeux, mais aussi de la violence, de l'animosité : « Je veux être le premier a me faire dorloté par la charité ! ». Car il y a un n° pour organiser le passage dans la caverne d'Ali Baba et les 4 donneurs : là aussi, on est un n°, on est qu'un n° ! Et l'ordre dans les n°, ça crée des tensions, forcément. Quand, oh, joie !, notre n° arrive, il faut vite pénétrer dans l'antre fameuse, prendre un caddie, se faire accompagner par un bénévole qui va « guider » nos achats parce qu'on a seulement un certain nombre de « points » à ne pas dépasser, et on va à la caisse, car là aussi, il faut payer ! Il ne faudrait tout de même pas qu'il croit, tous ces pauvres, que tout va être gratuit ! S'ils sont là, c'est qu'ils sont faignants, et assistés. J'vais t'leur apprendre la vie, moi...Voilà la traduction de l'agressivité de certains bénévoles à l'égard des précaires de l'épicerie sociale. Pour mon initiation à l'épicerie sociale, j'avais bien attendu dans la salle d'attente-frigidaire, en essayant désespérément de trouver du bon dans cette expérience (je n'ai pas réussi), j'ai bien fait le tour des denrées avec ma bénévole attitrée, et je suis bien allée à la caisse. Là, une gentille dame a commencé à me faire la causette, et je me suis dit : « Ah ! Enfin un peu d'humanité ! » Mais c'était sans compter sur la « caissière » qui m'a littéralement engueulée : « elle va avancer, là, elle voit pas qu'elle dérange tout le monde ? ». J'avance, je paie, et au moment où je paie, la dame derrière moi se fait pourrir parce qu'elle est venue une semaine trop tôt, qu'elle n'a pas le droit, que c'est honteux de profiter de la charité, etc...,etc...On ne me rend pas ma monnaie. Vient la semaine suivante. C'est mon mari qui vient à l'épicerie cette fois-là, avec l'envie d'en découdre, de voir se qui m'a tant fait pleurer une semaine avant. Il arrive à 13h, l'épicerie ouvrant à 14h. A 13h, on lui donne le n° 22 (ah bon?). Il attend devant la porte comme 5 ou 6 autres personnes. Des gens arrivent, lui passent devant. Mon mari se rebiffe, on le menace physiquement. Ainsi, il ne rentrera dans la caverne d'abondance qu'à 15h30. Là, oh joie !, il découvre à on tour les rayons alléchants de l'aide sociale, arrive à la caisse. Là, on lui dit de payer pour la dernière fois...Il ne comprend pas. La charmante « caissière » lui dit « votre femme n'a pas payé la dernière fois. Avec tout ce qu'on fait pour vous, vous devriez avoir honte !». Furieux, je vous dis, il était furieux ! Il y a de quoi : parce que, quand on est précaire et pauvre, il ne reste que ça, la dignité. Et s'entendre dire qu'on est un voleur de 3,50€, c'est tout de même le comble de la machine charitable, d'autant plus que ce n'est pas vrai et que si cette « caissière » n'avait pas engueulé la suivante une semaine avant, non seulement ils auraient bien noté dans leurs registres qu'on avait bien payé, mais on nous aurait rendu notre monnaie, non mais !
Voilà dans quelle mesquineries on se trouve quand on est définitivement précaire (c'est-à-dire pas seulement parce qu'on est en vie, mais aussi parce qu'on vit avec des gens qui ne souhaitent pas forcément que chacun ait une belle place au soleil). Voilà ce qu'on subit quand on est définitivement pauvres. Ne parlons pas à côté de ça des dossiers qui se perdent à Pôle emploi, à la CAF...ces pertes qui sonne celle parfois d'une famille entière ! Ne parlons pas à côté de ça du regard des secrétaires médicales quand on dit qu'on est à la CMU, ne parlons pas non plus des pauvres centimes qui se battent en duel au fonds de son porte-monnaie, au fonds de ses poches, au fonds de son ventre et parfois de son âme.
Alors, oui, précarité et pauvritude : même combats ! Mais quels combats ? A quoi sert-il de se battre pour rentrer dans une danse folle qui en exclura d'autres ? Ne plus être exclu et devenir le singe qui se cache les yeux, les oreilles et la bouche, avec la peur au ventre que la précarité revienne, qu'on s'en prenne un nouveau coup dans la tronche. OU non, savoir d'où on vient, l'assumer, en être presque fier parce qu'on s'est montré fort, endurant, optimiste, profond, profondément humain. Et transmettre son expérience pour que de la conscience qui naîtra peut-être chez ses interlocuteurs surviennent les premiers changements qui annoncent toujours la société de demain. Nous seront toujours précaires sur notre terre, mais nous pouvons êtres bons les uns envers les autres, se nourrir mutuellement, se sourire, créer les conditions d'un émerveillement collectif. Précaires et pauvres ont le droit de savoir que leur vie, leur vécu ont une importance énorme, inégalée : c'est le terreau où pousseront nécessairement les fleurs et les fruits futurs, c'est ce qui montre le chemin, le défi à relever pour l'être humain : que chacun ait sa place (un bon boulot qui corresponde à ses compétences), un toit (avec un petit jardin et de la lumière), de la nourriture saine et bonne (du marché), de quoi se vêtir (joliment) et se chauffer (écologiquement). N'est-ce pas l'idéal de notre « Liberté, égalité, fraternité » ?
Alors, relevons nos manches, nous sommes tous concernés, car la précarité et la pauvritude rôdent partout, tout le temps, attendant qu'une faille se dessine pour s'y engouffrer. Vous, les décideurs, ayez le cran d'avoir une vraie réflexion sur la notion de travail, sur sa répartition, sur la reconnaissance qu'on peut avoir pour ceux qui ne « travaillent » pas (enfants, parents au foyer, retraités, artistes...) mais dont la contribution à l'évolution et à l'équilibre de la société est certaine. Au fonds, qu'est-ce que le travail ? C'est la contribution d'un individu à la vie collective du groupe auquel il appartient ! C'est devenu dans notre société le seul moyen de subsistance, et il n'y a pas de travail pour tout le monde...alors, ceux qui sont privés d'emploi sont condamnés à mort !
Nous les précaires et les pauvres, remontons nos manches et osons dire haut et fort qu'elles sont nos vies, qu'elles pourraient être la vie de nos voisins demain, pour que la vérité éclate, enfin ! Il n'y a pas de honte à avoir, seulement identifier ce qui vient de nous et ce que l'on subit ! Mais le premier combat se passe à l'intérieur de nous : vaincre l'illusion qu'on nous a mis en perfusion que le bonheur (que l'on cherche tous) se trouve dans l'éternelle jeunesse, dans l'abondance de biens et dans l'apparence de l'épanouissement. La vraie vie, elle prend aux tripes, elle vient des tripes, elle est parfois sanguinolente et violente, il y a des gains, des pertes, des victoires, des échecs, des manques, des frustrations, des instants magiques suspendus dans le temps...Le quotidien d'un précaire, c'est de la vraie vie : nous ne sommes pas des icônes de la pauvritude !
Témoignage de Cécile Deméautis-Barre, précaire et pauvre parce qu'humaine
La précarité est inhérente à la vie : celle de la terre dans l'univers, celle de l'humanité sur terre, celle de l'individu qui naît, croît et meurt, comme ça, comme si de rien n'était. Ceci pourrait être une base solide à la plus grande solidarité entre les êtres vivants : mais il n'en est rien ! Il faut croire que l'illusion qu'écraser son prochain rend invincible et surtout immortel fait les choux gras de notre jungle sociale.
La pauvritude, petite sœur de la précarité, on tombe souvent dans sa marmite quand on était petit. C'est de plus en plus vrai, puisqu'elle se répand, mais c'est aussi de moins en moins vrai parce que le processus vital se fait pratiquement sans parachute aujourd'hui, même quand on a échappé à la marmite au début de l'histoire. La pauvritude, une attitude ? Celle de ne plus trouver le courage de se lever le matin pour participer à la farce, pour être le dindon, celle de se terrer dans le silence et la honte, celle de sentir la colère qui monte mais de trop savoir que sa révolte ne saura être entendue, alors de se mettre en colère contre soi, se dire : je suis un incapable ! La pauvritude, une habitude ? ça oui ! Ca le devient, il n'y a plus d'issues d'abondance, seulement la résignation, la rage, l'amertume...Tout ça parce qu'en noyant les gens dans la précarité, dans une pauvreté matérielle indécente et cruelle, on fait l'apologie de réussites tout aussi indécentes, d'hommes et de femmes incarnant à eux seuls toutes les potentialités idéales de l'être humain : la jeunesse, la beauté, l'argent, le pouvoir, le fait d'exercer une profession passionnante et d'être reconnu pour ça...C'est bien, ça, parce que ça tient les gens en haleine, ça alimente leur culpabilité de ne pas être à la hauteur de ces idéaux, mais aussi des rêves stériles de bonheur parfait (surfait) immuable, éternel.
Malheureusement pour nous, pauvres gens, la vie est la vie, et, on l'a dit : elle est précaire, c'est même une partie de sa définition. Elle est précaire mais elle est aussi dynamique, et c'est bien là que précarité et pauvritude deviennent causes de combats. Nous avons tous connu d'une manière ou d'une autre la précarité : affective, familiale, matérielle, professionnelle, psychologique, physique...Il y a des situations où toutes les précarités apparaissent (je pense surtout aux femmes qui assument le quotidien d'une famille monoparentale : pour y être passée, je sens précisément encore aujourd'hui dans mon corps les stigmates de tous les stresses que cette précarité engendre). Mais, dans le cas même d'une unique précarité, comment accepter, se relever, se construire avec cette faille, comment et où trouver de l'aide ? Les amis, la famille, les professionnels de la santé...sont là pour ça ! Ce n'est pas toujours le cas...alors, comment faire ?
J'aurais beaucoup d'anecdotes croustillantes à raconter mais celle-ci me semble assez parlante. Je suis mère de 3 enfants, dont une petite fille de 10 mois. J'ai décidé de prendre un congé parental pour l'élever (3 ans avec 380€/mois : fabuleux !). Mon mari était travailleur indépendant jusqu'en juillet dernier, mais a du arrêter sont activité car il ne pouvait plus payer le loyer de son local. Dès juin, nous sommes devenus RSAstes. Nous ne pouvions plus assumer matériellement les charges de notre logement : une vraie bonne galère comme on les aime, un beau cas de pauvritude avancé qu'on a bien cherché parce que, tout de même, c'est bien agréable, la pauvritude : c'est la seule chose sur terre dont on est sûr qu'elle ne nous quittera pas si on le souhaite, même faiblement ! Nous voilà donc hébergés par notre famille pendant deux bons mois, le temps de « rebondir ». Pendant cette période de « rebondissement », nous avons découvert le doux paradis de la charité au travers entre autre d'une épicerie sociale. C-R-O-U-S-T-I-L-L-A-N-T
Une épicerie sociale : voilà un beau concentré de précaires et de pauvres, une joie pour le cœur vaillant qui ose regarder la société en face. Mais qui était dans la salle « d'attente » de l'épicerie ? Des étrangers, des pas étrangers du tout, des mères seules avec leurs gamins, des pères seuls avec leurs gamins, des blancs, des noirs, des autres, de la tristesse dans les yeux, mais aussi de la violence, de l'animosité : « Je veux être le premier a me faire dorloté par la charité ! ». Car il y a un n° pour organiser le passage dans la caverne d'Ali Baba et les 4 donneurs : là aussi, on est un n°, on est qu'un n° ! Et l'ordre dans les n°, ça crée des tensions, forcément. Quand, oh, joie !, notre n° arrive, il faut vite pénétrer dans l'antre fameuse, prendre un caddie, se faire accompagner par un bénévole qui va « guider » nos achats parce qu'on a seulement un certain nombre de « points » à ne pas dépasser, et on va à la caisse, car là aussi, il faut payer ! Il ne faudrait tout de même pas qu'il croit, tous ces pauvres, que tout va être gratuit ! S'ils sont là, c'est qu'ils sont faignants, et assistés. J'vais t'leur apprendre la vie, moi...Voilà la traduction de l'agressivité de certains bénévoles à l'égard des précaires de l'épicerie sociale. Pour mon initiation à l'épicerie sociale, j'avais bien attendu dans la salle d'attente-frigidaire, en essayant désespérément de trouver du bon dans cette expérience (je n'ai pas réussi), j'ai bien fait le tour des denrées avec ma bénévole attitrée, et je suis bien allée à la caisse. Là, une gentille dame a commencé à me faire la causette, et je me suis dit : « Ah ! Enfin un peu d'humanité ! » Mais c'était sans compter sur la « caissière » qui m'a littéralement engueulée : « elle va avancer, là, elle voit pas qu'elle dérange tout le monde ? ». J'avance, je paie, et au moment où je paie, la dame derrière moi se fait pourrir parce qu'elle est venue une semaine trop tôt, qu'elle n'a pas le droit, que c'est honteux de profiter de la charité, etc...,etc...On ne me rend pas ma monnaie. Vient la semaine suivante. C'est mon mari qui vient à l'épicerie cette fois-là, avec l'envie d'en découdre, de voir se qui m'a tant fait pleurer une semaine avant. Il arrive à 13h, l'épicerie ouvrant à 14h. A 13h, on lui donne le n° 22 (ah bon?). Il attend devant la porte comme 5 ou 6 autres personnes. Des gens arrivent, lui passent devant. Mon mari se rebiffe, on le menace physiquement. Ainsi, il ne rentrera dans la caverne d'abondance qu'à 15h30. Là, oh joie !, il découvre à on tour les rayons alléchants de l'aide sociale, arrive à la caisse. Là, on lui dit de payer pour la dernière fois...Il ne comprend pas. La charmante « caissière » lui dit « votre femme n'a pas payé la dernière fois. Avec tout ce qu'on fait pour vous, vous devriez avoir honte !». Furieux, je vous dis, il était furieux ! Il y a de quoi : parce que, quand on est précaire et pauvre, il ne reste que ça, la dignité. Et s'entendre dire qu'on est un voleur de 3,50€, c'est tout de même le comble de la machine charitable, d'autant plus que ce n'est pas vrai et que si cette « caissière » n'avait pas engueulé la suivante une semaine avant, non seulement ils auraient bien noté dans leurs registres qu'on avait bien payé, mais on nous aurait rendu notre monnaie, non mais !
Voilà dans quelle mesquineries on se trouve quand on est définitivement précaire (c'est-à-dire pas seulement parce qu'on est en vie, mais aussi parce qu'on vit avec des gens qui ne souhaitent pas forcément que chacun ait une belle place au soleil). Voilà ce qu'on subit quand on est définitivement pauvres. Ne parlons pas à côté de ça des dossiers qui se perdent à Pôle emploi, à la CAF...ces pertes qui sonne celle parfois d'une famille entière ! Ne parlons pas à côté de ça du regard des secrétaires médicales quand on dit qu'on est à la CMU, ne parlons pas non plus des pauvres centimes qui se battent en duel au fonds de son porte-monnaie, au fonds de ses poches, au fonds de son ventre et parfois de son âme.
Alors, oui, précarité et pauvritude : même combats ! Mais quels combats ? A quoi sert-il de se battre pour rentrer dans une danse folle qui en exclura d'autres ? Ne plus être exclu et devenir le singe qui se cache les yeux, les oreilles et la bouche, avec la peur au ventre que la précarité revienne, qu'on s'en prenne un nouveau coup dans la tronche. OU non, savoir d'où on vient, l'assumer, en être presque fier parce qu'on s'est montré fort, endurant, optimiste, profond, profondément humain. Et transmettre son expérience pour que de la conscience qui naîtra peut-être chez ses interlocuteurs surviennent les premiers changements qui annoncent toujours la société de demain. Nous seront toujours précaires sur notre terre, mais nous pouvons êtres bons les uns envers les autres, se nourrir mutuellement, se sourire, créer les conditions d'un émerveillement collectif. Précaires et pauvres ont le droit de savoir que leur vie, leur vécu ont une importance énorme, inégalée : c'est le terreau où pousseront nécessairement les fleurs et les fruits futurs, c'est ce qui montre le chemin, le défi à relever pour l'être humain : que chacun ait sa place (un bon boulot qui corresponde à ses compétences), un toit (avec un petit jardin et de la lumière), de la nourriture saine et bonne (du marché), de quoi se vêtir (joliment) et se chauffer (écologiquement). N'est-ce pas l'idéal de notre « Liberté, égalité, fraternité » ?
Alors, relevons nos manches, nous sommes tous concernés, car la précarité et la pauvritude rôdent partout, tout le temps, attendant qu'une faille se dessine pour s'y engouffrer. Vous, les décideurs, ayez le cran d'avoir une vraie réflexion sur la notion de travail, sur sa répartition, sur la reconnaissance qu'on peut avoir pour ceux qui ne « travaillent » pas (enfants, parents au foyer, retraités, artistes...) mais dont la contribution à l'évolution et à l'équilibre de la société est certaine. Au fonds, qu'est-ce que le travail ? C'est la contribution d'un individu à la vie collective du groupe auquel il appartient ! C'est devenu dans notre société le seul moyen de subsistance, et il n'y a pas de travail pour tout le monde...alors, ceux qui sont privés d'emploi sont condamnés à mort !
Nous les précaires et les pauvres, remontons nos manches et osons dire haut et fort qu'elles sont nos vies, qu'elles pourraient être la vie de nos voisins demain, pour que la vérité éclate, enfin ! Il n'y a pas de honte à avoir, seulement identifier ce qui vient de nous et ce que l'on subit ! Mais le premier combat se passe à l'intérieur de nous : vaincre l'illusion qu'on nous a mis en perfusion que le bonheur (que l'on cherche tous) se trouve dans l'éternelle jeunesse, dans l'abondance de biens et dans l'apparence de l'épanouissement. La vraie vie, elle prend aux tripes, elle vient des tripes, elle est parfois sanguinolente et violente, il y a des gains, des pertes, des victoires, des échecs, des manques, des frustrations, des instants magiques suspendus dans le temps...Le quotidien d'un précaire, c'est de la vraie vie : nous ne sommes pas des icônes de la pauvritude !
Témoignage de Cécile Deméautis-Barre, précaire et pauvre parce qu'humaine