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Le "marché unique transatlantique intégré"

Publié : 29 mai 2013
par superuser
Le projet qui se concocte entre les Etats-Unis déclinants et l'Europe vacillante s'appelle «accord de partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement». Il est déjà désigné sous le vocable globisch «TTIP» : Transatlantic Trade and Investment Partnership.

De quoi nous faire tomber dans le trou ! :x
Regardons de plus près. Cette opération de libéralisation générale comporte plusieurs volets. D'abord la "suppression totale des droits de douane" sur les produits industriels et agricoles. Rien que sur ce volet "tarifaire", l'accord est dangereux pour les Européens. En effet, selon les chiffres de la Commission européenne, le taux moyen des droits de douane est de 5,2% dans l’UE et de 3,5% aux USA. Cela signifie que si les droits tombent à zéro, les USA retireront un avantage 40% supérieur à celui de l'Union européenne. Cet avantage pour les produits fabriqués aux Etats-Unis sera encore amplifié par la faiblesse du dollar par rapport à l’euro. Et ce déséquilibre sera démultiplié par la faiblesse écologique et sociale des coûts de production aux USA. Dans ces conditions, rien que par son volet quantitatif, cet accord deviendra une machine à délocalisations. Cela aggravera le chômage. La Commission reconnaît d'ailleurs pudiquement dans l'étude d'impact qu'elle a commandée que cela entraînera une «baisse importante» de l’activité et de l’emploi dans la métallurgie. Dans la métallurgie !

Vient ensuite le volet non tarifaire de l'accord. Là ce ne sont pas seulement les productions qui vont être impactées mais le contenu des réglementations des pays. Le projet de mandat appelle à "réduire les coûts résultant des différences réglementaires". Il propose de "trouver de nouveaux moyens d'empêcher les barrières non tarifaires [c'est à dire les lois], de limiter la capacité des entreprises européennes et américaines d'innover et de participer à la compétition sur les marchés mondiaux". Barroso a d'ailleurs expliqué que «80% des gains attendus de l’accord viendront de la réduction du fardeau réglementaire et de la bureaucratie». Cela signifie que les androïdes de la Commission européenne voient dans cet accord l'occasion d'aller encore plus loin que ne le fait déjà l'Union européenne dans la dérèglementation. «Le fardeau»… il fallait le trouver.

Pour libéraliser l’accès aux marchés, l’UE et les USA vont devoir faire converger leurs réglementations dans tous les secteurs car les normes plus contraignantes sont considérées comme des obstacles au libre commerce. Or, contrairement à ce qu'affirment la Commission européenne et ses perroquets libéraux et sociaux-démocrates au Parlement, les Etats-Unis et l'Europe n'ont pas "des normes d'une rigueur analogue en matière d'emploi et de protection de l'environnement". En effet, les Etats-Unis sont aujourd’hui en dehors des principaux cadres du droit international en matière écologique, sociale et culturelle. Ils ne souscrivent pas à plusieurs conventions importantes de l’OIT sur le droit du travail. Ils n'appliquent pas le protocole de Kyoto contre le réchauffement climatique. Ils refusent la convention pour la biodiversité. Ainsi que les conventions de l’Unesco sur la diversité culturelle. Autant d'engagements qui sont souscrits par les pays européens. Les standards réglementaires états-uniens sont donc dans la plupart des cas moins contraignants que ceux de l’Europe. Un marché commun libéralisé avec les Etats-Unis tirerait donc toute l’Europe vers le bas. S’il faut un exemple de ce qu’est l’état d’esprit des trusts nord-américains l’exemple vient du Bangladesh. Les trusts européens se sont accordés pour discuter des normes à appliquer, selon eux, à l’avenir pour ne pas connaitre la réédition de l’horreur qui vient de se produire. Les trusts yankees ne veulent entendre parler ni de ces discussions ni de normes d’aucune sorte. Vous voilà prévenus !

Voyons à présent d’encore plus près le tableau des dégâts en vue. Le premier impact négatif d'un tel accord sera écologique. On retrouve ici le couple infernal du productivisme et du libre échange. En effet, le projet table sur les exportations comme solution de relance de l’activité. Il s'opposera donc à toute politique de relocalisation des activités qui peut permettre la réduction de l’empreinte humaine sur l’écosphère. A l’inverse, en augmentant le trafic aérien et maritime de marchandises à travers l'atlantique, la hausse attendue des exportations fera encore grimper les émissions de gaz à effet de serre. Ne croyez pas que je fasse ici un excès de zèle sans preuve : la Commission elle-même a pris conscience du fait que la question se posait. Elle estime cette hausse limitée entre 4 et 11.000 tonnes de CO2 par an. Il ne reste plus qu’à la croire ! Mais aussi petite soit la hausse envisagée, elle sera toujours trop importante. L’Union européenne ne s'est-elle pas au contraire engagée à réduire ces émissions en général ? Ce que signe ma main gauche, ma main droite n’a pas à le savoir ?

En raison des différences de normes dont j'ai parlé, cet accord sera aussi une incitation au pire productivisme au détriment de la qualité sociale et écologique des produits. Par exemple dans la construction, les normes françaises HQE sont beaucoup plus contraignantes que les normes américaines LEED. Idem en matière de limitation de la pollution automobile ou en matière de production d’énergie. Les constructeurs automobiles français ont d'ailleurs exprimé des réserves sur l'accord. Car bien qu'insuffisants, leurs efforts pour investir dans des motorisations moins polluantes seraient ralentis et en partie ruinés par la libéralisation.

Et l’agriculture ! Là c’est l’horreur. L'accord exposerait les Européens à laisser entrer les pires productions de l'agro business états-unien : bœuf aux hormones, volailles lavées au chlore, OGM, animaux nourris aux farines animales. Sans parler du fait que les USA ont des systèmes peu contraignants de traçabilité. Et qu'ils ne connaissent même pas les «indications géographiques protégées». Ils considèrent les appellations "Bourgogne" ou "Champagne" comme des noms génériques dont l'usage commercial doit être libre. Ce qui pourrait leur permettre de commercialiser du «Champagne» produit en Californie. Et ainsi de suite. Adieu les AOC et tout l’immense et patient travail de valorisation des produits qui vont avec. Une qui va se réjouir c’est la ministre de l’université : non seulement parler anglais mais boire en même temps un Bordeaux du Tennessee !

Ce n’est pas fini. Le projet de mandat comporte quelques autres dernières mauvaises nouvelles. On y apprend que la négociation portera aussi sur "la politique de concurrence, incluant des dispositions sur les concentrations, fusions et faillites". Et à ceux qui espéraient que les services publics seraient exclus, il est bien précisé que "l'accord concernera les monopoles publics, les entreprises publiques et les entreprises à droits spécifiques ou exclusifs". L'accord vise ainsi "l'ouverture des marchés publics à tous les niveaux administratifs, national, régional et local". Vous êtes groggy déjà ? Eh bien le délire n’est pourtant pas fini. Car il est précisé qu'il devra lutter contre l'impact négatif de barrières comme les "critères de localisation". Enorme ! Exemple : impossible de promouvoir par exemple les circuits courts dans la fourniture des collectivités locales.

Comme on le devine, le volet financier est le principal dans l’esprit des promoteurs de l'accord. Il devrait porter sur l'investissement et la finance. En matière d'investissement, le mandat vise à parvenir "au plus haut niveau de libéralisation existant dans les accords de libre échange". Des mesures spécifiques de "protection des investisseurs" devront être négociées, "incluant un "régime de règlement des différends entre les Etats et les investisseurs". Derrière ces formules obscures, il s'agit de doter les investisseurs de droits spéciaux et de procédures préférentielles supranationales par rapport aux autres justiciables soumis aux droits des Etats. C'était la logique poursuivie par "l'accord multilatéral sur l'investissement", dit AMI, que les USA avaient tenté d'imposer en 1998 et qui avait été abandonné suite à des mobilisations citoyennes et le refus de la France de l'accepter. Retour par la fenêtre de ce que Jospin avait fait couler. Mais cette fois-ci, François Hollande est d’accord ! Autre bonne nouvelle pour les financiers, le projet de mandat se prononce pour une "libéralisation totale des paiements courants et des mouvements de capitaux". Voilà une aubaine pour les places financières anglo-saxonnes les moins réglementées et les plus spéculatives ! Les géants du crédit hypothécaire états-unien pourront ainsi vendre leurs crédits pourris en Europe aux mêmes conditions que dans leur pays d'origine. Que des bienfaits, on le voit !

Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'expliquer, un tel accord avec les Etats-Unis serait aussi une erreur géopolitique historique. Depuis 10 ans l'Empire a vu tous ses efforts de libéralisation commerciale mondiale bloqués à l'OMC par la résistance croissante des pays du Sud. En arrimant l'Europe à ces projets de libéralisation dans un ensemble pesant 50% de la production mondiale, les Etats-Unis essaient de reconstituer leur domination aujourd'hui en voie d'effondrement face à la Chine. Il s'agit tout simplement pour eux de pouvoir continuer à imposer leur loi au monde entier. Le projet de mandat de la Commission ne s'en cache même pas en affirmant que les règles communes fixées par l'Europe et les Etats-Unis devront "contribuer au développement de règles mondiales". Bref, cet accord a mûri en même temps que la théorie du «choc des civilisations» dont il est la traduction géopolitique.
La suite => http://www.jean-luc-melenchon.fr/2013/0 ... /#article2

Re: Le "marché unique transatlantique intégré"

Publié : 30 mai 2013
par axlib
Un sujet complexe de géopolitique qui n'a suscité aucune réponse.... et pourtant ce projet va considérablement impacter le modèle Européen, que ce soit au niveau social, environnemental ou sociétal.
Ça n'est pas parce qu 'aucun média n'en parle, qu'il ne faut pas s'emparer de ce sujet ultra sensible.
Merci a Sophie de l'avoir soulevé.

Re: Le "marché unique transatlantique intégré"

Publié : 30 mai 2013
par bebert
Sois prudente Sophie quand tu soulèves de gros sujets comme çà... Tu n'as plus vingt ans... :lol:

Malheureusement, a part communiquer, on ne peut pas faire grand chose...

Re: Le "marché unique transatlantique intégré"

Publié : 30 mai 2013
par Invité
Le transatlantique est en train de couler, ce n'est pas le moment de nous arrimer à lui.