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Napoléon le Petit, Victor Hugo 1851 - Similitude NS

Publié : 18 juil. 2008
par Pili
Bonsoir,

Certains de vous connaissez sans doute ce texte, mais je ne résiste pas à le mettre, il est aussi sur Reno'. A lire

Trop proche du portrait de qui nous savons, l'affairisme, l'intrigue, la corruption

Dommage qui nous n'avons pas un aussi bon pamphlétiste de la trempe de Victor Hugo qui s'est exposé au nom de ces convictions et de ces combats d'homme de liberté
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Napoléon le Petit, Victor Hugo 1851

En janvier 1852, signe le décret d'expulsion de Victor Hugo qui s'est violemment opposé au coup d'État du 2 décembre 1851. Réfugié à Bruxelles, Victor Hugo lui répond en août 1852 par la publication d'un texte de combat, Napoléon le Petit, l'un des plus brillants pamphlets politiques jamais écrits contre un despote. Le livre n'était plus disponible en France depuis une quarantaine d'années, aussi l'universitaire hugolien Jean-Marc Hovasse a-t-il eu la bonne idée de publier chez Actes-Sud une nouvelle édition critique de ce magnifique cri de colère et d'indignation qui n'est pas sans résonances avec l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy en cette année 2007. Extraits:

(.../...)
Livre Premier: L'HOMME

VII. Pour faire suite aux panégyriques

Il a réussi. Il en résulte que les apothéoses ne lui manquent pas. Des panégyristes, il en a plus que Trajan. Une chose me frappe pourtant, c'est que dans toutes les qualités qu'on lui reconnaît depuis le 2 décembre, dans tous les éloges qu'on lui adresse, il n'y a pas un mot qui sorte de ceci: habileté, sang-froid, audace, adresse, affaire admirablement préparée et conduite, instant bien choisi, secret bien gardé, mesures bien prises. Fausses clefs bien faites.
Tout est là. Quand ces choses sont dites, tout est dit, à part quelques phrases sur la "clémence", et encore est-ce qu'on n'a pas loué la magnanimité de Mandrin qui, quelquefois, ne prenait pas tout l'argent, et de Jean l'Écorcheur qui, quelquefois, ne tuait pas tous les voyageurs !
(.../...)
Quand on mesure l'homme et qu'on le trouve si petit, et qu'ensuite on mesure le succès et qu'on le trouve si énorme, il est impossible que l'esprit n'éprouve pas quelque surprise.

On se demande: comment a-t-il fait ? On décompose l'aventure et l'aventurier, et, en laissant à part le parti qu'il tire de son nom et certains faits extérieurs dont il s'est aidé dans son escalade, on ne trouve au fond de l'homme et de son procédé que deux choses: la ruse et l'argent.

La ruse: nous avons caractérisé déjà ce grand côté de Louis Bonaparte, mais il est utile d'y insister.

Le 27 novembre 1848, il disait à ses concitoyens dans son manifeste:
"Je me sens obligé de vous faire connaître mes sentiments et mes principes. Il ne faut pas qu'il y ait d'équivoque entre vous et moi. Je ne suis pas un ambitieux... Élevé dans les pays libres, à l'école du malheur, je resterai toujours fidèle aux devoirs que m'imposeront vos suffrages et les volontés de l'Assemblée.
"Je mettrai mon honneur à laisser, au bout de quatre ans, à mon successeur, le pouvoir affermi, la liberté intacte, un progrès réel accompli."
Le 31 décembre 1849, dans son premier message à l'Assemblée, il écrivait: "Je veux être digne de la confiance de la nation en maintenant la Constitution que j'ai jurée. "
Le 12 novembre 1850 dans son second message annuel à l'Assemblée il disait: "Si la Constitution renferme des vices et des dangers, vous êtes tous libres de les faire ressortir aux yeux du pays; moi seul, lié par mon serment, je me renferme dans les strictes limites qu'elle a tracées. "
Le 4 septembre de la même année, à Caen, il disait: "Lorsque partout la prospérité semble renaître, il serait bien coupable, celui qui tenterait d'en arrêter l'essor par le changement de ce qui existe aujourd'hui.
"Quelque temps auparavant, le 22 juillet 1849, lors de l'inauguration du chemin de fer de Saint-Quentin, il était allé à Ham, il s'était frappé la poitrine devant les souvenirs de Boulogne, et il avait prononcé ces paroles solennelles:
"Aujourd'hui qu'élu par la France entière je suis devenu le chef légitime de cette grande nation, je ne saurais me glorifier d'une captivité qui avait pour cause l'attaque contre un gouvernement régulier.

"Quand on a vu combien les révolutions les plus justes entraînent de maux après elles, on comprend à peine l'audace d'avoir voulu assumer sur soi la terrible responsabilité d'un changement; je ne me plains donc pas d'avoir expié ici, par un emprisonnement de six années, ma témérité contre les lois de ma patrie, et c'est avec bonheur que, dans ces lieux mêmes où j'ai souffert, je vous propose un toast en l'honneur des hommes qui sont déterminés, malgré leurs convictions, à respecter les institutions de leur pays."
(.../...)
Vers la mi-novembre 1851, le représentant F..., élyséen, dînait chez M. Bonaparte:
- Que dit-on dans Paris et à l'Assemblée ? demanda le président au représentant.
Hé, prince !
- Eh bien ?
- On parle toujours...
- De quoi ?
- Du coup d'État.
- Et l'Assemblée, y croit-elle ?
- Un peu, prince.
- Et vous ?
- Moi, pas du tout.
Louis Bonaparte prit vivement les deux mains de M. F..., et lui dit avec attendrissement:
- Je vous remercie, monsieur F..., vous, du moins, vous ne me croyez pas un coquin !
Ceci se passait quinze jours avant le 2 décembre.
A cette époque, et dans ce moment-là même, de l'aveu du complice Maupas, on préparait Mazas.

L'argent : c'est là l'autre force de M. Bonaparte.

(.../...)
L'argent, et avec l'argent l'orgie, ce fut là son moyen d'action dans ses trois entreprises, à Strasbourg, à Boulogne, à Paris. Deux avortements, un succès. Magnan, qui se refusa à Boulogne, se vendit à Paris. Si Louis Bonaparte avait été vaincu le 2 décembre, de même qu'on avait trouvé sur lui, à Boulogne, les cinq cent mille francs de Londres, on aurait trouvé à l'Élysée les vingt-cinq millions de la Banque.

Il y a donc eu en France, il faut en venir à parler froidement de ces choses, en France, dans ce pays de l'épée, dans ce pays des chevaliers, dans ce pays de Hoche, de Drouot et de Bayard, il y a eu un jour où un homme, entouré de cinq ou six grecs politiques, experts en guets-apens et maquignons de coups d'État, accoudé dans un cabinet doré, les pieds sur les chenets, le cigare à la bouche, a tarifé l'honneur militaire, l'a pesé dans un trébuchet comme denrée, comme chose vendable et achetable, a estimé le général un million et le soldat un louis, et a dit de la conscience de l'armée française: cela vaut tant.

Et cet homme est le neveu de l'empereur.
Du reste, ce neveu n'est pas superbe; il sait s'accommoder aux nécessités de ses aventures, et il prend facilement et sans révolte le pli quelconque de la destinée. Mettez-le à Londres, et qu'il ait intérêt à complaire au gouvernement anglais, il n'hésitera point, et de cette même main qui veut saisir le sceptre de Charlemagne, il empoignera le bâton du policeman. Si je n'étais Napoléon, je voudrais être Vidocq.

Et maintenant la pensée s'arrête.

Et voilà par quel homme la France est gouvernée ! Que dis-je, gouvernée ? possédée souverainement !


Et chaque jour, et tous les matins, par ses décrets, par ses messages, par ses harangues, par toutes les fatuités inouïes qu'il étale dans le Moniteur, cet émigré, qui ne connaît pas la France, fait la leçon à la France ! et ce faquin dit à la France qu'il l'a sauvée !

Et de qui ? d'elle-même ! Avant lui la providence ne faisait que des sottises; le bon Dieu l'a attendu pour tout remettre en ordre; enfin il est venu !
Depuis trente-six ans il y avait en France toutes sortes de choses pernicieuses: cette "sonorité", la tribune; ce vacarme, la presse; cette insolence, la pensée; cet abus criant, la liberté; il est venu, lui, et à la place de la tribune il a mis le sénat; à la place de la presse, la censure; à la place de la pensée, l'ineptie; à la place de la liberté, le sabre; et de par le sabre, la censure, l'ineptie et le sénat, la France est sauvée ! Sauvée, bravo ! et de qui, je le répète ? d'elle-même; car, qu'était-ce que la France, s'il vous plaît ? c'était une peuplade de pillards, de voleurs, de jacques, d'assassins et de démagogues. Il a fallu la lier, cette forcenée, cette France, et c'est- M. Bonaparte Louis qui lui a mis les poucettes.

Maintenant elle est au cachot, à la diète, au pain et à l'eau, punie, humiliée, garrottée, sous bonne garde; soyez tranquilles, le sieur Bonaparte, gendarme à la résidence de l'Élysée, en répond à l'Europe; il en fait son affaire; cette misérable France a la camisole de force, et si elle bouge:... - Ah ! qu'est-ce que c'est que ce spectacle-là ? qu'est-ce que c'est que ce rêve-là ? qu'est-ce que c'est que ce cauchemar-là ? d'un côté une nation, la première des nations, et de l'autre un homme, le dernier des hommes, et voilà ce que cet homme fait à cette nation ! Quoi ! il la foule aux pieds, il lui rit au nez, il la raille, il la brave, il la nie, il l'insulte, il la bafoue ! Quoi ! il dit: il n'y a que moi ! Quoi ! dans ce pays de France où l'on ne pourrait pas souffleter un homme, on peut souffleter le peuple ! Ah ! quelle abominable honte ! chaque fois que M. Bonaparte crache, il faut que tous les visages s'essuient ! Et cela pourrait durer ! et vous me dites que cela durera ! non ! non ! non ! par tout le sang que nous avons tous dans les veines, non ! cela ne durera pas ! Ah ! si cela durait, c'est qu'en effet il n'y aurait pas de Dieu dans le ciel, ou qu'il n'y aurait plus de France sur la terre !
[...]


Source :
http://www.republique-des-lettres.fr/16 ... r-hugo.php
Extrait du site La République des Lettres

Publié : 18 juil. 2008
par maguy
Ahhhhhhh Victor :lol: :lol:

Je mets ce lien vers la version complète de ses Châtiments

Faut dire qu'en plus de 20 ans d'exil, il a eu le temps de peaufiner sa colère, son dégoût, son mépris

Un nain est toujours petit, eût-il une montagne pour piédestal.
Sénèque

Publié : 18 juil. 2008
par Pili
Merci Maguy pour le lien :wink:
Faut dire qu'en plus de 20 ans d'exil, il a eu le temps de peaufiner sa colère, son dégoût, son mépris
...et son écriture, magnifique de justesse, véritable arme de résistance...et de combat

Publié : 04 août 2008
par maguy
Ce cher vieux Victor, que je vais visiter quand je cherche des références dans le passé du 19è pour ce qu'on nous fait !

Extraits de l'Année Terrible 1971

" Et moi, l'homme éculé d'autrefois, l'ancien pitre,
Je serai, par-dessus tous les sceptres, l'arbitre ;
Et j'aurai cette gloire, à peu près sans débats,
D'être le Tout-Puissant et le Très-Haut d'en bas.
./.
Jusqu'ici j'ai dompté le hasard ébloui ;
J'en ai fait mon complice, et la fraude est ma femme.
J'ai vaincu, quoique lâche, et brillé, quoique infâme
./.
En avant ! j'ai Paris, donc j'ai le genre humain.
Tout me sourit, pourquoi m'arrêter en chemin ?
Il ne me reste plus à gagner que le quine.
Continuons, la chance étant une coquine.
L'univers m'appartient, je le veux, il me plaît ;
Ce noir globe étoffé tient sous mon gobelet.
J'escamotai la France, escamotons l'Europe.
Décembre est mon manteau, l'ombre est mon enveloppe ;
Les aigles sont partis, je n'ai que les faucons ;
Mais n'importe ! Il fait nuit. J'en profite. Attaquons
./.
Celui qui pèse tout voulut montrer au monde,
Après la grande fin, l'écroulement immonde,
Pour que le genre humain reçût une leçon,
Pour qu'il eût le mépris ayant eu le frisson,
Pour qu'après l'épopée on eût la parodie,
Et pour que nous vissions ce qu'une tragédie
Peut contenir d'horreur, de cendre et de néant
Quand c'est un nain qui fait la chute d'un géant.
Cet homme étant le crime, il était nécessaire
Que tout le misérable eût toute la misère,
Et qu'il eût à jamais le deuil pour piédestal ;
Il fallait que la fin de cet escroc fatal
Par qui le guet-apens jusqu'à l'empire monte
Fût telle que la boue elle-même en eût honte,
Et que César, flairé des chiens avec dégoût,
Donnât, en y tombant, la nausée à l'égout."