Salut,
J'apporte ma pierre à partir de l'expérience de mon asso de chômeurs et précaires dans une petite ville. C'est une question qui me taraude depuis longtemps.
Nous avons des histoires en communs, forcément des parcours professionnels, des embûches communes... nous sommes tout autant que quiconque capables de mettre en mouvement des pratiques militantes, d'élaborer par nos idées des propositions et nous mobiliser pour nous exprimer haut et fort !
Les chômeurs sont-ils une catégorie ?
Je crois qu'on se trompe si on attend une mobilisation par catégories sociales : lycéens, cheminots, avocats, chômeurs... Une mobilisation se fait ensemble et pas par catégories sociales et/ou socio-professionnelles. C'est là où ceux et celles qui sont contre gagnent parce que telle catégorie sociale qui fait grève ou manifeste empêche une autre catégorie sociale de travailler par exemple. Et tant que nous continuerons à voir le problème sous cet angle, nous serons perdants.
Un "nous" n'est pas une multitude de groupes qui s'accumule au détriment des autres.
Quels types de personnes rencontrons-nous dans une asso de chômeurs ?
Maintenant, il faudrait savoir ce qu'on appelle chômeurs aussi et qui ils sont. Il y a des différentes catégories, je vais poser l'énumération générale faite lors de la dernière AG de notre asso :
- La personne laminée par la société et dont les capacités de défense sont fortement réduites.
- La personne possédant encore des ressources mais dont le chemin vers l'ouverture de droits au RMI ou à un autre minimum social constitue un passage, une disqualification intense et, en conséquence, une certaine forme d'injustice.
- La personne possédant de bonnes ressources. Généralement, cette dernière utilise l'association comme un levier, un point d'appui sur une période déterminée parce qu'elle en a besoin puis nous ne la voyons plus.
- Des militants de toutes sortes qui aimeraient bien faire autre chose qu'une simple association de chômeurs.
- Et puis il y a ceux, celles que nous ne voyons jamais ou que la simple mention d'une asso de chômeurs fait office de repoussoir.
Il n'y a pas une population homogène de chômeurs identifiable comme une catégorie socio-professionnelle. Croire que les chômeurs représentent une catégorie sociale propre, c'est se tromper et se voiler la face.
Ceux, celles qui viennent se renseigner sur la prime de noël se renseignent afin d'avoir un petit pécule pour noël et s'offrir une fête pas trop cassée. Peut-on leur reprocher cette humanité-là ?
Volonté militante et volonté du chômeur
Il faut aussi noter que la volonté militante n'est pas la même que la volonté du chômeur qui se sert d'une asso de chômeurs comme un centre de ressources. Beaucoup confondent les deux et certains/nes militantEs se complaisent dans cette confusion et espèrent récupérer les tracas du chômeur dans une contestation plus large et globale or ce n'est pas ce qu'il se passe dans la réalité.
J'ai vu et je continue à voir des militants passer par plein de systèmes associatifs, de comités, etc, avec, à chaque fois, les mêmes idées, les mêmes concepts et changer de d'association ou de comité parce que leurs idées ne se marient pas exactement avec la réalité de tel association ou comité.
Ce qui veut dire que le militant pur et dur ne prend pas en compte la réalité à laquelle il se confronte et avance toujours les mêmes idées sans faire attention que ces idées ne sont pas ou plus en phase avec la réalité. Et il finit par se retrouver à deux, trois, quatre, etc suite à une divergence entre personnes lesquelles formaient, avant, un groupe de dix personnes. Autant rire de cela... Bien sûr cela n'est pas vrai pour tout le monde...
Une asso de chômeurs, est-ce un syndicat de chômeurs ?
Autre point. Beaucoup aimeraient voir une asso de chômeurs comme un syndicat de chômeurs d'anciens travailleurs après tout il y a bien le comité de chômeurs de la CGT.
Toutefois on se demande bien quelle catégorie de travailleur il acceptera : celui qui est au RMI (Revenu Minimum d'Insertion), celle qui perçoit l'AAH (Allocation Adulte Handicapée), le sans papier qui peine soit à trouver l'équivalence de ces diplômes en France et qui accepte mal de se retrouver dans une situation précaire alors que dans son ancien pays il avait un statut soit qui fuit une situation difficile, le sdf qui a tout perdu, le cadre qui vient de subir un plan social et qui se retrouve au chômage, le travailleur précaire en contrat aidé (voir l'exemple de l'affaire fanny expliquée sur ce site.), le travailleur précaire en intérim, le licencié de la petite entreprise qui n'a pas de représentation syndicale et qui se demande bien ce qu'il fout dans une asso de chômeurs, le grand diplômé qui vient dans une association de chômeurs afin de justifier ses démarches auprès de l'anpe (si, si j'en ai eu des super diplômés qui ont travaillé dans les centrales nucléaires), le senior qui ne retrouve pas de travail ou l'intermittent/artiste en attente d'une nouveau contrat ou d'une vente éventuelle de ces oeuvres et qui se fait menacer par la commission locale d'insertion du RMI qui ne le considère pas comme un/une artiste ?
Que défendra-t-il, ce syndicat, et quelles seront ces revendications ? Et avec qui il négociera et sur quelles bases ? Y a-t-il même une possibilité de négociation quand les assos de chômeurs n'ont aucun droit de regard sur les négociations de l'unédic par exemple ?!
Une asso de chômeurs est contre quoi au juste ?
Les médias font, parfois, jouer un rôle aux assos de chômeurs que je trouve détestable comme si le fait qu'il y ait une proposition de loi il fallait
nécessairement, et j'insiste sur ce jugement, qu'elle soit contre.
A force de vouloir être contre ou le fait que les médias font jouer ce rôle-là à ces associations nous finissons par croire à la réalité de ce contre, de cette stature qui est qu'une association de chômeurs est forcément contre. Mais contre quoi ?
Et c'est là tout le problème. Une loi apparaît ou un projet de loi et, hop, l'asso ou le comité est forcément contre parce qu'il doit en être ainsi. Ce qui fait que nous nous noyons, parfois, dans une argumentation rhétorique que nous ne maîtrisons pas toujours.
Pourquoi cela ? Parce que derrière le
contre il y a le
dire et qu'il faut bien
dire quelque chose même quand on a rien à dire. Nous ne nous méfions plus assez du fait construit par ce
dire.
Or les médias ont tout intérêt à faire dire sans que nous prenions conscience de sa portée réelle parce qu'il faut informer, expliquer quand bien même certains arguments sont tarabiscotés et tirés par les cheveux (voir le dire perpétuel de notre président actuel) et remplir, remplir des tas et des tas de pages, d'interviews, etc.
Conclusion
En prenant en compte la question du
dire, on peut remonter assez facilement la construction, l'argumentation qui pousse à croire que les chômeurs sont une catégorie spécifique et qu'ils ont quelque chose de commun alors qu'en fait non.
Je suis un militant mais je ne me présente pas comme un chômeur ou un titulaire du RMI ou tout autre catégorie de ce type. Dans une manif, je connais mon camp et je sais où je suis et avec qui je traîne. Un chômeur ne le sait pas et je ne suis pas certain que ce même chômeur partage mes idées. Toutefois, dans une manif, le "je" disparait pour devenir un "nous" relatif parce que chaque groupe possède son identité propre et son ordre de passage dans une manif...
Le "nous", la communauté existe de fait. Vouloir, à tout prix en faire un groupe ou une catégorie me laisse dubitatif et rêveur... Et explique, en même temps, l'échec de la mobilisation de ce fameux groupe virtuel qui peine à se (re)trouver dans la réalité comme l'explique Yves : "les chômeurs".