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"On banalise la pauvreté" de Philippe Bergeon

Publié : 15 janv. 2012
par Mentor
Philippe Bergeon, sociologue à l’Université de Poitiers, pose un regard sur ce qu’il nomme la “ banalisation et dépolitisation de la pauvreté ”.

Sociologue et membre de l'équipe de recherche GRESCO (*) à l'université de Poitiers, Philippe Bergeon enrichit son travail de terrain sur la thématique « des chômeurs et des dispositifs d'insertion ». Depuis trois ans, il suit 23 jeunes âgés entre 25 et 30 ans « qui sont sortis sans diplôme du système scolaire ». Si les conclusions de cette étude ne seront dévoilées qu'à la fin de l'année, ce travail d'enquête permet à Philippe Bergeon de poser un regard sur un champ de notre société, celui de la précarité du chômage et de l'insertion.

Pourquoi en parler maintenant ?

« Il y a eu un événement déclencheur : l'appel des grandes associations caritatives auprès des grands distributeurs pour compléter la campagne d'hiver. »

Vous faites référence aux Restos du cœur ?

« On voit bien que les besoins augmentent de 5 % par an. Les Restos du cœur, à eux seuls, assurent la distribution de 110 millions de repas pour 900.000 bénéficiaires cette année ; plus 10 % par rapport à l'année dernière. Cela représente une dérive. On sait que le mouvement caritatif, tout en permettant aux gens de survivre, a comme effet de banaliser la pauvreté. De la dépolitiser. »

Les politiques se désengageraient totalement ?

« Avec ces collectes d'alimentation dans les grands magasins, il y a une espèce de purge collective pour pleurer un petit coup et puis, tout de suite après, oublier. Ce grand barnum caritatif contribue à dépolitiser une question éminemment politique. Ça veut dire ceci : le fait que des individus qui appartiennent à des groupes qui n'ont pas de capitaux suffisants ont très peu de chance d'accéder à une place dans notre société. Les grandes associations n'ont de légitimité que lorsqu'elles peuvent initier des contre-pouvoirs pour les plus démunis. »

Vous faites aussi un autre constat cinglant à travers votre livre.

« Le deuxième versant de la pauvreté, c'est le marché des professionnels. Aujourd'hui la pauvreté occupe 3 à 400.000 intervenants sociaux. Il y a un gros décalage entre le discours qui paraît humaniste et les réseaux qui défendent leur territoire. Le sort des plus démunis est devenu secondaire. Il y a aussi une dérive dans les modes de collaboration avec eux qui se passent de chaque côté du bureau. On isole chaque chômeur. Le modèle, dans ces réseaux-là, c'est de considérer que si les individus sont pauvres, c'est qu'ils dysfonctionnent dans leurs rapports à la société. Il y a une psychologisation des chômeurs. Le problème de ces réseaux, c'est leur impuissance. Ils ne permettent plus aux démunis d'accéder à des formations qualifiantes. A la place, ils envoient les précaires vers des niches d'activité qu'ils ne connaissent pas : nettoyage, bâtiment, espaces verts, transports. Il y a une grande distance – culturelle – entre les travailleurs sociaux et le « sous-prolétariat ». Le chômeur est devenu un malade. »

(*) Groupe de Recherche et d'études sociologique du Centre-Ouest.

« A quoi servent les professionnels de l'insertion ? » aux éditions L'Harmattan. Le livre est disponible sur Internet et dans les librairies.
Propos recueillis par Marie-Laure Aveline - La Nouvelle République du 15/01/2012

Re: "On banalise la pauvreté" de Philippe Bergeon

Publié : 15 janv. 2012
par maguy
Un truc me gêne dans ce discours
Depuis trois ans, il suit 23 jeunes âgés entre 25 et 30 ans « qui sont sortis sans diplôme du système scolaire ».
Ils sont chômeurs parce qu'ils sont sortis dans diplôme de l'école, et blabla...

Que fait-il de tous ces jeunes qui sortent du système, très diplômés avec souvent à la clé de gros sacrifices des parents, et qui ne trouvent rien, à part des mini-stages et encore quand ils en trouvent.

On en revient toujours à une forme de méritocratie.

D'ailleurs, qu'entend-il par "suivre" ? Fais ceci, fais pas ça. Mais bon il a un livre à vendre en voulant expliquer aux chômeurs et autres exclus du gâteau qu'ils font vivre un tas de gens. Merci, on ne savait pas.

Re: "On banalise la pauvreté" de Philippe Bergeon

Publié : 15 janv. 2012
par Mentor
Maguy,

Tes remarques sont pertinentes...

Je pense néanmoins qu'il dénonce "ces professionnels de l'insertion ou de l'accompagnement" des précaires, pauvres, chômeurs, jeunes avec ou sans diplôme, séniors...etc, qui se disputent entre eux le "marché économique" et font passer les "bénéficiaires" au second plan... [c'est du moins ce que je crois comprendre :wink: ]

Je vais me procurer le livre...si tu es intéressée je te le ferai passer...

Amitiés,

Vincent

PS : comme il est sur Poitiers, je vais essayer de le rencontrer. Si vous avez une question à lui poser, n'hésitez pas à me la communiquer...

Re: "On banalise la pauvreté" de Philippe Bergeon

Publié : 15 janv. 2012
par maguy
il dénonce "ces professionnels de l'insertion ou de l'accompagnement" des précaires, pauvres, chômeurs, jeunes avec ou sans diplôme, séniors...etc, qui se disputent entre eux le "marché économique" et font passer les "bénéficiaires" au second plan..
Bien sûr, je l'avais compris ainsi, mais nous dénonçons ce genre de professionnels qui vivent de la misère des autres à longueur de forum.

Non, ce qui m'ennuie est ce côté "dame patronnesse" qui fait sa B.A. en "suivant" quelques jeunes sans diplôme. Ou bien la journaliste a mal saisi ou bien elle est très maladroite dans sa formulation.

Sinon, je me demande qui aura envie de lire son livre. Les chômeurs, je ne pense pas et les politiques, ils sont parfaitement au courant puisque la non-assistance de personnes en danger (besoins primaires, santé) est organisée par eux-mêmes !

Re: "On banalise la pauvreté" de Philippe Bergeon

Publié : 15 janv. 2012
par tristesir
On isole chaque chômeur. Le modèle, dans ces réseaux-là, c'est de considérer que si les individus sont pauvres, c'est qu'ils dysfonctionnent dans leurs rapports à la société.
Une autre façon de signifier que si les gens sont au chômage c'est leur faute. :twisted:
Avec ces collectes d'alimentation dans les grands magasins, il y a une espèce de purge collective pour pleurer un petit coup et puis, tout de suite après, oublier. Ce grand barnum caritatif contribue à dépolitiser une question éminemment politique.
C'est bien le but. "La privatisation" de ce qui relève de l'intérêt général. Certaines personnes mangent parce que d'autres ont décidé qu'elles pouvaient manger mais elles pourraient changer d'avis, selon leur bon vouloir, et les laisser crever.

Re: "On banalise la pauvreté" de Philippe Bergeon

Publié : 16 janv. 2012
par Jeremy62
Je pense que lorsqu'un sociologue parle de "suivre" il faut comprendre par-là qu'il rencontre son public un maximum de temps, c'est-à-dire qu'il ne se contente pas de théoriser dans son bureau, il s'entretient avec lui, il l'accompagne, l'interroge..l'observation participante, on appelle cela. En aucun cas il doit se permettre d'orienter ou d'influencer la destinée, ou les désirs de ce public, il les commente et les replace dans des problématiques plus générales, il les conceptualise. Ben oui, cela fait partie aussi du boulot des sociologues. La sociologie est également une relecture de la société sous d'autres angles - que ceux des médias, du politique, de l'institution -, en prenant en compte des choses qui au premier regard n'ont pas forcément de rapport entre elles, par exemple la division sexuée du travail et son rapport à la démocratie locale...c'n'est qu'un exemple. Bref, tout ça pour dire qu'il ne faut pas avoir peur de tout ce qui se termine par -logue. Surtout du socio-logue. On adhère ou pas mais je pense que c'est une catégorie socio-professionnelle généralement curieuse et axée sur le débat, le partage des idées...ouverte, en somme.

Re: "On banalise la pauvreté" de Philippe Bergeon

Publié : 16 janv. 2012
par maguy
Bref, tout ça pour dire qu'il ne faut pas avoir peur de tout ce qui se termine par -logue.
Mmmouais, restent que les machins en -logue ont rarement le sens pratique. Si le sociologue se contente de tenir la mimine et de tapoter l'épaule, bof...

Re: "On banalise la pauvreté" de Philippe Bergeon

Publié : 16 janv. 2012
par Jeremy62
Bah je pense pas non plus, le socio-logue, il fait de l'investigation, il met en exergue bien souvent les dysfonctionnements de notre chère société - et cela passe par une pratique de terrain, donc il doit mettre ses chaussures, et ses gants - il fait froid et il n'a pas toujours de gants, des socio-pauvres, ça existe aussi. Je pense que c'est un boulot qui se doit d'être toujours en phase avec la société qu'il cotoie, qu'il défend et qu'il critique parfois. J'en connais quelques-uns, quelques-unes, qui sont passionnant-e-s, par leur vécu, leur façon d'expliquer la société et leur façon d'être - modeste, humble, toujours à l'écoute... Mais on entend plus souvent le politicien ou le journaliste "très engagé"...c'est sûr...

Additif...

Publié : 16 janv. 2012
par Mentor
Il semblerait qu'il s'agisse de Philippe Brégeon et non "Bergeon" comme indiqué dans l'article de presse... :wink:

Re: "On banalise la pauvreté" de Philippe Bergeon

Publié : 16 janv. 2012
par zypos
Philippe Bergeron est sociologue à l'Université de Poitiers : En un mot il faut bien qu'il justifie son rôle en pubbliant une ênième étude qui nous apprandra rien de bien nouveau..... Ce qui me gêne c'est le clicher de cette étude : des jeunes sans diplôme .... Il parle des Restos du coeur , mais il ferais mieux d'aller y faire un tours , il s'appercevrais que ceux qui les fréquente sont parfois d'âge mur.... La pauvreté ce n'est pas une question d'âge ; il pourrais s'appercevoir que même ceux qui ont travailler longtemps peuvent tomber dans la pauvreté...
Comme souvent Universitaire ; Assistance Sociale et autres professionnel avec l'ora de leur savoir s'errige en maitre à penser !
Personellement je refuse ce dictat .

Re: "On banalise la pauvreté" de Philippe Bergeon

Publié : 16 janv. 2012
par maguy
l ferais mieux d'aller y faire un tours , il s'appercevrais que ceux qui les fréquente sont parfois d'âge mur....
Il y trouverait même des gens diplômés, propres sur eux, s'exprimant correctement...

Re: "On banalise la pauvreté" de Philippe Bergeon

Publié : 16 janv. 2012
par RaoulPiconBière
Vous êtes bien sévères certains, il faut relativiser :
...... Si les conclusions de cette étude ne seront dévoilées qu'à la fin de l'année, ce travail d'enquête permet à Philippe Bergeon de poser un regard .....
Quand même, il n'a pas tort : On banalise la pauvreté !
Il y a un gros décalage entre le discours qui paraît humaniste et les réseaux qui défendent leur territoire.


Dans les media, la crise c'est : comment faire des économies ? .
Personne pour se demander : comment survivre avec 400€ ? et quand on parle des Resto's c'est seulement pour culpabiliser le bobobio.
Dans les media, la crise c'est celle de ceux qui doivent se priver dans leur consomation et pas la crise de ceux qui sont privés de consomation.
Les pauvres ont disparus ...

Re: "On banalise la pauvreté" de Philippe Bergeon

Publié : 17 janv. 2012
par Jeremy62
Je n'ai pas lu son bouquin mais les quelques grandes lignes qu'il développe dans le questions/réponses du premier commentaire sont cohérents avec la réalité. Je vais faire jouer de mon interprétation : il s'intéresse vraisemblablement à ces jeunes sans diplômes parce que justement nous sommes toujours dans une société qui valorise la réussite, et notamment la réussite scolaire, et le diplôme. Il est intéressant, d'ailleurs, de constater que c'est une politique appliquée par Pôle-Emploi, qui finance justement des formations - et constitue un plébiscite assez fort envers les jeunes demandeurs d'emploi et les moins jeunes: les formations professionnelles et diplômantes, notamment celles concernant l'artisanat et les licences professionnelles. Ce sont des métiers "sous-tension" où il existerait une demande du point de vue des recruteurs. Pôle-Emploi n'est pas "anti-formation" il est juste intéressé par les formations rapides qui débouchent sur un emploi, pas toujours bien rémunéré, mais suffisant pour amoindrir les statistiques du chômage.
Je peux illustrer ceci par deux exemples personnels. La première concerne ma nièce, diplôme de licence d'économie en poche, et son petit ami, diplôme d'expert-comptable, in ze pocket aussi. Tous deux ayant terminé leurs études respectives et désirant vite intégrer la vie active. L'idée de l'artisanat leur plaisait bien, ils s'inscrivent tous les deux en CAP/BEP Boulangerie-Pâtisserie, leur formation complète est payée mais ils sortent donc diplômés mais sans pognon pour ouvrir leur boulangerie, enfin, sans perspective de financement, ou d'aide à l'installation. L'Etat leur arrange, comme à tous les artisants ou commerçants je suppose, une fiscalité allégée pendant quelques temps, mais absolument aucune aide pour l'achat des outils etc. Cette aide aurait été possible s'ils avaient décidé de s'installer en Zone Urbaine ... je ne sais plus quoi, bref, s'ils avaient décidé de s'installer sur un territoire ciblé par l'Etat en termes de pauvreté, de niveau de vie des habitants, en termes aussi de décrochage scolaire, de délinquance, etc. Il y a bien une cause à effet : une aide à l'investissement pour les petites entreprises si elles intègrent un territoire défini institutionnellement et critérisé en termes de pauvreté, de décrochages de diverses natures... Sinon, rien, aucune aide.
Le deuxième exemple est le mien. Je suis né dans une de ces "zones à risques", j'y ai presque toujours vécu. Cette "zone" est aussi ciblée par l'Etat en termes de réaménagement urbain, de "redéfinition du lien social", de "politique de l'emploi"... Et tout récemment, je l'ai expliqué dans un autre article sur Actuchomage, j'ai rencontré quelques difficultés à faire valoir mon entrée en formation, de type Master, auprès de Pôle Emploi, qui n'était pas chaud pour me laisser faire. Dans cette "zone" où je vis, le chômage côtoie toujours les 40% de la population, notamment la "jeune" population. C'est une Zone Urbaine...ciblée par l'économie où prochainement, plusieurs boutiques devraient ouvrir, ainsi qu'une salle de spectacles et...un commissariat. En valorisant cet aspect là de mon cadre de vie lié à mon souhait de reprendre une formation dans un domaine concerné par ce cadre de vie - la sociologie, justement, j'ai fait valoir la corrélation entre le souhait d'une municipalité de s'intéresser à ce quartier, d'y pratiquer un développement humain, social et économique et le fait qu'en tant qu'habitant formé universitairement à la compréhension du lien social et à sa constitution, je serais éventuellement concerné par une embauche... Niet. Pôle-Emploi ne prend pas cela en cause. Il a même souhaité que, parce que je fais mes études dans une fac à 120 km de chez moi, je puisse en profiter pour y développer un réseau de connaissances qui serait en mesure de me proposer du boulot... Ce n'est pas contradictoire avec toutes ces politiques nationales mêlant l'habitant au coeur du projet de développement de son propre quartier ? Ce n'est pas, par ce biais du refus, de créer un frein à l'emploi ? Pour rejoindre ces "jeunes" suivi par ce sociologue, je suis pauvre - à l'ASS, titulaire d'une licence, certes, ayant déjà bossé, en CUI CAE - pauvre, diplômé, dans un emploi précaire. Cela aurait du suffire à Pôle-Emploi pour me laisser - ce qu'il a fait par la suite - partir en formation sans s'offusquer de mon choix. Je n'ai d'ailleurs toujours pas compris ce revirement d'avis: en juillet il m'était interdit de faire cette formation et en septembre j'y étais encouragé... Je pense que la pauvreté est aussi un construit social. Elle se manifeste différemment selon les nations, selon les cultures. En ce qui me concerne, je pense aussi que l'institution peut la créer en refusant d'écouter les "pauvres" qui ont aussi des idées, des projets de vie...

Merci !

Publié : 17 janv. 2012
par Mentor
Merci Jeremy62 pour ce témoignage et cet échange de pensées ! :wink:

Amicalement,

Vincent

Re: "On banalise la pauvreté" de Philippe Bergeon

Publié : 17 janv. 2012
par zypos
Jeremy62 à écrit :qu'en tant qu'habitant formé universitairement à la compréhension du lien social et à sa constitution
Ce discours me gêne un peu . Cela veut -il dire que ceux qui n'ont pas fais d'etude supéreure sont incapable d'analyser , de comprendre :?:
Le gros pb est que chacun essaye d'avoir un MONOPOLE pour concerver ses acquis ! C'est vrai pour les proffession réglementé ( Notaire, Avocat) mais également vrai pour les Universitaires ; journalistes .....Le petit peuple incapable de penser, d'analyser se doit d'ecouter la bonne parole.
Comme jean-Paul Sartre je medite sur l'Etre et le Néant : L'expérience vécu façonne la manière de voir , de juger, de percevoir .........