Thierry arrive à l'Assemblée nationale à la bourre, et s’assoit en vitesse à côté d’un député. Thierry, ses boucles d’oreilles, ses tatouages, son vieux pull qui sent l’usure, son visage qui respire la fatigue. Et ses années de galère dans la rue. «Alors vous voulez faire semblant de nous écouter», glisse-t-il d’emblée mais sans agressivité à l’élu. Celui-ci, un peu décontenancé: «Non non, on ne fait pas semblant ici.»
Croissants et SDF
Ce matin, à l’initiative du journal «L’itinérant», vendu par des SDF, et grâce au relais de la députée UMP Christine Boutin, une vingtaine de personnes qui vivent ou ont vécu son dans la rue étaient invités à partager croissants, café, jus d’orange et bribes de vie.
«Ne croyez pas qu’on ne connaît rien ce que vous connaissez», annonce un député. Parmi les élus, beaucoup d’UMP, mais aussi des Verts, des socialistes. Et puis des journalistes, «non pour instrumentaliser, mais pour faire parler», assure Christine Boutin.
Effets pervers
Certains SDF en doutent. Mais la discussion s’engage, sur l’assistanat, l’accompagnement, la réinsertion. Les députés UMP sont ravis d’entendre le membre d’une association expliquer que le «RMI a eu des effets pervers». «T’entends ce qu’il dit ?» demande un député de Boulogne à un député UMP du Nord, sourire aux lèvres.
Mis en confiance, le député enchaîne par un «proverbe chinois» que n’a pas cité Ségolène Royal : «Il ne sert à rien de donner un poisson à un homme. Il faut lui apprendre à pêcher». Mais «comment ?», ose un SDF. «Il faut une loi pour répercuter en textes ce que disent les gens»… «Ah non, je suis contre une loi. L’inflation législative»…
Le temps de se comprendre
«Thierry s’agace : « Hé ho, c’est pas une conférence. On parle d’avoir le droit de manger, de boire, d’un toit». Tout le monde est d’accord pour estimer qu’il faut prendre «le temps de se parler, de se comprendre».
Mais un homme intervient bientôt au micro : «Voilà, vous avez pu parler pendant 38 minutes, maintenant j’aimerais que les députés nous disent si cela a changé leur regard». S’en suit un catalogue de souhaits. «On veut du pognon ! on veut du pognon !», scande doucement un SDF désabusé en tapant de la petite cuillère sur la table.
Sauvages
Christine Boutin, maladroite, conclut : «Le contact a été plus facile qu’on ne pouvait le croire», ce qui vexe une femme d’une quarantaine d’années : «Vous nous avez pris pour des sauvages ?» A ses côtés, Eric plaisante : «Allez, on reste ici. Il fait chaud, on est bien, on squatte.» Mais, non Monsieur. Il faut sortir maintenant. Dans la rue.
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