Nico Melanine a écrit :Comme toujours les commentateurs autorisés – politiques et journalistes bien-pensants, inspecteurs de police, etc. - sont prompts à condamner la violence. Ce qu’ils ne mentionnent jamais c’est comment les mêmes causes, dont ils sont directement responsables – misère sociale, diabolisation de la population locale, harcèlement policier, etc. - amènent toujours les mêmes conséquences. De quel côté se trouve la violence ?
(...) Pour la plupart des jeunes noirs ici, les problèmes sont exactement les mêmes qu’avant. Le problème principal est toujours le racisme institutionnel et son impact, que ce soit à travers le mauvais comportement de la police, une éducation défaillante ou le manque de travail.
Mais le contexte social et économique est tout autant à déplorer ici. La situation est ce qu’elle est tout simplement en raison de la dégradation des conditions de la population locale qu’un système capitaliste en crise ne peut qu’accentuer. Le quartier de Tottenham a un des taux de chômage les plus importants de Londres. Plus de 10.000 personnes sont à la recherche d’un emploi, ce qui signifie qu’il y a plus de 54 personnes pour chaque emploi vacant. Depuis les mesures d’austérité introduites par le nouveau gouvernement, la plupart des salaires ont été gelés et ne suivent plus l’inflation galopante. Le prix de la nourriture a augmenté de plus de 5% ces derniers mois. Les loyers, même à Tottenham, sont exorbitants. Le nombre de logements sociaux diminue depuis que Thatcher a permis à chaque habitant de s’endetter pour pouvoir racheter son logement social, et aucune loi n’oblige les
boroughs (terme désignant l’entité légale que représente chaque regroupement de quartiers Londonien, comme les arrondissement à Paris) à construire davantage de logement social. En 4 ans, de 2006 à 2009, seulement 328 logements sociaux ont été construits dans tout le
borough d’Haringey (qui comprend entre autres le quartier de Tottenham). De façon générale, les résidents ressentent de la frustration et de l’aliénation par rapport à un monde qui leur vend une réalité différente de la leur, scintillante et inaccessible, alors qu’ils savent très bien que la meilleure situation à laquelle ils peuvent aspirer, c’est celle d’un travail pénible, ennuyeux et sous-payé.
Et la violence réelle, c’est celle-là. Ce n’est pas celle dénoncée par les politiques, journalistes et policiers. C’est celle du gouvernement qui s’acharne à faire payer la crise financière aux classes populaires, qui pratique une politique anti-sociale en coupant les budgets de tous les services publics, qui coupe l’allocation de maintenance d’éducation (EMA) pour les jeunes les plus pauvres de moins de 18 ans, qui augmente les frais d’université pour les jeunes étudiants, qui démantèle la NHS, qui réduit drastiquement les ressources des régions et des
boroughs les plus pauvres de Londres. C’est une violence ciblée. C’est aussi la violence du
borough de Haringey, qui a voté en février la réduction de son budget de £41 millions de livres, la plus grosse de son histoire. La communauté locale, active et mobilisée depuis plusieurs mois avant cela, avait alors tenté de réagir. A l’issue d’une énième manifestation ignorée, la mairie avait été occupée de façon pacifique dans l’espoir d’empêcher ce vote destructeur, mais les élus locaux leur avaient envoyé la «
riot police» (TSG), équivalent local des CRS. Les conséquences de ce vote furent directes et désastreuses. Ce n’est qu’un début, mais il signifie déjà la fermeture ou la dégradation de beaucoup d’infrastructures et de services sociaux, des maisons de retraites, des services de santé mentale, des parcs, des bibliothèques, des piscines, des associations communautaires mais aussi de tous les clubs de jeunes (
youth clubs). En effet, 13 associations et clubs de jeunes viennent d’être fermés ces derniers mois à Haringey. Il y a à peine deux semaines, le
Guardian publiait sur son site une vidéo qui révélait l’impact que ces fermetures pourraient avoir sur la communauté locale. Un des jeunes interviewés finit l’interview, dépité, sur ces mots, qui semblent maintenant prophétiques : «Y aura des émeutes… y aura des émeutes».
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