Un fichage biométrique de la quasi-totalité de la population,
des fonctionnalités commerciales... La carte d'identité du futur, telle qu'imaginée par le Sénat, aura du mal à convaincre.
Mais elle plaira aux industriels.
La discussion de la proposition de loi relative à la protection de l'identité, qui contient les fondations de la future carte d'identité numérique, commence aujourd'hui à l'Assemblée nationale. Elle a été adoptée par le Sénat en première lecture fin mai. Le but affiché de cette numérisation : lutter contre l'usurpation d'identité (qui concernerait 200.000 délits chaque année), en regroupant dans un fichier unique les données des passeports biométriques et des cartes d'identité.
Mais cette loi répond à un deuxième objectif : envoyer "un signal fort" à l'industrie française de la carte à puce, dont les fleurons font partie des leaders mondiaux du marché mais réalisent 90% de leur chiffre d'affaires à l'exportation.
La proposition de loi prévoit que la carte d'identité numérique comporte deux puces différentes : une dite "régalienne", qui contiendra les informations suivantes : nom de famille et d'usage, prénoms, sexe, date et lieu de naissance, domicile, taille et couleur des yeux, empreintes digitales (huit doigts) et photographie d'identité. Et
une puce "de services", optionnelle, rendant possible l'enregistrement "de données permettant à son titulaire de s'identifier sur les réseaux de communication électroniques et de mettre en œuvre sa signature électronique".
(...) Le député SRC Serge Blisko déclarait en commission ne pas comprendre la création de
la puce qu'il appelle "commerciale". "Tout cela manque de précision et n'a rien à faire dans une carte d'identité ! Il existe aujourd'hui suffisamment de solutions de paiement sécurisé, comme l'envoi d'un SMS de confirmation pour les achats électroniques, pour ne pas avoir besoin de faire appel à la carte d'identité.
On nous promet que le commerçant n'aura pas accès aux données biométriques et aux empreintes digitales, mais on sait bien ce que valent les promesses en matière de technologie informatique !"
(...) La création d'un méga "fichier des gens honnêtes", selon les termes employés par le rapporteur de la loi au Sénat François Pillet, fait aussi débat. "Avec cette proposition de loi, on voit combien est fallacieuse la campagne actuelle de l'UMP contre le fichage", protestait en commission la députée SRC Delphine Batho. "Les auteurs de cette proposition de loi estiment, pour résumer, que pour détecter un fraudeur, il faut ficher tout le monde. Dans ce cas, allez jusqu'au bout du raisonnement et inscrivez l'ensemble de la population française dans le fichier des empreintes génétiques, de manière à pouvoir comparer les indices trouvés sur la scène d'un crime avec les données personnelles ! Le véritable objectif de ce texte, c'est le fichage biométrique de la totalité de la population à des fins de lutte contre la délinquance", poursuivait-elle. Elle était soutenue par Sandrine Mazetier (députée SRC).
"Ce texte a clairement un objectif policier. (...) Il semble totalement disproportionné de mettre en place un fichage généralisé de la population française pour lutter contre 15.000 faits d'usurpation d'identité constatés par la police."
(...) Le rapporteur de la proposition de loi à l'Assemblée, l'UMP Philippe Goujon, explique que
"disposer en France d'un tel titre donnerait un argument supplémentaire de crédibilité à notre industrie et lui permettrait notamment de s'imposer dans la bataille de normalisation qui a actuellement lieu au niveau européen avec l'industrie allemande, pour proposer au niveau mondial une solution industrielle européenne face à une solution américaine qui ne tardera pas à voir le jour".
(...) Jean-Marc Manach (Owni) rappelle que
la biométrie est un secteur prioritaire pour le gouvernement. Pour l'Etat, soutenir le projet de carte d'identité biométrique, c'est quelque part subventionner l'industrie française.
Les citoyens français seront contents d'apprendre qu'en renouvelant leur carte d'identité pour le nouveau format numérique (sera-t-elle encore gratuite ?), ils seront peut-être fichés comme des délinquants, mais ils feront acte de patriotisme économique.
http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech ... 58466.html