"Une brève histoire du temps"
Publié : 23 juin 2006
Un commentaire de Maldoror posté sur l'actu : "Actuchomage : le bilan de deux ans de mobilisation".
http://www.actuchomage.org/modules.php? ... e&sid=1902
…/…
Maldoror écrit :
Point n'ai-je dit que la ringardise était la ligne politique d'APNEE, j'ai dit qu'elle en était le risque.
Cette histoire de chômage incite à penser plus haut que de réclamer du travail ou autre foutaise. Du travail il n'y en a plus, c'est une espèce en voie de disparition (c-f Jeremy Rifkin), et je ne vois pas trop l'intérêt de créer des "réserves naturelles" de fonctionnaires comme il y a des réserves d'indiens aux USA.
Il ne peut y avoir de critique du chômage sans que cela débouche sur une critique du travail et, par extension, sur une réflexion sur le temps telle qu'elle avait été amorcée par ces grands visionnaires que furent Raoul Vaneigem et Guy Debord (entre autres).
En effet la course à la transformation du sur-travail en non travail par les amméliorations techniques ou gestionnaires de la production fit que
1. un nombre devenu dérisoire de producteurs suffit à la production
2. la spécialisation devient non plus régionale mais planétaire même si certains feignent d'ignorer que la mondialisation de date pas d'hier et qu'elle remonte à l'époque où la machine à vapeur a permis aux bateaux de ne plus dépendre des "vents du commerce" (trade winds, autrement dit les alizés)
Ce temps libéré qui aurait dû faire le bonheur de l'humanité ne le fit pas. Non seulement l'idéologie religieuse sado-masochiste du christianisme fustigea les "fainéants" puique 'l'oisiveté était la mère de tous les vices", mais les chômeurs furent privés de toute reconnaissance sociale pour ne devenir plus qu'une caste digne des intouchables à ceci près qu'elle n'est pas tout à fait héréditaire.
"Nous n'avons rien à nous que le temps,
dont jouissent ceux mêmes qui n'ont point
de demeure."
Balthasar Gracian (L'Homme de cour)
Ce temps "libre" des chômeurs est bien dérangeant. Car "la liberté est le crime qui contient tous les crimes, c'est notre arme absolue". Comment est-il perçu ? L'absolue domination du temps par le productivisme spectaculaire ne peut concevoir le temps libre que comme marchandise séparée. Le temps n'est que de consommation et non de vie (la "paresse" de Paul Lafargue). Un prolétaire est "en vacances", un chômeur non, il doit avoir honte de son temps libre au point que certains s'autopersuadent que la "recherche de travail" est un "travail comme un autre". Une ouvrière de la SNECMA me disait jadis "Qu'est-ce que vous allez faire toute la journée au chômage, vous allez vous ennuyer ?". A mettre aussi en parallèle avec les réactions désolées de ceux qui, lorsqu'on annonce qu'on est au chômage, considèrent presque qu'on est sidaïque au dernier lymphocite T4 par mm3. Faut qu'on les rassure en expliquant, qu'à part la trésorerie effectivement misérable, on dispose d'une chose que nous envient les cadres surmenés : du temps !
Donc quel devrait être l'activité militante d'une organisation de chômeurs ? Pleurer après le retour du "plein emploi" salarié ? Un épi-phénomène qui n'a même pas duré 40 ans dans sa généralisation et qui est à comparer avec les 3000 ans d'activitées économiques recensées sur le territoire France ! Se faire embaucher chez Pénélope SA ? J'imagine bien ce genre d'emploi "aidé" : une équipe de tricoteuses le jour et de détricoteuses la nuit selon l'aphorisme "faire et défaire c'est toujours travailler".
Ou bien entamer une réflexion critique sur le temps, son emploi et son partage (on ne parle donc plus de travail). Et que faisons-nous nous-même de ce temps ? Je vous incite à lire la réflexion des "chômeurs heureux" allemands sur mon site. L'action subversive, mon cher Yves, est ici : l'appropriation volontaire du temps du chômage dans la dialectique du vivant et non cette résignation morbide du castré de l'usine : "je traîne en pantoufles toute la journée" comme déprimait un ouvrier licencié.
Temps libre ou temps mort, telle est la question.
Un prof d'économie marocain m'expliquait que le problème au Maroc était que le temps de travail (et le temps en général) n'avait pas de valeur. Et c'était réciproque des deux côtés employeur/employé. Si le travailleur exigeait un meilleur salaire impliquant la contre-partie d'une meilleure production, on montait le niveau pour passer effectivement au capitalisme avec ses points positifs sur les créations de richesses et ses conflits d'intérêts de classes. A rester à ce niveau zéro rien n'était possible, me disait-il. "Excellent !", lui dis-je, "tu viens de me donner une définition du Tiers-Monde : le lieu ou le temps n'a aucune valeur". A rapprocher de l'histoire russe de l'époque brejnevienne : "ils font semblant de nous payer et nous on fait semblant de travailler". En fait quand on observe ce qu'est devenu le travail en France : précarité, "stages en entreprise" non payés, on observe bien une tiers-mondisation qui n'est pas uniquement ethnique par le fait des colonies de peuplement des immigrés. L'étude officielle sur le CNE montre bien que l'effet d'aubaine escompté par les employeurs est à relativiser par le fait que, aussi, du côté employé, on ne se sentait pas obligé de rester.
Cette réflexion sur le temps est donc la question centrale.
Comme tu vois j'ai complètement oublié de demander aux candidats ce qu'ils pensaient du chômage et des chômeurs, j'ai d'autres choses à faire de mon existence qu'à rester dans un pays morbide à regarder passer l'alternance droite-gauche. Mais des goûts et des couleurs...
http://www.actuchomage.org/modules.php? ... e&sid=1902
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Maldoror écrit :
Point n'ai-je dit que la ringardise était la ligne politique d'APNEE, j'ai dit qu'elle en était le risque.
Cette histoire de chômage incite à penser plus haut que de réclamer du travail ou autre foutaise. Du travail il n'y en a plus, c'est une espèce en voie de disparition (c-f Jeremy Rifkin), et je ne vois pas trop l'intérêt de créer des "réserves naturelles" de fonctionnaires comme il y a des réserves d'indiens aux USA.
Il ne peut y avoir de critique du chômage sans que cela débouche sur une critique du travail et, par extension, sur une réflexion sur le temps telle qu'elle avait été amorcée par ces grands visionnaires que furent Raoul Vaneigem et Guy Debord (entre autres).
En effet la course à la transformation du sur-travail en non travail par les amméliorations techniques ou gestionnaires de la production fit que
1. un nombre devenu dérisoire de producteurs suffit à la production
2. la spécialisation devient non plus régionale mais planétaire même si certains feignent d'ignorer que la mondialisation de date pas d'hier et qu'elle remonte à l'époque où la machine à vapeur a permis aux bateaux de ne plus dépendre des "vents du commerce" (trade winds, autrement dit les alizés)
Ce temps libéré qui aurait dû faire le bonheur de l'humanité ne le fit pas. Non seulement l'idéologie religieuse sado-masochiste du christianisme fustigea les "fainéants" puique 'l'oisiveté était la mère de tous les vices", mais les chômeurs furent privés de toute reconnaissance sociale pour ne devenir plus qu'une caste digne des intouchables à ceci près qu'elle n'est pas tout à fait héréditaire.
"Nous n'avons rien à nous que le temps,
dont jouissent ceux mêmes qui n'ont point
de demeure."
Balthasar Gracian (L'Homme de cour)
Ce temps "libre" des chômeurs est bien dérangeant. Car "la liberté est le crime qui contient tous les crimes, c'est notre arme absolue". Comment est-il perçu ? L'absolue domination du temps par le productivisme spectaculaire ne peut concevoir le temps libre que comme marchandise séparée. Le temps n'est que de consommation et non de vie (la "paresse" de Paul Lafargue). Un prolétaire est "en vacances", un chômeur non, il doit avoir honte de son temps libre au point que certains s'autopersuadent que la "recherche de travail" est un "travail comme un autre". Une ouvrière de la SNECMA me disait jadis "Qu'est-ce que vous allez faire toute la journée au chômage, vous allez vous ennuyer ?". A mettre aussi en parallèle avec les réactions désolées de ceux qui, lorsqu'on annonce qu'on est au chômage, considèrent presque qu'on est sidaïque au dernier lymphocite T4 par mm3. Faut qu'on les rassure en expliquant, qu'à part la trésorerie effectivement misérable, on dispose d'une chose que nous envient les cadres surmenés : du temps !
Donc quel devrait être l'activité militante d'une organisation de chômeurs ? Pleurer après le retour du "plein emploi" salarié ? Un épi-phénomène qui n'a même pas duré 40 ans dans sa généralisation et qui est à comparer avec les 3000 ans d'activitées économiques recensées sur le territoire France ! Se faire embaucher chez Pénélope SA ? J'imagine bien ce genre d'emploi "aidé" : une équipe de tricoteuses le jour et de détricoteuses la nuit selon l'aphorisme "faire et défaire c'est toujours travailler".
Ou bien entamer une réflexion critique sur le temps, son emploi et son partage (on ne parle donc plus de travail). Et que faisons-nous nous-même de ce temps ? Je vous incite à lire la réflexion des "chômeurs heureux" allemands sur mon site. L'action subversive, mon cher Yves, est ici : l'appropriation volontaire du temps du chômage dans la dialectique du vivant et non cette résignation morbide du castré de l'usine : "je traîne en pantoufles toute la journée" comme déprimait un ouvrier licencié.
Temps libre ou temps mort, telle est la question.
Un prof d'économie marocain m'expliquait que le problème au Maroc était que le temps de travail (et le temps en général) n'avait pas de valeur. Et c'était réciproque des deux côtés employeur/employé. Si le travailleur exigeait un meilleur salaire impliquant la contre-partie d'une meilleure production, on montait le niveau pour passer effectivement au capitalisme avec ses points positifs sur les créations de richesses et ses conflits d'intérêts de classes. A rester à ce niveau zéro rien n'était possible, me disait-il. "Excellent !", lui dis-je, "tu viens de me donner une définition du Tiers-Monde : le lieu ou le temps n'a aucune valeur". A rapprocher de l'histoire russe de l'époque brejnevienne : "ils font semblant de nous payer et nous on fait semblant de travailler". En fait quand on observe ce qu'est devenu le travail en France : précarité, "stages en entreprise" non payés, on observe bien une tiers-mondisation qui n'est pas uniquement ethnique par le fait des colonies de peuplement des immigrés. L'étude officielle sur le CNE montre bien que l'effet d'aubaine escompté par les employeurs est à relativiser par le fait que, aussi, du côté employé, on ne se sentait pas obligé de rester.
Cette réflexion sur le temps est donc la question centrale.
Comme tu vois j'ai complètement oublié de demander aux candidats ce qu'ils pensaient du chômage et des chômeurs, j'ai d'autres choses à faire de mon existence qu'à rester dans un pays morbide à regarder passer l'alternance droite-gauche. Mais des goûts et des couleurs...