Oui, il est excellent, ce billet !
Lire aussi celui sur
L'insécurité dont on ne parle pas
Extraits :
Dans les cités comme ailleurs, et sans doute plus qu’ailleurs, il existe bien d’autres formes de violence ou d’insécurité dont les autorités se scandalisent beaucoup moins : la discrimination à l’embauche ou dans l’accès au logement par exemple, les plans de licenciement, notamment dans des entreprises bénéficiaires.
Ce dernier point mérite qu’on s’y arrête. Car en se «réconciliant avec l’entreprise», la gauche s’est aussi réconciliée avec toute une série de violences qui s’y exercent. Outre la menace permanente du licenciement, il y a aussi la précarité : aujourd’hui, un salarié sur dix travaille en contrat à durée déterminée, en intérim, en stages ou en contrats aidés. Et la proportion ne cesse d’augmenter : CDD et intérim représentent 90% des recrutements dans les secteurs privé et semi-public. Ne s’agit-il pas de violence et d’insécurité ? L’angoisse d’être licencié, de ne pas voir son contrat renouvelé, n’est-ce pas l’insécurité la plus radicale et la plus répandue ? Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement d’un sentiment d’insécurité, puisque le travail précaire s’accompagne d’une série de violences physiques et morales bien réelles : (…)
Et même lorsque ces «difficultés» ne sont pas identifiées comme violences, elles n’en sont que plus redoutables, car ce qu’on ne conscientise pas ou qu’on ne verbalise pas, on somatise. (…)
Parlons aussi d’incivilité puisque, dans l’agenda gouvernemental, c’est devenu une priorité. (…) Ceux qui sont privés de travail subissent de véritable et innombrables violences et incivilités, quotidiennement et à peu près partout, jusque dans leur plus proche entourage. Sophie Badreau l’a très bien décrit :
« La recherche d’un emploi recèle une quantité insoupçonnée de petites violences, dont l’accumulation finit par fatiguer les organismes les plus résistants et par épuiser les volontés les plus affûtées. Cette usure psychologique est en grande partie générée par le fait que vous êtes sans cesse confronté plus ou moins directement à des personnes qui s’autorisent à porter des jugements sur vous, à vous expliquer pourquoi vous ne trouvez pas d’emploi, à critiquer vos choix et surtout à vous donner des conseils alors que, de toute évidence, elles sont totalement coupées des réalités du chômage en général, et totalement ignorantes de votre situation en particulier. Ces personnes expriment des opinions qui, pour la plupart, peuvent être rangées dans les catégories "tout le monde peut s’en sortir", "il y a du travail pour tout le monde", "vous ne savez pas vous y prendre". Inutile d’insister sur les effets dévastateurs que ce genre de théorie peut avoir sur le moral et sur la confiance en soi de ceux qui ne s’en sortent pas. »
Cette violence sournoise et dévastatrice, non seulement nos dirigeants politiques ne la combattent pas, mais ils l’exercent : n’est-il pas violent, quand on cherche en vain un emploi depuis des mois ou des années, d’entendre un Président de droite déclarer qu’«il y a du travail pour ceux qui veulent se bouger», ou un Premier Ministre de gauche ne concéder qu’une «prime de Noël» dérisoire aux chômeurs en lutte en leur expliquant qu’il est «impossible d’en demander plus à la France qui travaille» – sans parler des actuels discours décomplexés opposant «la France qui se lève tôt» à celle qui se lève tard ? Ces discours culpabilisateurs ne sont-ils pas des incivilités caractérisées ? Ne font-ils pas au moins autant de ravages que le "parler cru" de certains jeunes ?