Fait du jour (Ouest France 13/4/06)
Rennes 2 reprend puis replonge dans le conflit
Les cours ont repris dans une drôle d'ambiance, hier matin, à l'université phare du mouvement anti-CPE. Puis l'AG du soir a revoté le blocage...
Y aura-t-il une deuxième journée de cours pour les 21 000 étudiants de Rennes 2, ce matin ? Hier soir, dans la confusion d'une AG houleuse, il était bien impossible de le savoir. Retour sur une journée de reprise très, très bizarre...
Huit heures du matin, les étudiants reprennent le chemin des salles de classes et des amphis, le moral souvent en berne. « On a cru qu'on allait changer le monde. Que cette fois c'était bon. On parlait de nous partout, y compris à l'étranger. » Et puis, et puis... Le CPE est tombé mais le monde n'a pas vraiment changé. « J'ai l'impression que le CPE a agi comme un analgésique sur une tendinite, tente Urielle, en licence d'anglais. Une fois le CPE enlevé, toute la douleur est revenue. Tout ce qu'on ne supporte plus est encore là. » « C'est incroyable, cette non-volonté d'accepter la victoire, s'interroge cet autre étudiant en histoire. On a le droit d'être heureux, non ? » Peut-être, mais plus tard.
En attendant, on ressort les crayons. Une drôle de rentrée puisqu'une nouvelle assemblée générale, la dix-septième en plus de deux mois, est prévue à 16 h. Une drôle de rentrée parce qu'au coeur de la fac, les cours reprennent dans des amphis intégralement tagués de slogans définitifs. Même chose dans le hall central où les étudiants contournent un groupe de squatters dormant encore avec leurs chiens.
Des chambres universitaires rendues
En sillonnant les couloirs, on entend pourtant les voix des profs qui s'échappent des salles. Parfois, une porte entrouverte laisse apparaître des rangs clairsemés. Anne-Gaëlle le confirme, « il manque du monde ». Il est trop tôt pour savoir si c'est temporaire. Si ça dépasse les habituels abandons de début d'année. Mais, pour certains enseignants, c'est une évidence. « On a perdu beaucoup de monde. Cinq fois plus de chambres universitaires ont été rendues que les autres années à la même époque », explique Ali Ait Abdelmalek, enseignant de sociologie. Le phénomène touche surtout les premières années. « En masters 2, c'est différent, expliquent Bertrand et Grégoire. On a des stages, des intervenants professionnels, des travaux personnels... Pour les premières années, les cours sont essentiels. C'est vrai qu'il faut que ça reprenne maintenant. »
Quelques profs manquent aussi à l'appel. Mais la plupart sont là, à l'image de cet enseignant chercheur en anglais. Il préfère garder l'anonymat : « Certains esprits sont encore trop échauffés. » La reprise · « J'ai pris 4 à 5 minutes pour calmer les choses, expliquer comment ça allait se passer, puis c'est reparti. Mais c'était des licence 3 (troisième année). Pour les premières années, il faudra sûrement prendre plus de temps de remise en route. En tout cas, comme d'autres collègues, j'ai constaté une qualité d'écoute remarquable. Ils sont avides de recommencer. Il y a du plaisir des deux côtés à reprendre. »
7 000 étudiants à l'AG
Ces deux étudiants qui sortent du métro n'en sont pas là : « La diminution des postes de Capes, la précarité, le CNE... on a l'impression de ne pas avoir gagné grand-chose. C'est dur d'aller en cours. » Comme une gueule de bois sociale ? « C'est vrai pour ceux qui étaient au coeur du mouvement, reprend l'enseignant d'anglais. Mais il y a aussi une grande majorité qui ne s'est pas investie tout le temps. » Aurore poursuit : « Ce n'était pas inutile. On a quand même gagné quelque chose mais, maintenant, il va falloir rattraper les cours. Ça commence dès samedi matin avec deux heures de cours supplémentaires. » Pour tenter de sauver l'année.
À l'AG du soir, c'est la foule des grands jours. Au moins 7 000 étudiants sur la pelouse du campus. Le président de l'université, Marc Gontard, a lui-même appelé les élèves à y participer, pour que la décision n'appartienne pas aux seuls jusqu'auboutistes. De nombreux orateurs se succèdent pour expliquer qu'il ne faut pas lâcher, que le gouvernement est affaibli, « qu'il faut le foutre par terre ». « Est-ce qu'on pourrait arrêter un moment de délirer, lance un étudiant. Ça ne sert à rien de se demander si on crée la 6e Internationale à Rennes. »
Trois heures de débats... Conclus par un vote express : « Pour le blocage ? » Les mains levées paraissent majoritaires aux grévistes. Mais le président - par ailleurs farouche adversaire du CPE - conteste le résultat au micro. Pour lui, le vote est illégitime. Il s'en tient au vote pour la reprise du lundi, avec comptage des cartes d'étudiants. Tensions, huées. Le conseil d'administration s'isole. Puis déclare : « Les cours auront lieu jeudi à 8 h ». Ce matin. Gilles KERDREUX.
Dernière minute Ouest France 13/04/2006 09:17:34
Le président de Rennes 2 décide la fermeture administrative de l'université
Alors que les portes de l'université ont été bloquées par des chaises et des tables dans la nuit de mercredi à jeudi (lire par ailleurs
*), Marc Gontard, le président de Rennes 2, a décidé ce matin d'une fermeture administrative de l'université jusqu'à mardi prochain.
*jeudi 13 avril 2006
source
A Rennes 2, le vote finit dans la confusion
Après quatre heures d'interventions, l'assemblée générale de Rennes 2 s'est achevée dans la confusion la plus complète avec l'annonce de la reconduite du blocage. Un vote illégitime pour le président de l'université et contesté par beaucoup d'étudiants.
La reprise du blocage a été décidée, hier, en assemblée générale. Un vote douteux pour Marc Gontard, président de l'université. Il maintient les cours ce matin.
Quelque 7 000 étudiants, sur les 22 000 que compte Rennes 2, sont amassés depuis quatre heures devant les escaliers du hall B de la faculté de Villejean. Derrière le bureau de l'assemblée générale, les professeurs attendent le verdict. C'est l'heure du vote. Il est presque 20 h. Pour ou contre la reprise du blocage jusqu'à mardi prochain. Des mains se lèvent. Tout se passe très vite. Le bureau de l'assemblée générale annonce que le blocage est revoté. Une bousculade s'ensuit. Des insultes fusent de partout.
Au micro, Pierre Bazantay, directeur de l'UFR de lettres et sciences humaines, estime « ce vote illégitime ». L'ambiance, déjà très tendue, monte d'un cran. Des grévistes lèvent le poing gauche et entament l'Internationale. Une poignée de minutes plus tard, dans la confusion, Marc Gontard, président de l'université, annonce à son tour qu'il ne reconnaît pas le vote. Il manque d'en venir aux mains avec une étudiante gréviste qui veut lui retirer de force la micro. Autour d'eux, pro et anti-blocage se disputent sur la réalité du scrutin. Le flottement est total, les mines inquiètes.
Après s'être réuni, le conseil d'administration décide, par la voix de son président, que « les cours reprendront ce jeudi matin à 8 h ». Il n'exclut pas une fermeture des locaux de l'université en cas de débordement, « mais nous refusons de faire appel aux forces de l'ordre ». Le but est, avant tout, d'éviter la violence et les affrontements. L'idée d'un nouveau vote, à bulletin secret cette fois-ci, comme lundi, n'est pas exclue. « Nous ne pouvons pas reconnaître celui-ci avec des pratiques de tribune douteuses », remarque Pierre Bazantay. Certains s'étonnent aussi d'une nouvelle consultation, après celle de lundi, alors que, précédemment, le blocage était décidé pour la semaine.
« Il ne faut pas lâcher »
A 16 h, tout avait commencé dans le calme et la litanie des interventions. Avec des orateurs parfois maladroits mais toujours passionnés. « Le mouvement est loin d'être mort. Ce serait grotesque d'arrêter maintenant. » Alors que d'autres universités poursuivent leur blocage, les grévistes ne comprennent pas que leur lutte puisse prendre fin : « Rennes 2 est le fer de lance. Il ne faut pas lâcher. Seule la lutte paye. Le gouvernement a un genou à terre. »
Après le retrait du CPE, des étudiants viennent réclamer l'abrogation de toute la loi sur l'égalité des chances. D'autres revendiquent une allocation d'insertion pour les jeunes en recherche d'un premier emploi ou une réglementation plus stricte des stages. Une nouvelle manifestation est décidée pour mardi prochain. L'assemblée générale vote même un nom au mouvement. Va pour le « Printemps français » en référence au Printemps de Prague. Les grévistes ironisent sur les anti-blocage, « venus uniquement pour le vote et qui ont profité de notre lutte sans rien faire ». Ceux-ci font entendre leur impatience de se prononcer pour ou contre la reprise du blocage. Quelques partisans d'un blocage partiel tentent le compromis. Jusqu'au (non) dénouement final. Et à la confusion totale. Philippe MATHÉ.