20 millions de précaire en france
Publié : 17 mars 2006
« 20 millions de précaires en France »
Ancien conseiller social de Michel Rocard et de Lionel Jospin, Jacques Rigaudiat souligne l’extension de la précarité, y compris chez les salariés.
Vous avez consacré un article à la montée des précarités et vous préparez un livre sur « le retour de la question sociale » (1). Comment réagissez-vous au chiffre de sept millions de pauvres que donne le dernier rapport de l’Observatoire de la pauvreté et de l’exclusion sociale ?
Jacques Rigaudiat. Si l’on s’en tient à la définition usuelle de la pauvreté monétaire, ce chiffre est exact. Cependant le sujet me paraît moins être celui de la pauvreté monétaire - où le fait d’avoir un euro en plus ou en moins vous fait passer du statut de pauvre à celui de non-pauvre - que celui justement de la montée de la précarité dans les conditions de vie. Il faut une approche multiple qui prenne en compte les difficultés d’accès à la santé, au logement, etc., pour espérer avoir une vue complète sur le sujet. Si l’on ne tient plus seulement compte de la définition, quelque peu artificielle, de la pauvreté monétaire, on passe de 12 % de pauvres - ces sept millions que vous évoquez - à un quart ou un tiers de la population qui vit en situation précaire. Ce sont donc en gros près de 20 millions de personnes qui sont concernées, c’est-à-dire les ménages gagnant moins de 1,7 ou 1,8 SMIC.
Les outils pour appréhender la pauvreté sont donc très insuffisants...
Jacques Rigaudiat. Les instruments actuels ne permettent qu’assez difficilement de l’appréhender, et les chercheurs sont encore trop peu nombreux à préférer une approche multilatérale. Mais si je préfère parler de précarité plutôt que de pauvreté, c’est aussi parce que le terme de pauvreté est une métaphore qui permet de ne pas désigner les catégories sociales qui en sont les premières victimes. Et qui sont-elles ? Massivement les ouvriers, en particulier les non-qualifiés, les employés, qui sont largement des femmes, et les cadres, à la marge. Parler de pauvres aujourd’hui, c’est un moyen d’éviter de reposer ce que l’on a appelé au XIXe siècle la « question sociale ». L’approche monétaire contribue à masquer cette réalité. Par ailleurs il est frappant de constater que la pauvreté n’est plus un état dans lequel on demeure et concerne tous ces gens qui vont et qui viennent autour de la ligne de flottaison que symbolise le seuil de pauvreté.
Quelles sont les raisons qui font que cette précarité s’étend ?
Jacques Rigaudiat. Cette hausse est évidemment liée à la montée du chômage, du sous-emploi, et de toutes ces formes intermédiaires que sont les temps partiels contraints, les préretraites, ainsi que les dispenses de recherche d’emploi. Mais on remarque aussi que cette augmentation n’est plus simplement cantonnée à un halo de gens gravitant autour du chômage, mais vise aussi les personnes ayant un emploi. Avec la montée des CDD, de l’intérim, et aujourd’hui du CNE, en attendant le CPE, on assiste à une dissociation des formes traditionnelles du statut de l’emploi signant la fin du CDI. Il est important de noter qu’actuellement, les trois quarts des embauches, hors intérim, se font en CDD. De plus, il faut rappeler que depuis 1983, la part des salaires dans la valeur ajoutée s’est très fortement réduite, ce qui est une rupture profonde avec la période des Trente Glorieuses où, en gros, le pouvoir d’achat suivait les gains de - productivité.
(1) « À propos d’un fait social majeur : la montée des précarités et des insécurités sociales et économiques »,
in Droit social, mars 2005.
Livre à paraître chez Autrement
en septembre prochain.
Entretien réalisé par Cyrille Poy
Ancien conseiller social de Michel Rocard et de Lionel Jospin, Jacques Rigaudiat souligne l’extension de la précarité, y compris chez les salariés.
Vous avez consacré un article à la montée des précarités et vous préparez un livre sur « le retour de la question sociale » (1). Comment réagissez-vous au chiffre de sept millions de pauvres que donne le dernier rapport de l’Observatoire de la pauvreté et de l’exclusion sociale ?
Jacques Rigaudiat. Si l’on s’en tient à la définition usuelle de la pauvreté monétaire, ce chiffre est exact. Cependant le sujet me paraît moins être celui de la pauvreté monétaire - où le fait d’avoir un euro en plus ou en moins vous fait passer du statut de pauvre à celui de non-pauvre - que celui justement de la montée de la précarité dans les conditions de vie. Il faut une approche multiple qui prenne en compte les difficultés d’accès à la santé, au logement, etc., pour espérer avoir une vue complète sur le sujet. Si l’on ne tient plus seulement compte de la définition, quelque peu artificielle, de la pauvreté monétaire, on passe de 12 % de pauvres - ces sept millions que vous évoquez - à un quart ou un tiers de la population qui vit en situation précaire. Ce sont donc en gros près de 20 millions de personnes qui sont concernées, c’est-à-dire les ménages gagnant moins de 1,7 ou 1,8 SMIC.
Les outils pour appréhender la pauvreté sont donc très insuffisants...
Jacques Rigaudiat. Les instruments actuels ne permettent qu’assez difficilement de l’appréhender, et les chercheurs sont encore trop peu nombreux à préférer une approche multilatérale. Mais si je préfère parler de précarité plutôt que de pauvreté, c’est aussi parce que le terme de pauvreté est une métaphore qui permet de ne pas désigner les catégories sociales qui en sont les premières victimes. Et qui sont-elles ? Massivement les ouvriers, en particulier les non-qualifiés, les employés, qui sont largement des femmes, et les cadres, à la marge. Parler de pauvres aujourd’hui, c’est un moyen d’éviter de reposer ce que l’on a appelé au XIXe siècle la « question sociale ». L’approche monétaire contribue à masquer cette réalité. Par ailleurs il est frappant de constater que la pauvreté n’est plus un état dans lequel on demeure et concerne tous ces gens qui vont et qui viennent autour de la ligne de flottaison que symbolise le seuil de pauvreté.
Quelles sont les raisons qui font que cette précarité s’étend ?
Jacques Rigaudiat. Cette hausse est évidemment liée à la montée du chômage, du sous-emploi, et de toutes ces formes intermédiaires que sont les temps partiels contraints, les préretraites, ainsi que les dispenses de recherche d’emploi. Mais on remarque aussi que cette augmentation n’est plus simplement cantonnée à un halo de gens gravitant autour du chômage, mais vise aussi les personnes ayant un emploi. Avec la montée des CDD, de l’intérim, et aujourd’hui du CNE, en attendant le CPE, on assiste à une dissociation des formes traditionnelles du statut de l’emploi signant la fin du CDI. Il est important de noter qu’actuellement, les trois quarts des embauches, hors intérim, se font en CDD. De plus, il faut rappeler que depuis 1983, la part des salaires dans la valeur ajoutée s’est très fortement réduite, ce qui est une rupture profonde avec la période des Trente Glorieuses où, en gros, le pouvoir d’achat suivait les gains de - productivité.
(1) « À propos d’un fait social majeur : la montée des précarités et des insécurités sociales et économiques »,
in Droit social, mars 2005.
Livre à paraître chez Autrement
en septembre prochain.
Entretien réalisé par Cyrille Poy