Il y eut le Remède de Cheval du Chômage, il y aura...
Publié : 13 mars 2006
Il y eut le Remède de Cheval du chômage, il y aura l’Homéopathie par la précarité diffuse et généralisée…
En cette période où le gouvernement n’hésite pas à présenter les CNE-CPE comme des moyens de faire baisser le chômage, il convient de décrypter les tenants et aboutissants de cette supposée lutte contre le chômage. Et en fait d’ennemi, ce fameux chômage apparaît bien comme un alibi pour faire passer de nouvelles mesures favorables au MEDEF notamment. Il me semble également opportun, dans le même ordre d’idées, de clarifier quelque peu les risques de malentendus concernant une future baisse des NAIRU pour différents pays (comme cela fut par exemple le cas ces dernières années pour l’Espagne)…
Pour rappel à destination de celles et ceux qui ne le connaîtraient pas encore, le NAIRU est le taux de chômage minimum nécessaire au dessus duquel il faudrait rester pour stabiliser l’inflation. Or, ces NAIRU s’expriment selon une échelle de mesure similaire à celle utilisée pour les « chiffres officiels du chômage », qui on le sait, ont été bidouillés et manipulés depuis des décennies pour des raisons politiques évidentes. Ces statistiques ont ainsi progressivement éliminé du tableau médiatique les catégories se situant entre « emploi » et « non-emploi », à savoir ceux qui sont en « sous-emploi » (non choisi) et en « mal-emploi ». Certains (Robert Castel notamment) ont désigné cette zone de mélange intermédiaire par le terme de « HALO autour du chômage », halo qui n’a cessé de s’accroître au fur et à mesure que les CDD, intérims et stages bidons se développaient (et les CNE-CPE vont bien sûr dans le même sens).
Or, cette culture binaire du chômage (en noir et blanc) instillée dans nos esprits depuis de longues années a forgé un véritable mythe qui pourrait se résumer par la question essentielle : en avoir ou pas ! Il y aurait en effet dans cette mythologie deux tribus bien distinctes et sans contact : les « Quiontunemploi » et les « Quinenonpas » ! Cette dialectique, qui s’inscrit dans la longue lignée rassurante du Bien et du Mal, du Bon et du Mauvais, et désormais (et selon la Nouvelle Méritocratie Sarkozienne) du « bon bosseur » et du « mauvais bulleur », reste étonnamment efficace dans les esprits de nombreux salariés et cadres (en poste, encore et pour l’instant…). Cette représentation est fondée sur des considérations qui avaient cours avant le début des années 70 (en période de plein emploi donc) : il y avait d’un côté « ceux qui en voulaient et donc avaient un boulot » et de l’autre les « bulleurs ». Point. Depuis, le tableau a pas mal changé, mais le retour des discours sur la morale du travail vise à ranimer le mythe en question. Il masque bien évidemment le fait que depuis vingt ans, les formes d’emploi atypiques ont proliféré et modifié la donne, permettant progressivement l’obtention d’une docilité contrainte par l’instauration d’une précarité plus diffuse et généralisée, instillée en micro-doses permanentes. Là encore, les logiques du CNE-CPE en sont l’illustration parfaite : « docilité » ou « dehors ! et sans aucun motif à avancer » = docilité « librement » consentie !
Le chômage fut instrumentalisé comme un remède de cheval à la baisse de la part revenant au capital dans le partage de la valeur ajoutée après 1968 (voir encore une fois le documentaire de Gille Balbastre « Le chômage a une histoire » : http://lbsjs.free.fr/Balbastre/Balbastre_chomage.htm). Mais le remède de cheval a eu des effets secondaires ravageurs et gênants sur le long terme : la crise des banlieues et de la crédibilité du politique en sont des exemples. Or, en phase préélectorale, le chômage utile implique le défaut de son mérite : même maquillés jusqu’à la corde, les chiffres du chômage font tâche comme le nez au milieu de la figure ! Ils sont ainsi susceptibles de faire perdre bien des élections et le remède de cheval finit parfois par tuer le… cavalier ! Heureusement, la précarité généralisée, moins mesurable statistiquement, sera le remède homéopathique de l’avenir ! Ainsi les économystiques libéraux de l’OCDE ne sont pas « chiens », et ils sont prêts à troquer des points de chômage NAIRUesque contre une « flexibilité accrue et la levée des freins et des rigidités des marchés du travail », pour reprendre leur vocable. Alors, et alors seulement, le NAIRU pourra baisser. Car pas de dogme chez eux : ce qui compte avant tout, c’est la PRESSION exercée sur les salariés. Que la docilité soit obtenue par la Peur du chômage ou par la Soumission « librement » consentie dans la précarité, peu importe ! Ainsi, les NAIRU sont-ils en quelque sorte une mesure de la « libéralité » d’une économie. En Espagne, l’afflux de travailleurs immigrés sans minima sociaux (SMIC notamment) a permis à l’OCDE de revoir optimistement à la baisse le NAIRU de 20% à près de 10% (tout de même !). Si les CPE-CNE passent, la prochaine mouture des NAIRU pour la France ira dans le même sens, et cela ne devra tromper personne…
Je vous livre pour terminer un extrait d’un entretien téléphonique que j’ai eu récemment, dans le cadre de mes recherches, avec l’économiste en chef et Directeur de la Recherche de la première banque d’Europe. La retranscription écrite de cette conversation (de 40 minutes) est basée sur un enregistrement, et est donc fidèle…
Moi (évoquant le principe sous-jacent derrière le NAIRU et la courbe de Phillips) : Mais l’idée qui est derrière est toujours un peu la même…
XXX : Oh ben oui, oui…
Moi : C’est la pression sur les salaires. Ca peut-être par le chômage, ça peut être des contrats plus précaires, ça peut être de la délocalisation, ou de la menace de délocalisation, ça peut-être des tas de choses en fait ?
XXX : Oui, oui. Cela étant, quand il y a pénurie de main d’œuvre… Imaginez qu’il y ait pénurie de main d’œuvre demain matin, ici. Les employeurs n’arriveraient plus à embaucher sur des contrats précaires ! Plus personne n’en voudrait ! Ils pourraient dire « Non » parce qu’il y aurait de la pression dans l’autre sens…
Nul n’est besoin de commenter la clarté de ces propos. Et ceux, qui considèreraient comme naïve cette « thèse du NAIRU », feraient bien de réviser leur propre naïveté !
Mais que les amoureux du chômage se rassurent : dans la concurrence (libre et non faussée ?) entre « remède de cheval » -le Chômage- et « homéopathie » - la Précarité diffuse- cette dernière ne pourra jamais supplanter intégralement le premier. Car le mauvais a toujours besoin du pire pour être accepté…
Guillaume de Baskerville
http://lenairu.blogspot.com
http://lenairu.free.fr
http://linflation.free.fr
En cette période où le gouvernement n’hésite pas à présenter les CNE-CPE comme des moyens de faire baisser le chômage, il convient de décrypter les tenants et aboutissants de cette supposée lutte contre le chômage. Et en fait d’ennemi, ce fameux chômage apparaît bien comme un alibi pour faire passer de nouvelles mesures favorables au MEDEF notamment. Il me semble également opportun, dans le même ordre d’idées, de clarifier quelque peu les risques de malentendus concernant une future baisse des NAIRU pour différents pays (comme cela fut par exemple le cas ces dernières années pour l’Espagne)…
Pour rappel à destination de celles et ceux qui ne le connaîtraient pas encore, le NAIRU est le taux de chômage minimum nécessaire au dessus duquel il faudrait rester pour stabiliser l’inflation. Or, ces NAIRU s’expriment selon une échelle de mesure similaire à celle utilisée pour les « chiffres officiels du chômage », qui on le sait, ont été bidouillés et manipulés depuis des décennies pour des raisons politiques évidentes. Ces statistiques ont ainsi progressivement éliminé du tableau médiatique les catégories se situant entre « emploi » et « non-emploi », à savoir ceux qui sont en « sous-emploi » (non choisi) et en « mal-emploi ». Certains (Robert Castel notamment) ont désigné cette zone de mélange intermédiaire par le terme de « HALO autour du chômage », halo qui n’a cessé de s’accroître au fur et à mesure que les CDD, intérims et stages bidons se développaient (et les CNE-CPE vont bien sûr dans le même sens).
Or, cette culture binaire du chômage (en noir et blanc) instillée dans nos esprits depuis de longues années a forgé un véritable mythe qui pourrait se résumer par la question essentielle : en avoir ou pas ! Il y aurait en effet dans cette mythologie deux tribus bien distinctes et sans contact : les « Quiontunemploi » et les « Quinenonpas » ! Cette dialectique, qui s’inscrit dans la longue lignée rassurante du Bien et du Mal, du Bon et du Mauvais, et désormais (et selon la Nouvelle Méritocratie Sarkozienne) du « bon bosseur » et du « mauvais bulleur », reste étonnamment efficace dans les esprits de nombreux salariés et cadres (en poste, encore et pour l’instant…). Cette représentation est fondée sur des considérations qui avaient cours avant le début des années 70 (en période de plein emploi donc) : il y avait d’un côté « ceux qui en voulaient et donc avaient un boulot » et de l’autre les « bulleurs ». Point. Depuis, le tableau a pas mal changé, mais le retour des discours sur la morale du travail vise à ranimer le mythe en question. Il masque bien évidemment le fait que depuis vingt ans, les formes d’emploi atypiques ont proliféré et modifié la donne, permettant progressivement l’obtention d’une docilité contrainte par l’instauration d’une précarité plus diffuse et généralisée, instillée en micro-doses permanentes. Là encore, les logiques du CNE-CPE en sont l’illustration parfaite : « docilité » ou « dehors ! et sans aucun motif à avancer » = docilité « librement » consentie !
Le chômage fut instrumentalisé comme un remède de cheval à la baisse de la part revenant au capital dans le partage de la valeur ajoutée après 1968 (voir encore une fois le documentaire de Gille Balbastre « Le chômage a une histoire » : http://lbsjs.free.fr/Balbastre/Balbastre_chomage.htm). Mais le remède de cheval a eu des effets secondaires ravageurs et gênants sur le long terme : la crise des banlieues et de la crédibilité du politique en sont des exemples. Or, en phase préélectorale, le chômage utile implique le défaut de son mérite : même maquillés jusqu’à la corde, les chiffres du chômage font tâche comme le nez au milieu de la figure ! Ils sont ainsi susceptibles de faire perdre bien des élections et le remède de cheval finit parfois par tuer le… cavalier ! Heureusement, la précarité généralisée, moins mesurable statistiquement, sera le remède homéopathique de l’avenir ! Ainsi les économystiques libéraux de l’OCDE ne sont pas « chiens », et ils sont prêts à troquer des points de chômage NAIRUesque contre une « flexibilité accrue et la levée des freins et des rigidités des marchés du travail », pour reprendre leur vocable. Alors, et alors seulement, le NAIRU pourra baisser. Car pas de dogme chez eux : ce qui compte avant tout, c’est la PRESSION exercée sur les salariés. Que la docilité soit obtenue par la Peur du chômage ou par la Soumission « librement » consentie dans la précarité, peu importe ! Ainsi, les NAIRU sont-ils en quelque sorte une mesure de la « libéralité » d’une économie. En Espagne, l’afflux de travailleurs immigrés sans minima sociaux (SMIC notamment) a permis à l’OCDE de revoir optimistement à la baisse le NAIRU de 20% à près de 10% (tout de même !). Si les CPE-CNE passent, la prochaine mouture des NAIRU pour la France ira dans le même sens, et cela ne devra tromper personne…
Je vous livre pour terminer un extrait d’un entretien téléphonique que j’ai eu récemment, dans le cadre de mes recherches, avec l’économiste en chef et Directeur de la Recherche de la première banque d’Europe. La retranscription écrite de cette conversation (de 40 minutes) est basée sur un enregistrement, et est donc fidèle…
Moi (évoquant le principe sous-jacent derrière le NAIRU et la courbe de Phillips) : Mais l’idée qui est derrière est toujours un peu la même…
XXX : Oh ben oui, oui…
Moi : C’est la pression sur les salaires. Ca peut-être par le chômage, ça peut être des contrats plus précaires, ça peut être de la délocalisation, ou de la menace de délocalisation, ça peut-être des tas de choses en fait ?
XXX : Oui, oui. Cela étant, quand il y a pénurie de main d’œuvre… Imaginez qu’il y ait pénurie de main d’œuvre demain matin, ici. Les employeurs n’arriveraient plus à embaucher sur des contrats précaires ! Plus personne n’en voudrait ! Ils pourraient dire « Non » parce qu’il y aurait de la pression dans l’autre sens…
Nul n’est besoin de commenter la clarté de ces propos. Et ceux, qui considèreraient comme naïve cette « thèse du NAIRU », feraient bien de réviser leur propre naïveté !
Mais que les amoureux du chômage se rassurent : dans la concurrence (libre et non faussée ?) entre « remède de cheval » -le Chômage- et « homéopathie » - la Précarité diffuse- cette dernière ne pourra jamais supplanter intégralement le premier. Car le mauvais a toujours besoin du pire pour être accepté…
Guillaume de Baskerville
http://lenairu.blogspot.com
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