Le gouvernement peint le chômage en rose
Publié : 11 mars 2010
Le Canard enchaîné n° 4663 du 10 mars 2010
Sarkozy et Christine Lagarde rêvent de limiter à 75000 la hausse du nombre des demandeurs d'emploi en 2010. Mais certains experts, très pessimistes, en prévoient trois fois plus.
Ce fut une grosse boulette, mais Sarko a une - petite - excuse. Lorsque, le 25 janvier sur TF1, il annonce une prochaine baisse du chômage, il n'a entre les mains que les projections effectuées par l'Insee pendant l'été 2009 qui laissent entrevoir une éclaircie dans le ciel de l'emploi. Ravi d'apprendre enfin une bonne nouvelle, Speedy Sarkozy ne peut tenir sa langue. Mais, depuis, l'Institut de la statistique a revu ses chiffres dans un sens nettement moins favorable. Et, le vendredi 4 mars, c'est la douche froide : un taux de chômage de 10%, que la France n'avait pas connu depuis onze ans. Contrairement aux prophéties de la boule de cristal du gouvernement, la décrue n'est pas en vue. Loin de là : tous les indicateurs clignotent au route.
Trop de productivité
En 2009, un véritable cyclone a ravagé l'emploi dans le secteur privé, détruisant près de 400.000 postes. Pour 2010, l'Elysée et Christine Lagarde rêvent d'une relative accalmie, avec seulement 75.000 boulots en moins. Illusions qui risquent d'être vite balayées par les experts. L'Observatoire français des conjonctures économiques 5OFCE) devrait prochainement annoncer, dans ses prévisions, une hécatombe de 150.000 à 200.000 emplois pour cette année. Son directeur adjoint, Eric Heyer, explique : "Le gouvernement table sur une croissance de 1,4% en 2010. Nous pensons qu'elle se limitera à 1%." C'est là toute la différence. La Banque de France vient d'ailleurs de donner du grain à moudre à ces pessimistes de l'OFCE, en révisant ses pronostics pour le premier trimestre : un taux de croissance de 0,4% au lieu de 0,5% prévu il y a seulement un mois.
En plus, ces méchants salariés s'acharnent à aggraver la situation. Selon un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), la France affiche l'un des taux de productivité les plus forts des pays industrialisés. Il augmente même de 1,5% chaque année. Conséquence : pour espérer maintenir le nombre d'emplois au niveau actuel, il faudrait, au minimum, que la croissance économique soit équivalente à ce gain annuel de productivité - pendant plusieurs années.
Autre déconvenue : la courbe démographique. La population active devait, en principe, diminuer pour cause de "papy-boom". Or ce n'est pas le cas. En 2010, celle-ci augmentera encore de 50.000 âmes. Ce qui fera autant d'inscrits en plus au Pôle emploi. "On peut se tromper en économie, mais l'arithmétique, elle, est intraitable", ironise le même Eric Heyer.
Et que prévoit l'arithmétique ? Au total, malgré l'amélioration de la situation espérée pour la fin de cette année, les Madame Irma de l'OFCE voient poindre entre 200.000 et 250.000 sans emploi de plus en 2010. Heureusement, les statisticiens s'attendent à voir un bon nombre de sans-emploi de longue durée, écoeurés, notamment les plus âgés, renoncer à leur inscription au Pôle emploi.
En dépit de ces sombres perspectives, Sarko ne voit aucune raison d'abandonner sa fabuleuse politique. Exemple : les heures supplémentaires. Malgré la crise, elles n'ont pas cessé d'augmenter en 2009, par rapport à 2007, année de la mise en oeuvre des fameuses exonérations. Les heures sup' sont devenues une formidable arme de destruction massive des emplois. Pour la seule année 2009, elle ont représenté, au total, l'équivalent de 402.000 contrats de travail à temps complet. En outre, elles auront coûté l'an dernier près de 3 milliards en exonérations de cotisations patronales. Joli cadeau aux tauliers.
Génération perdue
Même entêtement pour les seniors, que l'Elysée veut toujours maintenir au boulot. Pendant ce temps-là, comme le fait remarquer l'économiste Marc Touati, "le taux de chômage des moins de 25 ans a de nouveau augmenté au quatrième trimestre 2009, pour atteindre 24%, un sommet historique".
Ce phénomène inquiète de plus en plus d'experts : "Les jeunes actuellement sans emploi risquent de connaître un chômage long", diagnostique Ecir Heyer. "Et, au moment de la reprise, ils seront dans une situation de concurrence difficile avec ceux qui sortiront de l'école et n'afficheront pas, eux, deux à trois années d'inscription au Pôle emploi sur la première ligne de leur CV." Et le même d'estimer qu'il faut, dès maintenant, trouver des aides spécifiques pour cette génération en danger.
Comme si Sarko n'avait pas assez de soucis avec les candidats UMP aux régionales qui n'auront pas trouvé un emploi d'élu le 21 mars.
Alain Guédé
Sarkozy et Christine Lagarde rêvent de limiter à 75000 la hausse du nombre des demandeurs d'emploi en 2010. Mais certains experts, très pessimistes, en prévoient trois fois plus.
Ce fut une grosse boulette, mais Sarko a une - petite - excuse. Lorsque, le 25 janvier sur TF1, il annonce une prochaine baisse du chômage, il n'a entre les mains que les projections effectuées par l'Insee pendant l'été 2009 qui laissent entrevoir une éclaircie dans le ciel de l'emploi. Ravi d'apprendre enfin une bonne nouvelle, Speedy Sarkozy ne peut tenir sa langue. Mais, depuis, l'Institut de la statistique a revu ses chiffres dans un sens nettement moins favorable. Et, le vendredi 4 mars, c'est la douche froide : un taux de chômage de 10%, que la France n'avait pas connu depuis onze ans. Contrairement aux prophéties de la boule de cristal du gouvernement, la décrue n'est pas en vue. Loin de là : tous les indicateurs clignotent au route.
Trop de productivité
En 2009, un véritable cyclone a ravagé l'emploi dans le secteur privé, détruisant près de 400.000 postes. Pour 2010, l'Elysée et Christine Lagarde rêvent d'une relative accalmie, avec seulement 75.000 boulots en moins. Illusions qui risquent d'être vite balayées par les experts. L'Observatoire français des conjonctures économiques 5OFCE) devrait prochainement annoncer, dans ses prévisions, une hécatombe de 150.000 à 200.000 emplois pour cette année. Son directeur adjoint, Eric Heyer, explique : "Le gouvernement table sur une croissance de 1,4% en 2010. Nous pensons qu'elle se limitera à 1%." C'est là toute la différence. La Banque de France vient d'ailleurs de donner du grain à moudre à ces pessimistes de l'OFCE, en révisant ses pronostics pour le premier trimestre : un taux de croissance de 0,4% au lieu de 0,5% prévu il y a seulement un mois.
En plus, ces méchants salariés s'acharnent à aggraver la situation. Selon un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), la France affiche l'un des taux de productivité les plus forts des pays industrialisés. Il augmente même de 1,5% chaque année. Conséquence : pour espérer maintenir le nombre d'emplois au niveau actuel, il faudrait, au minimum, que la croissance économique soit équivalente à ce gain annuel de productivité - pendant plusieurs années.
Autre déconvenue : la courbe démographique. La population active devait, en principe, diminuer pour cause de "papy-boom". Or ce n'est pas le cas. En 2010, celle-ci augmentera encore de 50.000 âmes. Ce qui fera autant d'inscrits en plus au Pôle emploi. "On peut se tromper en économie, mais l'arithmétique, elle, est intraitable", ironise le même Eric Heyer.
Et que prévoit l'arithmétique ? Au total, malgré l'amélioration de la situation espérée pour la fin de cette année, les Madame Irma de l'OFCE voient poindre entre 200.000 et 250.000 sans emploi de plus en 2010. Heureusement, les statisticiens s'attendent à voir un bon nombre de sans-emploi de longue durée, écoeurés, notamment les plus âgés, renoncer à leur inscription au Pôle emploi.
En dépit de ces sombres perspectives, Sarko ne voit aucune raison d'abandonner sa fabuleuse politique. Exemple : les heures supplémentaires. Malgré la crise, elles n'ont pas cessé d'augmenter en 2009, par rapport à 2007, année de la mise en oeuvre des fameuses exonérations. Les heures sup' sont devenues une formidable arme de destruction massive des emplois. Pour la seule année 2009, elle ont représenté, au total, l'équivalent de 402.000 contrats de travail à temps complet. En outre, elles auront coûté l'an dernier près de 3 milliards en exonérations de cotisations patronales. Joli cadeau aux tauliers.
Génération perdue
Même entêtement pour les seniors, que l'Elysée veut toujours maintenir au boulot. Pendant ce temps-là, comme le fait remarquer l'économiste Marc Touati, "le taux de chômage des moins de 25 ans a de nouveau augmenté au quatrième trimestre 2009, pour atteindre 24%, un sommet historique".
Ce phénomène inquiète de plus en plus d'experts : "Les jeunes actuellement sans emploi risquent de connaître un chômage long", diagnostique Ecir Heyer. "Et, au moment de la reprise, ils seront dans une situation de concurrence difficile avec ceux qui sortiront de l'école et n'afficheront pas, eux, deux à trois années d'inscription au Pôle emploi sur la première ligne de leur CV." Et le même d'estimer qu'il faut, dès maintenant, trouver des aides spécifiques pour cette génération en danger.
Comme si Sarko n'avait pas assez de soucis avec les candidats UMP aux régionales qui n'auront pas trouvé un emploi d'élu le 21 mars.
Alain Guédé