L'esprit public - l'esprit tordu
Publié : 27 févr. 2010
Dans l'émission sur France Culture mentionné en bas, je voudrais citer quelques passages que j'ai transcrits de l'émission radio et que je trouve édifiants quant à l'état d'esprit des « intellectuels » qui prétendent penser notre monde. Il s'agit de :
L'esprit public – France Culture
Les difficultés de la zone euro
(14/02/2010)
Invités :
Jean-Louis Bourlanges : Professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris
Max Gallo : Romancier et historien
Denis Olivennes : Président du directoire du Nouvel Observateur
Eric Le Boucher : Directeur de la rédaction d'Enjeux - Les Echos
Le sujet plus précisement est la Grèce et ses problèmes financiers graves, les causes et la répercussion sur l'Union européenne, comment les comprendre, comment réagir, etc.
1) Jean-Luis Bourlanges :
[…] Je n'aime pas l'expression « formatage par les marchés ». Les marchés sont les acteurs économiques qui interviennent sur les marchés financiers, ce sont des opportunistes qui essaient de gagner de l'argent et là ce qu'on voit ce n'est pas que les marchés formatent, c'est comme le dit Eric (Le Boucher) : il y a un décalage géopolitique absolument massif entre l'Asie – ben les Chinois ils font neuf pour cent de croissance, ils ont retrouvé la croissance, les marchés ils savent où est l'argent, ils savent où ça rapporte, ils savent où il ya des investissements.
En revanche, si la Grèce est dans cette situation et si nous-mêmes ne sont pas très vaillants c'est parce que depuis vingt ans nous n'avons pas fait des efforts. Si l'Allemagne se porte mieux que nous c'est parce que à travers les plans Hartz 4 et quelques autres menés notamment par les socio-démocrates, par Schröder, les Allemands ont fait le ménage chez eux. Ils ont réduit leurs coûts de production, ils sont musclés. Ils sont en train de s'engager dans une opération de modernisation de l'appareil universitaire et de recherche de première grandeur – ils font le travail. Nous, nous ne le faisons pas, et c'est ça qui est sanctionné. Donc epargnons-nous de la causalité diabolique du marché. [...]
---
À la fin de l'émission, chaque invité présente un nouveau livre qu'il estime intéressant et en dit quelques mots.
Le choix de Denis Olivennes est tombé sur le livre de Florence Aubenas.
2) Denis Olivennes
Je voulais parler du livre qui sort cette semaine, de Florence Aubenas. Elle a pendant sept mois vécu la vie des travailleurs précaires à Caen, a fréquenté le pôle emploi, travaillé sous forme de vacation d'agent de propreté dans les ferries, dans les campings, elle s'est logée dans des conditions … bref. C'est un voyage à l'intérieur de cette autre France. C'est quatre à cinq millions travailleurs aujourd'hui qui sont dans cette situation de temps partiel, de CDD, et c'est de la nature si j'ose dire avec un immense talent documentaire et même littéraire, de nature de la surprise à la fin du 19e siècle quand les enquêtes sociales ont commencé à se déployer pour définir ce qu'est la classe ouvrière. Et là c'est une enquête sociale d'une nouvelle classe ouvrière, et c'est un portrait d'une France que nous ne connaissons pas, qui ne nous connaît pas non plus, et qui est extraordinairement impressionnante.
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Ce qui est navrant est que nos "intellectuels" découvrent la France des précaires que nous connaissons tous depuis belle lurette. Cela montre que les "élites" sont à des années lumières de la réalité du monde du travail.
Tout d'abord, Monsieur Bourlanges envie les Chinois pour leur croissance économique, mais se pose-t-il la question à quoi elle est due ? Se demande-t-il comment sont les conditions de travail et les salaires en Asie ? « Les marchés savent où est l'argent ». (Bien sûr, ils ne sont bas bêtes. L'argent se trouve dans l'exploitation sans états d'âme des gens qui travaillent.)
Si on confronte ces deux passages, je ne sais pas ce que je vois – une ignorance, une langue de bois, une provocation, une idéologie ? Franchement je suis resté bouche bée quand j'ai entendu ces phrases. Pourquoi ?
1) Jean-Louis Bourlanges considère que « les Allemand ont fait le ménage chez eux ». Le plan Hartz semble être le « produit de nettoyage » et la saleté le chômeur. La devise du plan Hartz est « exiger et aider ».
L'exigence dans le plan Hartz se traduit par des sanctions : à la moindre désobéissance aux ordres des agents des jobcenters, le minimum vital est supprimé. Les aides, elles, sont inexistantes. Pas de formations digne de ce nom, uniquement des planques pour garder les chiffres du chômages artificiellement bas, des stages occupationnels, des stages bidons dont nous discutons en ce moment ici.
La contrainte d'accepter un travail sans salaire (dans les « jobs à un euro », l'euro est une compensation de ce que cela coûte au chômeur d'aller faire un travail contraint, voir un billet de bus pour s'y rendre, pour s'acheter à manger à midi, pour l'usure des vêtements etc.), en général, ce traitement des chômeurs a aidé au développement de tout un marché de travail à bas salaires, des salaires qui sont si bas qu'une personne travaillant à temps plein soit obligée de demander un complément d'allocation à l'agence pour l'emploi pour pouvoir survivre.
Cette situation a encouragé nombre d'entreprises de licencier leur salariés pour ensuite les reprendre par l'intermédiaire d'agences d'interim ce qui a fait disparaître des contrats CDI qui sont remplacés des contrats précaire. (=> contournement du droit du travail)
Les jobs à un euro sont un signal d'encouragement pour baisser les salaires. Un deuxième encouragement est la garantie que l'Etat participe à la paie des salaires quand ils sont en dessous du minimum vital ce qui est possible car il n'y a en Allemagne pas de salaire minimum global, mais uniquement dans quelques secteurs d'activité professionnelle. Evidemment, les entreprises ne vont pas laisser passer une aubaine pareille. Les bas salaires sont ainsi subventionnés par l'argent des contribuables. Nombre d'entreprises qui ont leur activité dans le secteur des bas salaires se font une « santé concurentielle » avec l'argent public. C'est aussi ça le plan Hartz. Le discours officiel est tout autre : ce travail subventionné serait une superbe chance pour le chômeur de longue durée pour retrouver le marché du travail, prétendant que ce travail mal payé se limiterait dans le temps et aiderait le demandeur d'emploi de retrouver un autre travail mieux rémunéré. Or, une fois dans la trappe du secteur des bas salaires on y reste. Autre "argument" : mieux vaut travailler même pour un salaire très bas que de ne travailler pas du tout. C'est le travail pour le travail. Il faut travailler. Point.
Avec cette petite phrase « Les Allemand ont fait le ménage chez eux » (par le plan Hartz 4), Bourlanges cautionne donc la baisse des salaires jusque en dessous de la limite vitale, et il prétend qu'en plus ce serait la raison pour laquelle l'Allemagne irait mieux que la France.
Quelques minutes plus tard dans l'émission « L'esprit public », Denis Olivennes vante la qualité de l'enquête de Florence Aubenas qui lui fait découvrir une France qu'il ne connaissait pas. C'est la France des travailleurs précaires, une France qui n'a guère de secrets pour les quelque millions qui la vivent au cotidien. Notre intellectuel s'émerveille de la qualité littéraire de l'enquête de Madame Aubenas et nous communique son empathie pour cette France qui souffre. Or, il ne lui vient pas à l'idée que cette précarité est encouragée, soutenue, construite par des mesures comme celle du plan Hartz dont ils ont parlé quelques minutes auparavants. La France est sur le point d'y aller, l'Allemagne y est et a été pour cela condamnée par la Cour constitutionnelle. Le plan Hartz viole la dignité de l'homme qui d'après la Loi fondamentale est inviolable.
Bourlanges, l'universitaire et professeur des sciences politiques, qui a tous ces éléments sous son nez, semble vouloir foncer tête baissée vers quelque chose qui ressemble au plan Hartz. Et son collègue pleure des larmes de crocodiles en découvrant la France des travailleurs pauvres dont leur existence n'est pas sans lien avec le chômage de masse et le traitement discriminatoire des chômeurs.
Universitaire, directeur du Nouvel Observateur ... on se demande ce qu'ils ont dans le crâne.
L'esprit public – France Culture
Les difficultés de la zone euro
(14/02/2010)
Invités :
Jean-Louis Bourlanges : Professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris
Max Gallo : Romancier et historien
Denis Olivennes : Président du directoire du Nouvel Observateur
Eric Le Boucher : Directeur de la rédaction d'Enjeux - Les Echos
Le sujet plus précisement est la Grèce et ses problèmes financiers graves, les causes et la répercussion sur l'Union européenne, comment les comprendre, comment réagir, etc.
1) Jean-Luis Bourlanges :
[…] Je n'aime pas l'expression « formatage par les marchés ». Les marchés sont les acteurs économiques qui interviennent sur les marchés financiers, ce sont des opportunistes qui essaient de gagner de l'argent et là ce qu'on voit ce n'est pas que les marchés formatent, c'est comme le dit Eric (Le Boucher) : il y a un décalage géopolitique absolument massif entre l'Asie – ben les Chinois ils font neuf pour cent de croissance, ils ont retrouvé la croissance, les marchés ils savent où est l'argent, ils savent où ça rapporte, ils savent où il ya des investissements.
En revanche, si la Grèce est dans cette situation et si nous-mêmes ne sont pas très vaillants c'est parce que depuis vingt ans nous n'avons pas fait des efforts. Si l'Allemagne se porte mieux que nous c'est parce que à travers les plans Hartz 4 et quelques autres menés notamment par les socio-démocrates, par Schröder, les Allemands ont fait le ménage chez eux. Ils ont réduit leurs coûts de production, ils sont musclés. Ils sont en train de s'engager dans une opération de modernisation de l'appareil universitaire et de recherche de première grandeur – ils font le travail. Nous, nous ne le faisons pas, et c'est ça qui est sanctionné. Donc epargnons-nous de la causalité diabolique du marché. [...]
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À la fin de l'émission, chaque invité présente un nouveau livre qu'il estime intéressant et en dit quelques mots.
Le choix de Denis Olivennes est tombé sur le livre de Florence Aubenas.
2) Denis Olivennes
Je voulais parler du livre qui sort cette semaine, de Florence Aubenas. Elle a pendant sept mois vécu la vie des travailleurs précaires à Caen, a fréquenté le pôle emploi, travaillé sous forme de vacation d'agent de propreté dans les ferries, dans les campings, elle s'est logée dans des conditions … bref. C'est un voyage à l'intérieur de cette autre France. C'est quatre à cinq millions travailleurs aujourd'hui qui sont dans cette situation de temps partiel, de CDD, et c'est de la nature si j'ose dire avec un immense talent documentaire et même littéraire, de nature de la surprise à la fin du 19e siècle quand les enquêtes sociales ont commencé à se déployer pour définir ce qu'est la classe ouvrière. Et là c'est une enquête sociale d'une nouvelle classe ouvrière, et c'est un portrait d'une France que nous ne connaissons pas, qui ne nous connaît pas non plus, et qui est extraordinairement impressionnante.
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Ce qui est navrant est que nos "intellectuels" découvrent la France des précaires que nous connaissons tous depuis belle lurette. Cela montre que les "élites" sont à des années lumières de la réalité du monde du travail.
Tout d'abord, Monsieur Bourlanges envie les Chinois pour leur croissance économique, mais se pose-t-il la question à quoi elle est due ? Se demande-t-il comment sont les conditions de travail et les salaires en Asie ? « Les marchés savent où est l'argent ». (Bien sûr, ils ne sont bas bêtes. L'argent se trouve dans l'exploitation sans états d'âme des gens qui travaillent.)
Si on confronte ces deux passages, je ne sais pas ce que je vois – une ignorance, une langue de bois, une provocation, une idéologie ? Franchement je suis resté bouche bée quand j'ai entendu ces phrases. Pourquoi ?
1) Jean-Louis Bourlanges considère que « les Allemand ont fait le ménage chez eux ». Le plan Hartz semble être le « produit de nettoyage » et la saleté le chômeur. La devise du plan Hartz est « exiger et aider ».
L'exigence dans le plan Hartz se traduit par des sanctions : à la moindre désobéissance aux ordres des agents des jobcenters, le minimum vital est supprimé. Les aides, elles, sont inexistantes. Pas de formations digne de ce nom, uniquement des planques pour garder les chiffres du chômages artificiellement bas, des stages occupationnels, des stages bidons dont nous discutons en ce moment ici.
La contrainte d'accepter un travail sans salaire (dans les « jobs à un euro », l'euro est une compensation de ce que cela coûte au chômeur d'aller faire un travail contraint, voir un billet de bus pour s'y rendre, pour s'acheter à manger à midi, pour l'usure des vêtements etc.), en général, ce traitement des chômeurs a aidé au développement de tout un marché de travail à bas salaires, des salaires qui sont si bas qu'une personne travaillant à temps plein soit obligée de demander un complément d'allocation à l'agence pour l'emploi pour pouvoir survivre.
Cette situation a encouragé nombre d'entreprises de licencier leur salariés pour ensuite les reprendre par l'intermédiaire d'agences d'interim ce qui a fait disparaître des contrats CDI qui sont remplacés des contrats précaire. (=> contournement du droit du travail)
Les jobs à un euro sont un signal d'encouragement pour baisser les salaires. Un deuxième encouragement est la garantie que l'Etat participe à la paie des salaires quand ils sont en dessous du minimum vital ce qui est possible car il n'y a en Allemagne pas de salaire minimum global, mais uniquement dans quelques secteurs d'activité professionnelle. Evidemment, les entreprises ne vont pas laisser passer une aubaine pareille. Les bas salaires sont ainsi subventionnés par l'argent des contribuables. Nombre d'entreprises qui ont leur activité dans le secteur des bas salaires se font une « santé concurentielle » avec l'argent public. C'est aussi ça le plan Hartz. Le discours officiel est tout autre : ce travail subventionné serait une superbe chance pour le chômeur de longue durée pour retrouver le marché du travail, prétendant que ce travail mal payé se limiterait dans le temps et aiderait le demandeur d'emploi de retrouver un autre travail mieux rémunéré. Or, une fois dans la trappe du secteur des bas salaires on y reste. Autre "argument" : mieux vaut travailler même pour un salaire très bas que de ne travailler pas du tout. C'est le travail pour le travail. Il faut travailler. Point.
Avec cette petite phrase « Les Allemand ont fait le ménage chez eux » (par le plan Hartz 4), Bourlanges cautionne donc la baisse des salaires jusque en dessous de la limite vitale, et il prétend qu'en plus ce serait la raison pour laquelle l'Allemagne irait mieux que la France.
Quelques minutes plus tard dans l'émission « L'esprit public », Denis Olivennes vante la qualité de l'enquête de Florence Aubenas qui lui fait découvrir une France qu'il ne connaissait pas. C'est la France des travailleurs précaires, une France qui n'a guère de secrets pour les quelque millions qui la vivent au cotidien. Notre intellectuel s'émerveille de la qualité littéraire de l'enquête de Madame Aubenas et nous communique son empathie pour cette France qui souffre. Or, il ne lui vient pas à l'idée que cette précarité est encouragée, soutenue, construite par des mesures comme celle du plan Hartz dont ils ont parlé quelques minutes auparavants. La France est sur le point d'y aller, l'Allemagne y est et a été pour cela condamnée par la Cour constitutionnelle. Le plan Hartz viole la dignité de l'homme qui d'après la Loi fondamentale est inviolable.
Bourlanges, l'universitaire et professeur des sciences politiques, qui a tous ces éléments sous son nez, semble vouloir foncer tête baissée vers quelque chose qui ressemble au plan Hartz. Et son collègue pleure des larmes de crocodiles en découvrant la France des travailleurs pauvres dont leur existence n'est pas sans lien avec le chômage de masse et le traitement discriminatoire des chômeurs.
Universitaire, directeur du Nouvel Observateur ... on se demande ce qu'ils ont dans le crâne.