« Je suis prof à 700 euros par mois… »
Publié : 01 févr. 2010
Ils travaillent comme les autres enseignants mais n’en ont ni le statut ni le salaire. À l’occasion de la journée de manifestations dans l’éducation nationale, plusieurs professeurs non titulaires témoignent de leur situation.
« Je ne demande pas mieux, mais j’ai bien peur qu’il se soit un peu avancé… » Lundi soir, sur TF1, Karine a bien écouté Nicolas Sarkozy. Mais, autant l’avouer, la promesse présidentielle de titulariser « progressivement » les contractuels de la fonction publique n’a pas convaincu cette prof de lettres dans l’académie de Grenoble. « Cela n’irait pas du tout dans le sens de la politique menée ces dernières années ! » Karine sait de quoi elle parle. Voilà quatorze ans que cette mère de famille cumule les CDD. Et vit au quotidien, comme quelque 20 000 autres non-titulaires de l’éducation nationale, cette précarité que le chef de l’État fait mine de trouver « injuste ».
« on nous utilise comme des bouche-trous »
Injuste ? Pour le moins. Embauchée comme contractuelle par le rectorat, Karine, trente-huit ans, a assuré, au cours de toutes ces années, une multitude de remplacements dans des dizaines d’établissements de la région. Des contrats qui vont de quelques semaines à une année scolaire entière. Sans aucune garantie pour le futur. « À chaque fin de contrat, on ne sait pas ce que l’on va devenir, résume-t-elle. On nous utilise comme des bouche-trous, en fonction des besoins, puis on nous jette une fois la mission finie. »
Dans les classes, les élèves n’y voient que du feu. Préparation des cours, prise en main de la classe, découverte de l’équipe pédagogique… Le travail de Karine, qui possède une maîtrise de français et une autre de lettres modernes, équivaut à celui d’un prof remplaçant classique. Le statut et le salaire en moins. « Lorsque je fais un remplacement à plein-temps, je touche en tant que contractuel 1 300 euros net par mois, soit environ 1 000 euros de moins qu’un prof titulaire ayant la même ancienneté. » Et si d’aventure Karine est nommée sur un poste à mi-temps, voire moins, son salaire mensuel ne dépassera pas les 700 euros. « J’essaie régulièrement de décrocher le Capes de lettres modernes qui m’ouvrirait les portes de la fonction publique, explique encore Karine. J’ai été trois fois “admissible”. Mais vu que le nombre de postes ouverts chaque année au concours diminue sans cesse – moins de 100 sur toute la France –, je ne rêve plus trop. La galère continue… » Séverine connaît bien aussi cette « galère ». En pire. Cette jeune prof d’espagnol de trente-deux ans n’a pas eu droit à des CDD comme Karine. Elle, elle enchaîne depuis six ans les vacations, un mode de recrutement ultra-précaire dont les rectorats et chefs d’établissement sont de plus en plus friands pour pallier le manque de remplaçants. Payée « à l’heure effective » (temps passé devant les élèves), dans la limite de 200 heures annuelles, elle n’a droit ni aux congés payés, ni aux allocations chômage, ni même à une quelconque couverture en cas d’accident du travail ! « Les mois où il n’y a pas de congés, je peux gagner jusqu’à 750 euros. Mais sinon, c’est plutôt autour de 600 euros, indique Séverine. Je vis en appartement, mais mes parents sont encore obligés de me payer des petites bricoles, comme les courses, et, parfois, j’en suis réduite aux Restos du cœur. »
« Enfermée dans la précarité »
Comme la plupart des contractuels et vacataires, Séverine, passionnée par l’enseignement, ne fait pas de projet d’avenir. « Comme je ne suis jamais fixée dans un établissement, je ne peux pas prendre la responsabilité d’un projet, comme un voyage scolaire. Sinon, j’essaie régulièrement de me présenter au Capes d’espagnol mais il n’y a qu’une trentaine de postes disponibles ! Et puis, ce n’est pas simple de mener de front des études et le travail. J’ai vraiment l’impression d’être enfermée dans la précarité. »
Pas de quoi émouvoir le ministère de l’Éducation nationale qui continue de fermer les yeux sur ces pratiques dignes d’un patron voyou. « Passez-moi l’expression, mais on est considérés comme des sous-merdes », lâche Samir, prof de biotechnologies en Seine-Saint-Denis, contractuel depuis dix ans. Lui se souvient de sa première année. « J’ai été recruté en septembre, mais le rectorat n’a commencé à me payer qu’en janvier ! Histoire de me faire passer sur le budget de l’année suivante. Alors, quand Sarkozy parle de s’occuper de nous, je lui dis chiche, mais je n’y crois pas trop… »
Laurent Mouloud
Source :L"humanité.fr
« Je ne demande pas mieux, mais j’ai bien peur qu’il se soit un peu avancé… » Lundi soir, sur TF1, Karine a bien écouté Nicolas Sarkozy. Mais, autant l’avouer, la promesse présidentielle de titulariser « progressivement » les contractuels de la fonction publique n’a pas convaincu cette prof de lettres dans l’académie de Grenoble. « Cela n’irait pas du tout dans le sens de la politique menée ces dernières années ! » Karine sait de quoi elle parle. Voilà quatorze ans que cette mère de famille cumule les CDD. Et vit au quotidien, comme quelque 20 000 autres non-titulaires de l’éducation nationale, cette précarité que le chef de l’État fait mine de trouver « injuste ».
« on nous utilise comme des bouche-trous »
Injuste ? Pour le moins. Embauchée comme contractuelle par le rectorat, Karine, trente-huit ans, a assuré, au cours de toutes ces années, une multitude de remplacements dans des dizaines d’établissements de la région. Des contrats qui vont de quelques semaines à une année scolaire entière. Sans aucune garantie pour le futur. « À chaque fin de contrat, on ne sait pas ce que l’on va devenir, résume-t-elle. On nous utilise comme des bouche-trous, en fonction des besoins, puis on nous jette une fois la mission finie. »
Dans les classes, les élèves n’y voient que du feu. Préparation des cours, prise en main de la classe, découverte de l’équipe pédagogique… Le travail de Karine, qui possède une maîtrise de français et une autre de lettres modernes, équivaut à celui d’un prof remplaçant classique. Le statut et le salaire en moins. « Lorsque je fais un remplacement à plein-temps, je touche en tant que contractuel 1 300 euros net par mois, soit environ 1 000 euros de moins qu’un prof titulaire ayant la même ancienneté. » Et si d’aventure Karine est nommée sur un poste à mi-temps, voire moins, son salaire mensuel ne dépassera pas les 700 euros. « J’essaie régulièrement de décrocher le Capes de lettres modernes qui m’ouvrirait les portes de la fonction publique, explique encore Karine. J’ai été trois fois “admissible”. Mais vu que le nombre de postes ouverts chaque année au concours diminue sans cesse – moins de 100 sur toute la France –, je ne rêve plus trop. La galère continue… » Séverine connaît bien aussi cette « galère ». En pire. Cette jeune prof d’espagnol de trente-deux ans n’a pas eu droit à des CDD comme Karine. Elle, elle enchaîne depuis six ans les vacations, un mode de recrutement ultra-précaire dont les rectorats et chefs d’établissement sont de plus en plus friands pour pallier le manque de remplaçants. Payée « à l’heure effective » (temps passé devant les élèves), dans la limite de 200 heures annuelles, elle n’a droit ni aux congés payés, ni aux allocations chômage, ni même à une quelconque couverture en cas d’accident du travail ! « Les mois où il n’y a pas de congés, je peux gagner jusqu’à 750 euros. Mais sinon, c’est plutôt autour de 600 euros, indique Séverine. Je vis en appartement, mais mes parents sont encore obligés de me payer des petites bricoles, comme les courses, et, parfois, j’en suis réduite aux Restos du cœur. »
« Enfermée dans la précarité »
Comme la plupart des contractuels et vacataires, Séverine, passionnée par l’enseignement, ne fait pas de projet d’avenir. « Comme je ne suis jamais fixée dans un établissement, je ne peux pas prendre la responsabilité d’un projet, comme un voyage scolaire. Sinon, j’essaie régulièrement de me présenter au Capes d’espagnol mais il n’y a qu’une trentaine de postes disponibles ! Et puis, ce n’est pas simple de mener de front des études et le travail. J’ai vraiment l’impression d’être enfermée dans la précarité. »
Pas de quoi émouvoir le ministère de l’Éducation nationale qui continue de fermer les yeux sur ces pratiques dignes d’un patron voyou. « Passez-moi l’expression, mais on est considérés comme des sous-merdes », lâche Samir, prof de biotechnologies en Seine-Saint-Denis, contractuel depuis dix ans. Lui se souvient de sa première année. « J’ai été recruté en septembre, mais le rectorat n’a commencé à me payer qu’en janvier ! Histoire de me faire passer sur le budget de l’année suivante. Alors, quand Sarkozy parle de s’occuper de nous, je lui dis chiche, mais je n’y crois pas trop… »
Laurent Mouloud
Source :L"humanité.fr