Lettre à mon fils né après ACTA
Mon cher enfant,
Tu ouvres tes grands yeux bleus sur la vie et tu me souris. Je ne peux pas, pourtant m'empêcher d'avoir honte du monde que je te laisse.
Lorsque je suis né, certains mots avaient encore un sens. Nous étions le monde libre, le souvenir de l'oppression coulait dans nos veines et nous étions certains qu'aucun tyran ne s'imposerait à nous : plus jamais.
Pourtant, à peine une génération plus tard, l'étau se resserre sur ce que nous avions de plus cher, cet héritage que nos parents avaient conquis en versant leur sang et leurs larmes : la liberté.
Et toi, mon fils, tu vivras dans un monde où Internet ne sera plus qu'une galerie marchande. Lorsque tu seras malade, tu ne seras plus certain d'être soigné parce que les médicaments seront devenus un luxe, et les génériques un vestige du passé.
Dans le monde où tu nais, même les graines que l'on sème sont soumises à des brevets. On t'enfermera pour avoir partagé la musique que tu aimes avec tes amis, tu ne pourras plus revoir un chef d'œuvre du cinéma sans y laisser tout ton argent de poche, et lorsque tu écriras un message à ta bien aimée, tu ne pourras plus être certain qu'elle sera seule à le lire.
Tu vivras dans un monde aseptisé, surveillé à chaque instant, jugé et condamné dès que tu ne te soumettras pas au diktat d'un système pour lequel tu ne seras plus qu'un numéro, celui de ta carte bancaire.
Nos parents ont lutté contre les dictatures idéologiques, les fascistes, les communistes, les religieux fanatiques, tous ceux qui voulaient t'imposer une façon de vivre et de penser. Mais nous, les millions d'anonymes du XXIème siècle, nous n'avons pas pu contenir ce nouvel assassin de notre liberté, parce qu'il était en nous depuis toujours, parce qu'il s'appelle argent et qu'une poignée d'entre-nous ne sait pas se contenter d'en avoir assez, il lui en faut toujours plus, même si nous devions tous ylaisser notre peau.
Tu es maudit, mon fils, car tu es né après ACTA, tu n'as pas connu le souffle de liberté qui nous a réchauffé. Pourtant, tu sais, j'ai lutté moi aussi, j'ai tenté de leur dire que l'on ne pouvait pas avoir le beurre et l'argent du beurre. La technologie sert les desseins des puissants, mais elle demande des contreparties, ils refusent cet équilibre.
Alors ils ont fait des lois, dans notre dos, comme si la démocratie n'était plus qu'un prétexte Marketing de plus. Ils ont fabriqué des produits de luxe qu'ils ont vendu très cher tout en les faisant fabriquer par des esclaves. Lorsque les chinois les ont copiés, ils ont emprisonné les pauvres gens qu'ils avaient empoisonnés de leurs publicités mais qui n'avaient pas les moyens de s'acheter les vrais.
Ils ont divisé le monde en deux parties : les esclaves qui produisent, et les esclaves qui paient. Au nom du droit d'auteur, ces parasites de l'art nous ont pourchassés, harcelés, insultés, cachant leur avidité répugnante derrière le sauvetage des artistes qu'ils exploitaient et qui, sans le savoir, endormis par leur monde de paillettes, étaient aussi peu considérés que les chinois qui produisent.
ACTA fut leur loi, la première de toutes, la première à faire passer le droit au profit avant les droits de l'homme.
Bienvenue, mon fils, dans un monde en liberté surveillée, un monde qui me fait honte.
Ylian Estevez
Net WAS a free nation