Ma nièce travaille en usine sur une chaîne et doit demander comme à la maternelle
Quand j'ai commencé à l'usine de crêpes (je n'y suis plus maintenant) on m'a recommandé d'attendre la pause pour aller aux toilettes, si possible.
Il y a si peu de personnel que c'est réellement un pb de s'absenter 2 minutes : il faut que la responsable ne soit pas hyper-occupée pour venir te remplacer ; déjà, il faut qu'elle t'ait vue lui faire des grands signes. Et comment lui faire signe quand tu as les deux mains occupées à empiler des crêpes qui sortent au rythme de 2900 à l'heure ? C'est là qu'on voit la sagesse des chefs : ils te l'ont dit : vaut mieux attendre la pause (quelquefois au bout de 5 h de travail, c'est la responsable qui te dit d'aller en pause).
Et comme les 20 minutes de pause ne sont payées que pendant 5 minutes, tu comprends tout : tu es payée juste le temps de faire pipi (ou plus, si affinités), et d'enlever ton vêtement de travail, charlotte, masque et tout (car on ne doit pas sortir en pause, en cotte et chaussures de l'atelier).
S'agit pas de te payer à rien produire !
Le patron passe souvent voir les ouvrières, les mains dans le dos, ils les regarde longuement, puis leur dit : "avancez vous un peu" ,"reculez d'un pas", "allongez les bras pour prendre les galettes plus en amont", "on vous donne un ordre, exécutez-le, c'est tout".
Lui , on le séquestrerait volontiers pour les lui faire bouffer, ses galettes premier prix.
Mais vous n'imaginez pas la passivité des gens qui bossent dans ces usines. Bosser dur est une fierté. Quand la cadence augmente, les ouvrières se font une joie mauvaise de montrer qu'elles y arrivent quand même alors que Unetelle ne tient pas le coup. Unetelle ne restera plus longtemps, c'est normal puisqu'elle n'est pas capab', elle est déjà oubliée avant même d'être partie, tout le monde s'en fout. Le personnel change tout le temps, sauf quelques ouvrières convenables aux yeux de la direction : celles-là travaillent comme des robots, le cerveau déconnecté, seule leur moelle épinière fonctionne, elles ne disent jamais rien, à part les quelques mots brefs utiles au boulot.
Elles n'ont pas la moindre idée de ce que vaut leur travail et de la manière dont leur directeur vit. Elles se réjouissent quand il y a beaucoup de commandes, et s'inquiètent de la crise, de la concurrence et tout, alors qu'elles n'ont que le SMIC, aucune prime.
Je ne pense pas qu'il y ait la moindre idée syndicale dans ce genre d'usines où les rapports humains sont dignes du 19ème siècle.